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EAN : 9782370492371
120 pages
La Volte (21/03/2024)
3.65/5   13 notes
Résumé :
Après qu'une révolution a permis de mettre un terme au capitalisme et de sauver une portion de la Terre, la population jouit d'un bonheur fragile, nourri de solidarité et de frugalité. Au coeur de l'archipel de Koinè, dans une vieille ville abandonnée, un groupe de gens usés par la vie sont réunis dans une étrange pension où ils espèrent se reconstruire. Mais un séisme approche.
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Après la déception constituée par Sauve qui peut, Demain la Santé, difficile de dire que l'on attendait le prochain texte de Mélanie Fievet.
Pourtant, elle nous revient dans la collection de novella placée sous le signe de l'utopie pilotée par La Volte : Eutopia.
Avec koinè, nous voici de retour dans un monde d'après le capitalisme où une pension accueille des personnes brisées cherchant un nouveau souffle. L'utopie post-capitaliste ne serait-elle donc pas parfaite ?

Pas de surprise pour qui connaît La Volte et le précédent texte de Mélanie Fievet de la retrouver avec une novella qui nous parle d'une utopie aux accents communistes et anarchistes.
Ce qui surprend, par contre, c'est que l'admiration béate du nouveau « système » n'est ici pas de mise.
Comme on l'a dit précédemment, koinè (qui signifie en fait Commune) prend place dans une sorte d'archipel de communautés (ou plateaux) organisées autour des ruines d'une Ville jamais nommée.
Chacune possède ses singularités : Kimris et ses bambouseraies, Elam et ses pratiques alchimiques ou encore Urartu et ses spécialistes en tous genres. Ce qui les rapproche ? Une nouvelle philosophie de vie faites de partage, d'abolition de la propriété et des richesses, de répartition du travail selon les capacités de chacun ou encore de permaculture et d'écologie.
Pourtant, alors que tout semble idyllique sur le papier, une pension dirigée par un certain Bob Blaine devient le refuge de personnes en proie au doute, au remord ou à la colère. Des gens qui ont connu (ou pas) la Révolution elle-même et qui savent que l'ancien monde rôde toujours quelque part.
Elpy, Aliocha ou encore Soran. Trois personnages d'âges et d'horizon différents qui logent là en attendant de retrouver des lendemains qui réenchantent. de l'ancien leader désabusé au nerd asocial confronté à des jeux dangereux en passant par une femme à la recherche de sa soeur.
Chacun reçoit une lettre, chacun croit y trouver quelque chose ou quelqu'un. Comme si les douleurs se rejoignaient.
Mélanie Fievet étonne. Non seulement parce que son style s'est affiné, plus calme et plus maîtrisé, moins dans l'esbrouffe et plus dans l'intime et le réel. Elle s'interroge d'ailleurs d'emblée : « Pourquoi, dans un monde utopique, est-ce qu'on choisit quand même de se suicider ? »
De là, découle une réflexion passionnante sur la fragilité de l'utopie et sur l'imperfection des révolutions à travers le chagrin, le doute et la colère des trois (quatre ?) personnages.

Dans koinè, la Ville n'est que ruines amères qui rappellent naguère.
Pourtant, d'autres choses avancent et tâtonnent, construisent le futur de façon originale et vivante. le Choeur d'un côté, qui chante-décide-pense la Commune, le Texte de l'autre, sorte de cadavre exquis numérique d'où poussent les vies de chaque citoyen dans cette utopie nouvelle.
Mais cela ne suffit pas. On découvre qu'il reste des échardes de l'ancien monde, de ce capitalisme et de cette méritocratie qui viennent hanter le réel comme le réseau, où des jeux proposent une nostalgie risquée.
Il reste des remords, des crimes, du sang. Car la Révolution ne peut pas s'accomplir dans la douceur, parce qu'elle s'est faites par la violence et que ceux qui l'ont vécu l'ont encore en eux.
Il faut comprendre alors qu'une fois l'utopie atteinte, elle s'échappe de nouveau, qu'il faut sans cesse la travailler, l'accompagner, l'écouter.
Qu'elle va prendre du temps, de la sueur et des larmes. Des départs, même.
Soran, l'ancien idéaliste, celui que l'on devait citer avant pour chaque grande décision le sait bien. Bob Blaine aussi, au plus profond de lui.
Reste alors cette histoire de lettre, puis ce meurtre étrange qui semble complètement irréel sans même parler du tremblement et de l'éruption qui s'annoncent. Autant de métaphores plus ou moins palpables pour comprendre le séisme qui se joue dans l'esprit des personnages en pleine mutation, autant de transformations qui feront les nouveaux hérauts de demain.
Finalement, c'est cette image de pension mélancolique qui habite à la fin le lecteur, ces destins croisés rongés par le doute d'hier et d'après, même si parfois l'ensemble se fait cryptique ou exagère sa poétique pour affirmer sa singularité, l'ensemble touche par la précision de sa prose, par le relief marquant de ses émotions et par la beauté de ses promesses.

koinè rassemble les rêves d'un monde débarrassé du capitalisme pour montrer les fantômes derrière les façades encore fragiles. Mélanie Fievet a gagné en maturité et en style, elle trouve la voix médiane qui sait mettre en avant ceux qui doutent et ceux qui espèrent, et le résultat en est aussi beau qu'intrigant malgré quelques errements un peu trop cryptiques qu'on pardonnera aisément.
Lien : https://justaword.fr/koin%C3..
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Une rare utopie, concrète et poétique, exposant avec subtilité et brio, parmi les paradoxes, la possibilité du dissensus sous ses diverses formes.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/05/07/note-de-lecture-koine-melanie-fievet/

Pas de note de lecture proprement dite pour « koinè », novella de Mélanie Fievet parue en mars 2024 dans la précieuse collection Eutopia de la Volte (ou l'on trouve aussi par exemple des textes aussi salutaires que « Collisions par temps calme » de Stéphane Beauverger, « Maraude(s) » de Dilem & Bri, « Un souvenir de Loti » du regretté Philippe Curval, « La trame » du Bombyx Mori Collectif ou « Résolution » de Li-Cam) : l'ouvrage fait en effet l'objet d'un petit article de ma part dans le Monde des Livres daté du vendredi 3 mai 2024 (à lire ici). Comme j'en ai pris l'habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l'article lui-même (et l'occasion de quelques citations du texte, bien sûr).

🎭 Au-delà de son aspect immédiat d'utopie concrète, logique et productive, dont la toile de fond se fait joliment l'écho, « koinè » nous enthousiasme par sa manière fort aboutie (surtout dans la forme plutôt courte d'une novella) de tisser le futur avec du très ancien (en l'espèce les éléments empruntés sans idéalisation et après transformation judicieuse au monde grec antique – et ce, dès le titre et la présence du Choeur -, dans certaines caractéristiques politiques comme dans ses formes culturelles que l'on appellerait sans doute aujourd'hui communicationnelles – au sens fort, politique et habermassien du terme – on songera peut-être ici, dans un autre registre) au superbe « Agora zéro » de Frédéric Moulin et Éric Arlix), et de pratiquer ce tissage sans académisme savant ni nostalgie strictement passéiste (la nostalgie s'exerce ici sur un autre terrain, on y viendra tout à l'heure). J'y vois une forme rare de tour de force.

👀 « koinè » s'attaque avec un brio tout particulier et une poésie bien spécifique à l'un des principaux points aveugles de toute tentative utopique, ancienne ou récente : la possibilité – et le sort à connaître – du dissensus lorsque, après la révolution et quelles que soient les moteurs et les causes de celle-ci, une harmonie, fût-elle rugueuse ou simplement frugale (comme c'est le cas ici) règne – préoccupation fort logique pour un texte placé sous le signe du penseur anarchiste Pierre Kropotkine et de sa « Conquête du pain » de 1892 (le sous-titre de « koinè » est « La conquête du plein »). Cette question demeure comme l'un des coeurs secrets du grand « Les dépossédés » (1974) d'Ursula K. Le Guin. Plus près de nous, elle constitue aussi l'une des questions centrales du si stimulant « Collisions par temps calme » de Stéphane Beauverger, dans la même collection chez La Volte, et balise à sa manière le fleuve tour à tour tranquille et tumultueux du « Eutopia » de Camille Leboulanger. La remarquable originalité de Mélanie Fiévet consiste ici, entre autres traits marquants, à construire une authentique polyphonie du dissensus discret, articulée autour du regret et de la nostalgie, d'une mélancolie qui ne se rassasie que fort difficilement, et adopte des formes d'expression tragiquement variées – la révolte intérieure d'Aliocha, en manque des jeux vidéo ultra-compétitifs du capitalisme tardif de jadis, est particulièrement savoureuse (« »blabla de la place pour toutes les voix » mais ouais c'est ça sorry de pas trouver ma place dans vos histoires à la con hein sorry de pas kiffer la permaculture les débats autogérés le froid les bouquins chiants je crois que je préfèrerais encore devenir un de ces barges qui vont en convention faire du cosplay de cadres sup des années 20″), et éclaire de sa frustration ludique exacerbée les autres mélancolies qu'a su imaginer avec tant de grâce Mélanie Fiévet.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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koinè est un livre que je ne regrette pas d'avoir lu : c'est audacieux, le postulat à éveillé ma curiosité, la prose de Mélanie Fievet, évocatrice, est merveilleuse.

Mais koinè fait partie de ces livres qui me font sentir stupide. J'ai apprécié le voyage mais à l'issue du récit, en regardant le chemin parcouru, je ne suis pas sûr d'avoir tout saisi. En réalité, je suis même certain d'être passé à côté de l'essentiel...
Du reste, ce n'était pas vraiment gênant étant donné la brièveté du livre. Je crois que s'il avait été plus long, malgré ses indéniables qualités, j'aurais sans doute fini par l'abandonner.

Peut-être que koinè (au même titre que d'autres livres édités par La Volte que j'ai pu lire) est une SF simplement un peu trop exigeante pour moi. Ce n'est pas grave, je suis sûr que d'autres y trouveront leur compte et j'y reviendrais peut être avec plaisir une fois que j'aurais eu l'occasion de creuser un peu plus le genre.
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Voici le dernier récit paru chez la Volte, « koinè » dans la collection Eutopia, une novella intéressante qui questionne et se montre aussi exigeante que l'on peut l'attendre de la part de cette maison d'édition.

Je dois bien reconnaître qu'il m'a fallu un temps d'adaptation au début – voire peut-être tout le long, en fait – pour m'imprégner du fonctionnement, de l'univers, comprendre où j'évoluais. Selon moi, c'est le type de texte que l'on lit… puis que l'on relit.

C'est court, mais riche, et l'on découvre l'environnement par le biais des personnages. Ce sont eux qui nous guident et nous dévoilent la ville à travers leurs voix qui se mêlent et s'entremêlent, ce chant qui anime le récit et dont chacun compose sa strophe pour donner vie à l'ensemble. koinè est une harmonie.

Chaque protagoniste a un ton qui lui est propre et au-delà d'un récit d'eutopie, je dirais que c'est un texte qui se montre très psychologique. On est plongé dans la psyché de chacun, dans leurs réflexions et leurs failles. Il y a une espèce d'aura de désespoir qui plane, et qui vient transcender l'idée de société idéale qu'on nous présente. Ce paradoxe vient questionner la viabilité de la société, oscillant entre la situation présente, le danger qui plane et le passé dont la réalité est encore un peu trop récente. Beaucoup de sujets se bousculent à travers le vécu de ces personnages qui semblent un peu égarés et viennent nous entraîner dans leur spirale.

Quelque chose de fort émane de la plume de Mélanie Fievet et pousse à réfléchir. Une manière d'amener ce genre qui présente un idéal pour finalement aller creuser plus loin, faire écho et questionner notre réalité. N'hésitez pas à vous engouffrer dans ce texte et en débusquer ses sens.
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Ne vous fiez pas à son faible nombre de pages, koinè est un livre dense et exigeant (comme toutes les publications de la Volte sur lesquelles j'ai pu poser les yeux).
Alors que les blessures d'un passé traumatisant (la disparition de la quasi totalité de la terre, rien que ça) sont encore à vif et que le présent semble bien sombre pour une population dont l'espace vital se résume à quelques plateaux et villes, l'auteure au lieu de nous décrire ce monde nous le fait comprendre par petite touches. En faisant le choix d'un roman choral, elle nous replace dans la réalité de chacun de ses personnages, une grande part de l'action se déroule en coulisse, nous laissant libre de notre interprétation.
Seul le décor de l'hôtel, qui constitue le seul hub de rencontre des différents personnages nous devient familier et c'est en pointillisme que nous comprenons le contexte global.
Ce choix esthétique rend parfois difficile le tri des informations cruciales de celles anecdotiques, et tout au long de la lecture j'ai constamment eu le sentiment de lire et relire certains paragraphes ayant parfois l'impression d'être passé trop brièvement sur certains faits.
koinè, malgré sa difficulté ne rebute pas le lecteur, mais au contraire lui donne envie de lire et relire certains passages. Une lecture riche qui appelle à une relecture de ce court roman dans les prochains mois afin d'en tirer plus que ce que cette première lecture m'a permis.
Comme d'habitude chez La Volte, on nous offre des livres exigeants dont la portée ne se fait pas forcément sentir immédiatement, mais dont les idées contribuent à une réflexion sur ce que pourrait être une civilisation « bonne » dont nous ne faisons qu'entamer l'exploration.
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critiques presse (1)
Actualitte
22 mars 2024
Mélanie Fievet nous offre ici un petit conte de toute beauté, où une plume généreuse et astucieuse se mêle à une philosophie et un regard lucide sur notre monde. C’est intelligent, c’est élégant – et c’est, comme souvent avec les éditions La Volte, un texte de science-fiction nécessaire.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Les plateaux en avaient entendu parler, de notre petite gelée. Deux heures après ils télégrammaient pour savoir si on avait besoin d’approvisionnement en bouffe ou en énergie. Pour la forme, surtout. Pour se dire que quelque chose encore nous relie, autre que les trains qui s’échouent sur nos quais avec leur charge de paumés fébriles. Que la Ville est plus qu’une centrale de retraitement des gens usés. Mais on a pas besoin d’eux, on fait très bien sans. Ils le savent, on le sait. On a des bonnes surfaces de production ici, pas un toit plat sans son potager, sa ruche, son champ de panneaux. N’empêche, ils prennent des nouvelles des fois, de loin en loin, on sait jamais. La plupart, ça doit faire depuis la révolution qu’ils ont pas foutu les pieds dans la Ville, alors forcément, ça tient un peu du fantasme. Y avait qu’à lire le Texte hier soir, on les tenait plus. Au moins deux cents plumes se sont mises à élaborer toute une arborescence consacrée à une romance rebondissante entre une Louise Michel butch et une écopythie au coeur pur, dans une métropole glaciaire attaquée par des aliens, non des dragons, non une conspiration secrète, et puis évidemment les protagonistes des autres branches ont fini là-dedans au bout d’un moment et ça a reconvergé, avec l’inévitable fil parallèle chaud comme la braise où tout le monde finit par coucher avec tout le monde pour la plus grande joie générale. Je dois dire, les premières fois enflammées avec débat sur les modes d’organisation autonome sur l’oreiller encore tiède, on fait pas mieux.
Kimia aurait adoré tout ça.
Elle avait qu’à être là, hein.
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Il a gelé sur tout l’est de la ville hier, cinq bonnes minutes à moins 30, de la Perspective à l’Agora. Tout de suite les riverains ont afflué autour de la permaspirale commune. Vite, vérifier les paillis, les cloches, les lampes à bourgeons. On a l’habitude, pourtant, on sait qu’elles tiennent le coup nos spirales, elles sont conçues pour ça, mais il y a des réflexes qui demeurent encore, quinze ans plus tard. Même ceux qui étaient pas sortis de leur thurne depuis des semaines, on les a vus passer, donner un coup de main symbolique. Toute la ville ou presque, trois mille têtes penchées sur la grande spirale à cajoler les racines et rassurer les pousses. Des mains inquiètes, incertaines, qui se raccrochent aux racines qu’elles peuvent. Côté ouest, passé la Citerne, pluie tiédasse de mousson flemmarde, pas un pélo dans les boulevards. Puis, comme toujours, ça s’est calmé comme c’était venu.
Moi, j’ai pas foutu les pieds dehors, faut pas déconner. Autre chose à faire. C’est l’avantage de tenir la réception : on a des prétextes. Qui débarquent leurs valises sous le bras et des poches sous les yeux. Là c’était royal, j’en avais trois, trois nouveaux résidents qui se sont pointés la semaine dernière. Mais même avant, même les mois où la pension est restée vide après qu’on a perdu Kimia, je sortais plus. Faut bien tenir ses engagements. Je participe, hein, attention. Je fais mes quatre heures quotidiennes de travail, comme tout le monde. Sous-sol de la ville. Retraitement des eaux usées. Là-dessous, quand t’es volontaire, personne te demande de comptes, du moment que ça fonctionne on te réclame pas les détails. J’ai un accès direct, une trappe, depuis les caves de la pension. Quitte à pas pouvoir me barrer, autant aller au bout de l’idée. Finalement, c’est de là que j’ai la meilleure vue sur la ville. En contre-plongée. J’en profite pour faire de la veille vétérinaire sur les quelques bestioles souterraines qui ne se sont pas carapatées vers la campagne en même temps que les humains, les rats plus ou moins mutés qui vivent leur meilleure vie maintenant qu’on est plus là pour les emmerder. J’assure le quart du petit matin, entre quatre et huit. Ce que je fais après ma journée, ça vous regarde pas. Je me suis pas terré dans cette planque depuis toutes ces années pour répondre à des questions indiscrètes.
Avec les trois nouveaux, les vingt thurnes sont à plein quasi. Certains de passage pour une paire de nuits dans les chambres libres, d’autres installés là depuis des mois ou des années, dans leurs appartements, en attente de quoi, même eux l’ignorent. Leurs contours flous se croisent et se touchent, un cirque bleu pétrole de poètes, de savants fous, d’ex-marins atterrés, de funambules et de fantômes. La plupart en pension complète. Sauf les nouveaux, donc.
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Chambre 3. Une jeune femme seule, les yeux jamais posés sur rien, la bouche et les mains ouvertes comme une Ophélie noyée. Sort tout le temps, rentre à pas d’heure mais déjà dehors quand je toque à la porte pour lui demander si elle souhaite que je fasse l’entretien le matin. Chambre 17. Bébé génie des réseaux, agenre comme quasi tous les mômes qui ont eu la chance de grandir après la floraison, avec la panoplie flippante des hackers de milice. Sort jamais, squatte la connexion, accepte à contrecœur dix minutes de ménage une fois par semaine. Chambre 4. Lui, il doit tutoyer la soixantaine, et il a la beauté fiévreuse des prêtres et des amants monstrueux, ceux qui hantent les cathédrales et les opéras après avoir brûlé trop vite leurs stocks de prières. Se balade partout dans la pension sauf dans sa piaule, prend en silence son petit déjeuner dans le réfectoire à l’heure où il se déserte, parle avec les chats dans la cour mais avec moi jamais. Parfait. Je tiens pas à discuter. Je suis pas Kimia, moi. Ils s’en rendront compte bien assez tôt. Elle – elle, elle s’était rendu compte de tout, tout de suite. Mais elle est plus là pour raconter. Alors je m’occupe. J’ai assez de boulot à faire et défaire le puzzle des pensionnaires, à me balader sur l’échiquier de leurs détresses, défigurer les noms, réécrire les visages. Parce que personne, personne, ne revient dans la Ville sans bagages.
Il leur faut juste un endroit où aller après. Faudrait. Pas à moi de savoir où. Si je savais, hein… Moi, je suis l’endroit où ils sont maintenant. Le réceptionniste dont ils ignorent le nom. Un genre d’ancre, si l’on considère que même le Titanic a besoin d’une ancre. Le temps qu’il faudra. Le temps qu’il reste.
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Je pourrais meubler le vide. Je les laisserais parler et je partirais, une ultime fois, m'injecter trois chapitres de romance musico-parfumée dans chaque narine. Une histoire de soldat abîmé par la guerre et d'escroc à la petite semaine qui se réfugient ensemble dans un sous-sol pendant une catastrophe naturelle et s'abandonnant à la passion dévorante qui les électrise. Je voudrais m'abîmer, me soûler d'amour fictif jusqu'à mourir, laisser pour de bon mon œuvre me survivre, la délivrer de moi comme elle m'a libérée d'elle, boire et manger tous mes livres d'une seule infinie gorgée, jouir de leur goût de miel dans ma bouche et de leur amertume dans les entrailles.
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Des profondeurs de la mer remontent, dans les matins inquiets, des remugles, des carcasses d'affirmations. Tout ça ne peut pas marcher. C'est irréaliste. Il y aura toujours des problèmes. Ce n'est pas possible. Parfois ces phrases refluent jusque dans nos voix. C'est normal.
Aux solistes, le Choeur répond, tendrement :
Parce que le monde que nous avons laissé sous l'eau, il était réaliste ? Il n'avait pas de problème ? Il marchait ?
Bien sûr que nous sommes traversés des lignes du doute, du désaccord, du désespoir parfois. L'utopie que nous avons bâtie n'a pas aboli pour toujours le chagrin, la violence et le vertige. Elle n'a pas garanti le bonheur universel et sans faille.
Il y a de l'or et de la lumière, pourtant, à fondre dans ces fêlures.

p.41
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