Qui sème le vent récolte la tempête.
Toute la vérité de cet adage viendra happer le personnage nommé Frank Braun. Capable d'émerveillement comme de la plus abjecte et malsaine désinvolture, l'ambivalence du caractère de cet anti-héros des plus intéressants inspire un mélange de fascination et de répulsion, autant aux autres personnages qu'au lecteur téméraire.
Il s'installe dans un petit village montagnard reculé, où se déroule une petite hérésie religieuse. Amusé de cette particularité de son lieu de séjour, il apporte son grain de sel à la situation. Bientôt, les choses prendront des proportions prodigieuses qui échappent à tout contrôle.
De façon insidieuse, l'auteur sonde les pulsions humaines et remuera les fibres de votre être. Attention aux âmes sensibles : il y a matière à entrer en pâmoison, certaines scènes sont à la limite du supportable.
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Frank Braun sentit un étrange frémissement l'agiter. Il eut l'obscure intuition, tout au fond de lui-même, que religion, volupté, cruauté sont de même essence. Cette folie furieuse, cette soif de sang, ce plaisir à contempler des victimes martyrisées, l'ivresse du vin, la danse frénétique, cette musique obsédante étaient, parmi tant d'autres, les moyens que l'homme emploie pour remonter vers les sources ancestrales, vers la conscience primitive de l'univers, vers l'origine de toute chose, jusqu'à Dieu.
La sainte jeta sa cravache à terre, ouvrir les deux bras, appelant toute l'assistance à elle. Tous s'approchèrent, formant autour de leur blanche reine un cercle de corps sanglants.
Il le connaissait bien ce besoin d'épanchement commun à tous les hommes. Les croyants avaient leur confesseur, les autres leurs maîtresses, ou leurs amis ; lui n'avait ni confesseur, ni maîtresse, ni ami. Jadis, il avait eu un caniche. Quand le chien lui léchait la main ou remuait la queue, il se sentait soulagé, pardonné. Depuis, son caniche était mort.
Il appela une gondole. Ils s'installèrent et, silencieusement, traversèrent Venise. L'eau croupie des canaux, couverts d'ordures, exhalait sa puanteur. (...)
Et Franck Braun pensait que Venise n'était plus qu'un gigantesque cadavre, à la chair pourrie. Et lui et Lotte pénétraient sans bruit, dans ce cadavre, glissaient le long de ses veines corrompues.
Les hommes qui croient en Dieu ne savent rien de lui. Pour les uns c'est un concept, la chose nécessaire à leur compréhension du monde, un moteur qui actionne tous les rouages. Pour les autres c'est un grand nom, une sorte de héros, comme un César, un Alexandre, un Napoléon, avec l'immortalité en plus. Il faut compter avec lui comme avec le percepteur ou la police.
Et quelles recettes ! L'étranger ne pourrait faire un pas sans mettre la main à la poche. A chaque porte il trouverait des souvenirs pieux et des journaux religieux. Et puis ce serait les bains et la Kurtaxe. Mais aussi quelles réjouissances ! Des processions au goût de la masse, genre confréries de Séville à la Barnum; des Mystères de la Passion, d'une sottise raffinée, dosés pour activer le travail des glandes lacrymales, des exhibitions de flagellants, auprès desquels les derviches les plus sensationnels ne seraient que des mazettes; des choeurs de castrats, si suaves qu'ils fondraient toutes les âmes dans le ravissement céleste.