Le paradis caché est le genre de livre qui emporte le lecteur par son souffle romanesque, son message, et la puissance de ses personnages. Que la mort ait emporté
Luca di Fulvio juste avant sa publication le rend encore plus marquant.
Voilà une de ces lectures que l'on a envie de partager avec son entourage, avec ceux qui ont une même sensibilité et un même amour des textes qui font vibrer nombre de cordes sensibles, avec talent et sincérité. La preuve, je n'aurais sans doute pas succombé à cette lecture sans le conseil fort d'une amie proche.
Le roman est un partage d'émotions, un retour vers le passé, en Italie durant le premier tiers du XVIIe siècle, à travers les destins de deux enfants frappés par un drame similaire à leur naissance. S'élever au-dessus de sa condition durant cette période d'obscurantisme relève du rêve inaccessible, au point que la plupart n'y pensent même pas.
Imaginez donc deux enfants abandonnés au même moment dans un monastère, et la vie de misère qui se profile pour eux. Sauf qu'ils vont développer, chacun à leur manière, une force de caractère et une intelligence qui vont les aider autant que les desservir.
Surtout que leur rapprochement intellectuel va peu à peu se muer en alliance de coeur. Mais dans ces sombres années, il ne faisait pas bon vouloir changer l'ordre des choses.
On parle d'une époque où Copernic et
Galilée étaient accusés d'hérésie pour affirmer que la terre tournait autour du soleil. Où l'inquisition semait la terreur au nom d'une religion, allant jusqu'à brûler les femmes osant relever les yeux, les accusant de sorcellerie.
C'est l'histoire de Susanna, ivre de savoirs et d'une liberté chimérique, qui pourtant chercha à s'élever et élever les femmes de son entourage par l'instruction. Hérésie ultime pour ce système d'hommes.
Daniele, l'autre enfant, et un moine formidable qui les accompagne, vont pourtant croire en elle. Pour le meilleur et pour le pire.
Le paradis caché est un roman étonnant, parce qu'assez inclassable. Récit historique évidemment, peinture d'une période. Roman qui questionne la condition humaine, la foi. Mais aussi roman noir, enquête et thriller judiciaire. Et histoire d'amour impossible.
Le socle narratif s'appuie sur un procès pour meurtre et sorcellerie, celui de Susanna, entrecoupé de retours vers le passé pour comprendre comment elle en est arrivée là. Avec comme défenseur rien de moins que Daniele.
Ce jeu des temporalités va permettre rapidement de s'attacher aux personnages (ou de les détester), de les comprendre, de les intégrer en nous tout au long de ce pavé de 600 pages. Les chapitres courts font qu'on ne voit pas les pages défiler.
Des vies difficiles mais qui vont s'avérer hors normes, avec un récit qui joue le manichéisme mais surtout le romanesque. Avec un talent de chaque instant.
Combien de fois n'ai-je eu envie de noter une phrase marquante, un passage d'une poésie et d'une puissance qui frappe et stimule autant l'intellect que le coeur ? La plume de Luca di Fulvio fait sans cesse appel aux deux, toujours proche des émotions, sans jamais se regarder écrire. Avec un don formidable pour élever l'âme du récit, au service de ses personnages avant tout. Au point que l'ambiance vous emporte à côté d'eux.
Le récit est dur, mais toujours pointe un espoir, ce vent qui soulève et exalte, éternel optimisme de l'auteur même dans les pires situations. Pour autant, n'allez pas imaginer que la souffrance est édulcorée, loin de là, elle fait partie intégrante de la condition de chaque protagoniste.
Le personnage de Susanna est de ceux qu'on n'oublie pas, et sa volonté farouche à donner une vraie place aux femmes est un exemple de féminisme avant l'heure, usant des bonnes armes.
Luca di Fulvio questionne notre vraie place à tous, femmes et hommes. Son amour immodéré pour ses personnages, avec une empathie touchante, le récit sensible qu'il en tire, font que
le paradis caché se dévoile comme un trésor à la portée de tous.
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