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EAN : 9782226397195
320 pages
Albin Michel (29/08/2018)
4.5/5   4 notes
Résumé :
C'est dans la conjoncture de l'après Deuxième Guerre mondiale et de la conférence de Bandung (1955) qu'émerge le paradigme postcolonial, courant d'idées qui accompagne l'entrée sur la scène internationale des pays décolonisés dits du « Tiers Monde ». Dans leurs critiques de la domination occidentale, le ou les postcolonialisme(s) ont mis en avant la traite esclavagiste transatlantique et la colonisation. Progressivement, une théorie plus radicale s'est imposée : la ... >Voir plus
Que lire après En quête d'Afrique : Universalisme et pensée décolonialeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique

Après les commentaires croisés entre Hélène (@4bis) et moi, suite à sa brillante chronique sur En quête d'Afrique(S) Universalisme et pensée décoloniale, j'avais compris que je ne comprenais rien, et en premier lieu les termes du titre.

Universalisme : Au-delà des différences culturelles et même socio-culturelles inévitables, existe une unité du genre humain. Ce concept a malheureusement été manipulé, par exemple par Jules Ferry, promouvant l'enseignement gratuit et obligatoire, et, par ailleurs, clamant que des races inférieures nécessitaient une formation bienfaitrice, d'où la justification de la colonisation française en Afrique.

Décolonial : Pensée née en Amérique du Sud, puisque remontant à la  colonisation par l'Espagne peu après la découverte du continent en 1492 et son occupation armée, puis l'envoi en masse des esclaves, enfin la prégnance de sa langue.

Dans le livre, il s'agit pour l'un du Sénégal, pour l'autre, du Mali principalement : Afrique de l'Ouest.

1- Une des premières questions posées, et qui donne lieu à un affrontement de la pensée entre le philosophe Souleymane Bachir Diagne et l'anthropologue Jean-Loup Amselle : l'universalité du fait post-colonial ne serait-il pas un eurocentrisme déguisé ? Ou au contraire, le déni de tout universalisme ne serait-il pas le triomphe du particulier et de la fragmentation ?
2- La pensée décoloniale donne-t-elle la priorité à la race ou à la classe ?
Lorsque S B d'dit que lorsqu'il présente son passeport sénégalais, il est traité avec plus de circonspection que s'il présente son passeport américain, J LA lui rétorque que son allure, sa prestance d'universitaire sénégalais n'a rien à voir avec le passeport d'un pauvre migrant bégayant le français.
Ce qui prime et divise n'est ni la race ni la couleur, mais le statut social et culturel.

3- L'universalisme : puisqu'il a donné lieu à différentes interprétations ne vaudrait-il pas mieux sortir de l'eurocentrisme et parler de pluriversalisme décolonial, dont l'unité serait le dévoilement du capitalisme ?
Entre la recherche de l'universel du genre humain, et la diversité des cultures, y a-t-il un hiatus ? Pour SBD, non : toute culture est pour lui commensurable, assimilable puisque le genre humain est un.

4- Pourtant, une certaine idéalisation de l'Afrique sous-tend le discours de SBD, lorsqu'il affirme que l'on a tort de croire que les cultures africaines sont uniquement orales. Et cite les manuscrits de Tombouctou.
Comme Césaire, qui ignore royalement l'esclavage interne pratiqué par les africains, il avance que l'idée que l'Afrique avait une pensée collectiviste est fausse : l'individu et ses droits y ont existé de tout temps. Dans les deux cas, une volonté de défendre à tout prix ceux qui ont été sans contexte opprimés, les amène à idéaliser le sujet.
JLA essaie, lui, de montrer que la critique du colonialisme arrive parfois en un primitivisme et essentialisme culturel, dont l'exemple serait la défense de la continuité de l'excision, la prohibition de l'homosexualité et de la libération des femmes : «  reprenant à leur compte les stigmates coloniaux en tentant d'en inverser le sens ».
5- La langue : là encore, rien n'est simple, et JLA cite les Peace Corps, qui apprennent la langue d'un pays pour mieux s'introduire, espionner, instaurant ainsi un impérialisme américain en ayant l'air de chasser l'ancienne puissance coloniale. Par ailleurs la cosmogonie dogon ne serait-elle pas une invention du sage Ogotemméli et de Marcel Griaule, transcrit dans Dieu d'eau et dont les pratiques de voyou volant la nuit les masques dogons sera critiqué par Leiris ? Il faut se garder d'essentialiser ces entités qui sont en réalité des produits historiques.
6- Selon SBD, à l'islam pacifiste, tolérant et ouvert, a succédé une religion guerrière, conquérante, s'installant dans tout le Nord de l'Afrique, puis créant le califat de Cordoue.
Cependant, dit-il, le Sahara n'a jamais été une barrière entre les monde nord-africain et subsaharien, et le soufisme reste une religion tolérante, qui certes ne s'interdit pas de faire la guerre comme Abd el-Kader l'a fait contre la colonisation française pour la liberté de l'Algérie.
A cela, JLA répond que la forte islamophobie, elle-même associée aux attentats et aux attaques djihadistes, doit être remise dans son contexte. Pourtant, la résistance de Samory Touré peut être comparée aux méthodes utilisées par les djihadistes, l'islam n'étant donc pas au-dessus de tout soupçon.

7- Parler de diaspora, dit SBD, comme une communauté soeur des habitants des divers pays d'Afrique, lorsqu'elle se retrouve aux USA cause esclavage, c'est, dit JLA, oublier les mélanges avec les autres communautés. Entre un Africain Américain et un Africain d'Afrique, une énorme différence et donc la notion de diaspora doit être nuancée.
Toujours, classe sociale, pas race.
8- Au lieu de parler de panafricanisme, mieux vaudrait aider les combats d'opposants aux régimes autocratiques et corrompus qui ont succédé aux indépendances. Car le combat est loin d'être terminé quant aux droits humains.
9- le post-colonialisme met en relation l'histoire de l'Occident avec la traite esclavagiste et la colonisation de la fin du XIX siècle. L'optique décoloniale, elle, fait remonter l'histoire de l'occident à 1492, date de la découverte de l'Amérique ET de l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne.

Ceci n'est qu'un maigre essai de parler de ce livre polémique et tellement parlant dans ses joutes. J'ai rempli les marges de mon livre de OUI passionnés, de points d'interrogation, de NON soulignés, et dire que j'aimerai que la discussion s'installe et s'enfle est peu dire. J'ai volontairement exposé les deux pensées questionnantes, sans vouloir parler de mon expérience et de mes convictions.
Sauf un concept : le racisme s'encre faussement sur la pigmentation de la peau, mais il se trouve infiniment plus dangereux quand il s'installe sur les exclusions, toutes les exclusions, provenant tout de même de la prédominance du Blanc à l'époque de la colonisation, dont les carnages au Niger par exemple sont curieusement occultés.
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Etudes postcoloniales ou décoloniales ? Universalisme ou universel ? Les distinctions peuvent sembler pointilleuses et leurs enjeux se limiter à des têtes d'épingle. Pourtant, à lire ces échanges passionnants entre Souleymane Bachir Diagne et Jean-Loup Amselle, entre le philosophe et l'anthropologue donc, on comprend vite que ce que ces termes peuvent recouvrer est particulièrement opérant pour penser l'actualité telle qu'elle se présente à nous, incandescente, d'une violence et d'une opacité inouïes.

« Race, culture, identité », « Africanité, afrocentrisme et représentation », « l'interdit racial de la représentation », « sur les spécificités culturelles et langagières », Merleau-Ponty, Césaire, Sartre, Barbara Cassin, le soufisme et son assimilation (douteuse) à un « islam noir », la diaspora, son sens étymologique, les impasses et les dangers que contiennent ses implicites, ce sont quelques-uns des titres, des noms, des idées que l'on croise dans ce livre.

Dans une succession de chapitres où ils prennent alternativement la parole, les deux hommes argument, critiquent la position de l'autre, posent leurs propositions, nuancent leurs propos des remarques formulées par leur interlocuteur. La conversation est subtile, précise, raffine les références. Mais cela ne l'empêche pas d'être tonique, à la limite de l'agressivité pour ce qui concerne Jean-Loup Amselle tout au moins dont la fougue tourne parfois à la provocation. Si c'était un garde-fou contre le risque que le lecteur s'endorme, il était inutile : le propos de cet ouvrage se suffit à lui-même et n'a pas besoin d'une rhétorique ferrailleuse pour se soutenir. La rondeur bonhomme sereine mais précise avec laquelle Souleymane Bachir Diagne y répond permet à la discussion de continuer heureusement, de prospérer.

Ce dont il est question en fait, consiste à savoir comment et d'où penser le monde. Que dit-on quand on parle d'Afrique ? (Mais la réflexion vaudra, on le comprendra très vite, autant pour l'Europe, l'Amérique ou tout point du globe). Employer le pluriel d'Afriques, est-ce fragmenter un continent ou reconnaitre au contraire la pluralité de ses identités de ses langues, de ses histoires ? Et même, qui est-on lorsqu'on se pose cette question ? Emane-t-elle de ces Occidentaux dont le « white gaze » (regard blanc) a coloré le reste du monde de leur point de vue en l'imposant comme univoque ? Ou d'un Africain ? Qui serait alors commis pour penser comme tel ? Dangereuse essentialisation qui restreindrait la liberté de sa pensée aux limites d'un continent. Et encore une fois, qu'est-ce donc que penser en africain ?

A ces questions conceptuelles, les deux hommes répondent, chacun à leurs manières, de façon historique, situationniste pourrait-on dire même. Les débats sont encore tout imprégnés de ce que les années de décolonisation ont produit de pensée, la préface de Sartre à l'anthologie de l'art nègre par Senghor, la lettre de Césaire à Maurice Thorez pour dire sa défection du parti communiste, les écrits de Fanon sont autant convoqués que des références plus contemporaines parmi lesquelles j'ai été heureuse de retrouver, entre autres, Achille Mbembe.

Le débat semble porter un moment sur la datation de la hiérarchisation des hommes entre eux. Faut-il la penser à partir de la conception d'une histoire en marche telle que la pense Hegel ou de la fin du 15e siècle et de la découverte de l'Amérique ? On pourrait criore que cela importe finalement assez peu. Car, d'une certaine manière, le résultat est le même : le monde dans lequel on évolue encore aujourd'hui est l'héritier de ces conceptions assignatrices où l'identité des uns est définie par les autres, essentiellement de manière à en faire des gens assez différents pour n'avoir pas les mêmes droits à être.

Pourtant, les réponses à apporter au problème diffèreront selon l'origine qu'on lui trouvera. D'ailleurs, on voit tous les jours que lutter contre les inégalités selon les catégories de faites aux femmes / aux noirs / aux arabes / aux…., répondre aux questions de droits à vivre sur une terre par des assignations identitaires qui essentialiserait une légitimité et discriminerait l'autre a des conséquences mortifères, déstructurantes pour nos sociétés. On ne peut pas faire l'économie de cette réflexion. Pas plus dans notre périmètre national où une forme d'ethnocentrisme voudrait essentialiser ce que sont les « vrais Français » que dans le champ international de ce que sont les normes et les exigences d'une communauté internationale sûre de son bon droit à exiger que tous se conforment à ses valeurs universalistes.

Reprenons donc la question et acceptons-en l'urgence tout en même temps que la subtilité : « le postcolonial est-il une mise en chantier d'un nouvel universel, qui serait véritablement tel parce qu'inclusif, ou bien signifie-t-il au contraire le déni de tout universalisme, le triomphe du particulier et de la fragmentation ? »

Je ne vais pas énumérer tout ce que j'ai appris, tout ce que ces dialogues ont utilement remis en perspective. Je vous laisse goûter à votre tour les découvertes, les reconfigurations des représentations, faire votre miel de ces réflexions riches et généreuses dans une forme qui permet à la fois de se représenter la pensée de chacun et de goûter le sel d'un enrichissement réciproque.

M'attarder peut-être simplement sur cette idée que le racisme, la conception de l'autre selon la couleur de sa peau est une idée qui, même si on la cantonne à un plan bassement opératoire (ce qui est déjà une façon de lui faire perdre tout crédit, évidemment), ne tient pas. Au 19e siècle, les Irlandais n'étaient pas considérés comme blancs par les Anglais. En Amérique, la « one drop rule » voulait qu'une seule goutte de sang noir fasse de vous… un noir (La tâche de Philippe Roth explore cette thématique). La question de savoir si les Arabes, si les Juifs étaient des blancs s'est explicitement posée dans l'Histoire, sans que l'absurdité même de son énoncé exempte qu'on lui apporte une réponse.

Ainsi, selon les temps, les contextes socioculturels des dominants, la couleur de la peau, à pigmentation égale, n'a pas été lue de la même manière. On en rirait si les conséquences n'avaient pas toujours été tragiques, excluantes, meurtrières. A ce compte, le fait d'être blanc est lui aussi un phénomène social, quelque chose qui traduit, non pas une pigmentation particulière, vous l'aurez compris, mais bien un ensemble de privilèges, d'habitus et de place dominante.

Et résister ne se fait pas tant en fonction de cet essentialisation d'une caractéristique qui n'a rien de physique que depuis la position subalterne où l'autre nous a mis « On n'a pas besoin d'être noir pour être nègre ».

Une autre chose que j'ai beaucoup apprécié est la discussion à propos des langues. Les langues serer, swahéli ou wolof au Sénégal, la manière dont la colonisation les a marquées, oui, ce qu'elles leur doivent. Mais aussi tout ce que leur histoire, les bassins où elles se sont diffusées disent des circulations des hommes et des idées, de l'universel horizontal avec lequel on peut, dans son histoire, aspirer rencontrer une commune humanité. Il ne s'agit alors pas de les sauvegarder coûte que coûte, d'exiger un usage puriste de la syntaxe ou du vocabulaire, de prétendre que quiconque né à tel endroit est en devoir de s'exprimer dans sa langue originelle s'il ne veut pas être suspecté de contribuer à sa disparation. Mais plutôt de voir comment ces mouvements disent à la fois la spécificité d'un contexte historique, géographique, des ouvertures, des connexions qui s'opèrent à ce moment là entre ce que sont ces langues et ce que sont les autres dans sa contiguïté.

Voir l'homme à la rencontre de ces influences et des choix qu'il opère ; le considérer par le prisme de ces choix qui lui permettent de se penser, en soufi, dans un monde en cours d'accomplissement où chaque différence est constitutive d'un grand tout divin. Que cette pensée apaisante ait des accointances avec celle de Spinoza ne vous aura ni échappé ni surpris. Maxime Rovere et l'ensemble de l'équipe mobilisée à commenter l'Ethique soulignent assez souvent tout ce que le philosophe doit aux philosophes musulmans (Averroès notamment) ou juif (Maïmonide) et plus largement à la tradition aristotélicienne judéo-musulmane d'ascendance médiévale.

Notre monde n'a pas besoin d'être segmenté, cloisonné pour tenir. C'est dans la multitude des liens, des pénétrations, des accordailles et des échanges qu'il persiste, dans la multitude des différences qu'il construit l'aspiration en cours d'être à un universel acentré.
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Le temps de la dispute politique

Dans sa préface, Anthony Mangeon parle de regards croisés, de discussion autour de deux courants théoriques – les études postcoloniales et la pensée décoloniale -, de contours et de différences concrètes, de point de vue nuancé, de lunettes culturelles, de l'exigence d'une décolonisation à parachever, de formes de domination et de discrimination héritées de la période coloniales, de discorde, « dans quelle mesure pouvait-on opérer un véritablement décentrement vis-à-vis de la pensée occidentale, qui avait influencé les fondateurs de la critique anticoloniale eux-mêmes, pour revenir à des traditions de pensée plus autonomes, voir autochtones ; et dans quelle mesure un tel décentrement était-il envisageable ou possible, au sein de la pensée occidentale elle-même ». Je note sans m'y attarder que le choix de certains mots est au coeur de la dispute entre l'anthropologue et le philosophe. Une pensée peut-elle être nommée par une zone géo-politique ? Y-a-t-il des traditions non inventées ? le décentrement n'est-il pas simplement un « trouble » sans atteinte aux rapports sociaux et à leur imbrication ?

Le préfacier poursuit et présentent certains théoriciens décoloniaux. Je souligne que les théoriciennes sont ici absentes ; il en sera globalement de même dans l'ouvrage, les auteurs centrant leurs débats autour des rapports sociaux de classe et de « race » dans le silence des rapports sociaux de sexe.

Anthony Mangeon aborde, l'eurocentrisme et sa critique, le point de vue de « l'homme blanc occidental » compris comme « seule mesure de toute connaissance possible et universelle » dans le rejet d'autres traditions intellectuelles ou formes de connaissance, les modèles construits de « civilisation » et de « barbarie », la consubstantialité et l'interdépendance entre modernité et colonialité…

Il souligne que les deux auteurs partagent « une critique acerbe de l'eurocentrisme et de son identification abusive à l'universel », leur scepticisme « à l'encontre des prétendues « ruptures postcoloniales » ».

Il présente « une philosophie de la traduction » de Souleymane Bachir Diagne, une réflexion à la croisée des disciplines et des mondes, une double exigence d'enracinement dans des « traditions de pensée « spécifiques » » et de dialogues entre ces traditions, l'histoire du parcours de l'algèbre, le poids de la langue dans les constructions « culturelles », un « universalisme cognitif », l'art africain, la philosophie en islam, la présence ancienne et dynamique de traditions écrites en Afrique, l'hybridation, « toute civilisation humaine n'est telle que parce que métisse » (Léopold Sédar Senghor)…

Il présente « une anthropologie sans concession » de Jean-Loup Amselle, le refus de tout essentialisme, le dépassement des oppositions binaires et des hiérarchies données comme naturelles, le déploiement des identités au sein de vastes réseaux, le « continu » et sa « défaite » au profit du centrage sur le « discret » et l'« identité », le paradigme historiciste de la lutte de classe, la critique de ce qui découpe ou fragmente les corps sociaux – « entailles verticales » -, la question des rapports de force…

Deux styles de pensée, deux modes opposés d'interpellation, des échanges passionnants.

Je ne connaissais pas l'oeuvre de Souleymane Bachir Diagne. J'avais lu certains ouvrages de Jean-Loup Amselle. Je ne vais pas ici discuter des points d'accords ou de désaccords avec l'un ou l'autre. Pour le second auteur, je rappelle, en fin de note, des lectures critiques antérieures ( voir sur le blog : https://entreleslignesentrelesmots.blog/2018/12/27/le-temps-de-la-dispute-politique/).
Les mots et les concepts sont polysémiques. Ils sont utilisés de manière très variable suivant les auteurs et autrices. Sans oublier une certaine magie théâtralisée dispensant d'en faire la critique historique et située, bref d'en discuter la pertinence politique. Les débats ou les disputes ne peuvent contourner les questions de sens, pour leurs utilisateurs et utilisatrices. Iels agissent et parlent dans des rapports asymétriques de pouvoir et de domination dont on ne saurait nier ou relativiser l'importance. Des contraintes et des contradictions. Les analyses théoriques et les prises en compte de l'« épaisseur » de l'action politique nécessitent de plus historicisation et contextualisation des discours des auteurs/autrices, sans oublier ceux des lecteurs/lectrices.

Au passage, il reste prudent de vérifier, au delà des termes employés, ce que les un·es et les autres essayent d'exprimer ou de revendiquer. D'où la nécessité de présentations successives, de débats, d'interpellations, de demandes de précision… sans insultes ou caractérisations à l'emporte-pièces…

L'objet n'est donc pas le consensus mais de rendre compréhensible les termes de la dispute ou du dissensus.

Ce livre, me semble-t-il, permet de mieux comprendre – mais non d'effacer – des accords et des divergences. J'en conseille la lecture, malgré certains « énervements » possibles à certains propos…

Souleymane Bachir Diagne & Jean-Loup Amselle discutent, sans concession, de multiples sujets qui nous intéressent toustes, qui doivent, me semble-t-il, être saisis à bras-le-corps pour avoir de l'émancipation des visions les plus inclusives et les plus larges possibles.

Deux lectures sur la question de l'universel (Pour moi, la prétention des un·es à imposer leur conception de l'« universalisme » doit être combattue, probablement aussi au nom du pluriversalisme, qui ne saurait être confondu avec un relativisme « culturel »), sur les représentions figées, sur les théories postcoloniales et décoloniales, sur les droits humains, sur l'accumulation du capital, sur les religions, sur le panafricanisme, sur l'histoire « en termes de phénomènes sociaux, politiques, économiques, etc. », sur la violence de la réduction en une « essence », sur les barrières réelles et imaginaires qui fragmentent le monde…

Chacun·e trouvera, dans ces dialogues, des points d'appui pour d'autres discussions, des critiques utiles contre les prêts-à-penser, des interrogations aux ombres portées de certaines idées, des divergences (maintenues, atténuées ou exacerbées) et des convergences possibles.

J'ajoute, en forme de contrepoint, que les pratiques d'auto-organisation – y compris dans les choix de non-mixité – pour l'émancipation ne sont pas, contrairement ce que pensent certain·es, une division. Plutôt la condition d'un ancrage social solide – mais non immuable – et de possibles choix démocratiques que seule la prise en compte de toutes les déclinaisons de l'imbrication des rapports sociaux permet. La hiérarchisation des luttes en front prioritaire et en front secondaire, l'oubli ou la relativisation de certaines dominations, concourent à l'affaiblissement de toustes.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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critiques presse (3)
LaViedesIdees
03 mai 2019
Le dialogue entre le philosophe Souleymane Bachir Diagne et l’anthropologue Jean-Loup Amselle révèle la difficulté à définir, dans le monde intellectuel français, la pensée postcoloniale et décoloniale.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
NonFiction
05 novembre 2018
En quête d’Afrique(s) restitue une conversation serrée sur le thème de l’universel et sur le cortège des notions qui l’accompagnent ordinairement lorsqu’on l’applique au continent africain : le Blanc, le Noir, etc. Autant de notions souvent orientées vers une connotation essentialiste, alors qu’elles se rapportent à des phénomènes sociaux et que la construction sociale de la couleur est désormais assez bien comprise – pour s’en tenir à ce seul exemple.
Lire la critique sur le site : NonFiction
LeMonde
10 septembre 2018
Philosophie, anthropologie : le continent suscite les polémiques. « En quête d’Afrique(s) », livre de débat entre les intellectuels Souleymane Bachir Diagne et Jean-Loup Amselle, en témoigne.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Pendant longtemps, le discours colonial (sous la plume d'anthropologues "occidentaux", mais aussi d'auteurs africains) a parlé de "l'Afrique" ou de "l'Africain" en postulant une africanité partout et en tout temps identique à elle-même. C'est contre ce type de propos qu'il est souvent rappelé que "l'Afrique n'est pas un pays" ; (...).
On risque tout autant de passer de généralisations inconsidérées sur "l'Afrique" à une posture de demi-habile, dirais-je, empruntant l'expression à Blaise Pascal. Pour ce dernier, est véritablement "habile" celui qui tout en comprenant pleinement, par exemple, que le pouvoir ne tire son prestige et son efficience que de son apparence, consent cependant à s'incliner devant lui en n'en pensant pas moins, en ayant ce que Pascal appelle "une pensée de derrière" ; en revanche le demi-habile, dans la m^me situation, se dépensera en mises en questions et révoltes inutiles, comme s'il pouvait exister un pouvoir qui ne dût rien à son apparence, un pouvoir "authentique" qui se soutiendrait de lui-même en se présentant nu. De même ici le demi-habile s'interdira-t-il de parler d'Afrique : du fait que l'Afrique n'est pas un pays, il en viendra à la conclusion qu'il n'y a pas d'Afrique et qu'il est préférable de parler plutôt d'Afriques au pluriel, s'il faut nommer les réalités du continent. On en arrive à cette situation où, pour ne pas retomber dans le travers de l'essentialisme, on juxtapose jusqu'à l'absurde des singularités qu'i faut surtout se garder de subsumer sous le concept d'Afrique et d'Africain. Il n'y a pas de science du singulier, il faut le rappeler. Débusquer donc et dénoncer l'essentialisme dès que quelque chose s'énonce comme africain, par exemple l'art africain, peut conduire à s'interdire tout énoncé,qui ne soit pas au singulier. Il n'y aurait à ce compte-là que l'art de tel terroir dont on dira avec insistance qu'il est radicalement autre que celui du terroir d'à côté... L'Afrique ne serait plus qu'un conglomérat de hameaux. On aboutirait ainsi à ce paradoxe que ce serait le seul continent qu'il faudrait écrire toujours au pluriel par réaction contre l'essentialisme et indifférenciation coloniale.
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dans quelle mesure pouvait-on opérer un véritablement décentrement vis-à-vis de la pensée occidentale, qui avait influencé les fondateurs de la critique anticoloniale eux-mêmes, pour revenir à des traditions de pensée plus autonomes, voir autochtones ; et dans quelle mesure un tel décentrement était-il envisageable ou possible, au sein de la pensée occidentale elle-même
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Vidéo de Souleymane Bachir Diagne
"Universaliser" - Souleymane Bachir DIAGNE
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