Si je devais n'utiliser qu'un seul exemple pour expliquer ce qu'est la synesthésie, je choisirais sans aucun doute
La Symphonie des couleurs (d'autres prendraient les correspondances de
Baudelaire, poème tout aussi significatif). Grâce à la collaboration d'
Agnès Domergue (
Il était une fois... contes en haïkus, Mee, petite fille du matin calme) et d'Irene Valente, cette notion un peu étrange qui parle des cinq sens devient claire. L'histoire est celle de Gaspard, un garçon vivant dans la partition du dernier opéra de Mozart, la Flûte Enchantée. La partition reste enfermée dans un vieux grenier, pendant très longtemps. Gaspard n'a pas d'autre choix que de dormir, et lorsqu'il se réveille, il se rencontre avec stupeur que le monde a bien changé: gris, froid, morne, maussade... En se promenant, il se rend compte que peu à peu les couleurs reviennent, que ce qu'il entend prend forme autour de lui, et au final Gaspard se révèle être le signataire de
la Symphonie des couleurs.
Sur le texte, il y a deux choses à signaler. La première, c'est la musicalité des phrases, leurs rythmes: la synesthésie opère déjà par là, puisqu'en lisant, nous avons l'impression d'avoir affaire à une partition. de plus, le texte contient beaucoup de termes techniques, propres à la musique, qui sont définis à la fin de l'album, comme "portée", "dièses", "bémols", "note bleue" ("note bleue"... encore une fois, subrepticement, Madame Synesthésie a encore frappé!!!)... Mais surtout, et c'est ce qui fait tout l'intérêt de l'album, ou du moins en grande partie, c'est le mélange des sens. En effet, Gaspard "voit" des sons, qui ont chacun leurs couleurs, leurs formes, attribue chaque instrument à un animal (ce que fait un peu Beethoven dans sa Symphonie Pastorale, Saint-Saëns dans le Carnaval des animaux - avec le chant du cygne au violoncelle qui, à chaque fois, me fait pleurer - Prokofiev dans Pierre et le loup)
Les illustrations sont tout aussi bien trouvées. Elles consistent au départ en du découpage-collage. On se retrouve avec des pages de la Flûte Enchantée, qui fournissent en quelque sorte le matériau de base pour l'illustration; Irene Valente part de là pour ensuite peindre, dessiner Gaspard. J'aime beaucoup cette double-page où l'on voit Gaspard courir avec un filet au milieu des arbres, les branches desquels sont des lignes de portées. Par la suite, les illustrations sont inspirées de tableaux de grands maîtres ou de courants, comme Klee, Matisse,
Kandinsky... D'ailleurs, petit jeu que je vous propose: écoutez une oeuvre classique ou jazz, et associez-y un tableau, une couleur, des formes... Si vous arrivez à percevoir cela, alors vous êtes synesthète!
J'oserai, pour finir, avancer une idée tout à fait subjective. A mon avis, le fait de partir d'une partition de Mozart n'est pas anodin, puisque la musique du compositeur est haute en couleurs et nous pouvons y voir énormément de choses. de plus, Mozart a toujours été plus ou moins un enfant qui refusait de grandir... La joie de vivre, la finesse et la délicatesse de sa musique sont témoins d'une personnalité joueuse qui n'aimait pas la monotonie du quotidien.
Cet album est magnifique, et il permet aux enfants de s'initier à l'art pictural et musical. Il les incite également à faire attention au monde qui les entoure, à mieux ouvrir leurs oreilles, car il y a toujours un peu de musique dans notre entourage, malgré les apparences parfois trompeuses! du grand art donc: chapeau bas, mesdames!
Lien :
http://lesjeuneslettres.blog..