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The Ex-People" est un objet littéraire non identifié, ou presque. Une bizarrerie baroque, le produit déconcertant d'une formule alchimique complètement barrée, un cocktail fantastico-médiévalo-tarantinesque, une aventure étrange aux accents aussi loufoques que désespérés…
J'ai eu un peu de mal à appréhender cette bande-dessinée qui mêle au scénario de
Stephen Desberg les graphismes et les couleurs (magnifiques!) d'
Alexander Utkin et il m'a fallu un peu de temps et une relecture pour avoir l'impression de l'avoir apprivoisé et aimé... C'est que j'ai été désarçonné et même si j'aime -en littérature du moins- les chutes, elles nécessitent toujours un peu de réflexion.
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The Ex-People" prend corps dans un Moyen-Age crasseux, cruel mais flamboyant, de ce Moyen-Age noir, sanglant dont la vision qui fait les beaux jours des romanciers et des scénaristes (salut "The Last Duel!") mais qui fait bondir les historiens. On y retrouve alors sur la route de Jérusalem sept pèlerins en quête de rédemption. Pour ces personnages hauts en couleurs et gueules cassées, fracassés par la vie puis par la mort, par l'injustice autant que pas la société, il est un seul but: retrouver leurs vies d'antan... Pour ce faire, nos héros aux allures de morts-vivants doivent s'unir pour le meilleur et pour le pire. Eux qui pensaient, en bon parias qu'ils sont devenus, que les quelques écus gagnés suffiraient à monnayer une rédemption désirée si avidement apprennent qu'ils doivent en réalité remporter la sommé convoitée le plus noblement possible... C'est là que le bât blesse... Et que l'ouvrage opère un passionnant retour en arrière nous permettant de faire connaissance avec nos sept fantômes et leur passé tout en nous révélant les raisons de leurs morts. Il y a Blaise pauvre écuyer qui fut jeté dans une geôle putride, l'enfant rousse qu'on brûla pour sorcellerie, le perroquet coureur de jupons, le chat écrasé, le militaire, le cheval et puis l'archère qui se révèlent dans une intrigue sanglante et qui fleure bon le cynisme le plus noir qui puisse être.
L'intrigue file à toute vitesse, rocambolesque, énergique, presque délirante. Les actions s'enchaînent, se superposent; le rythme est syncopé, fou... Et si le tout est généreusement arrosé d'un humour corrosif et complètement décalé qui m'a cueillie avant de le faire rire à gorge déployée, on trouve sous ce vernis décapant qui en fait des tonnes des questionnements et des thèmes bien plus profonds qu'on ne pourrait le croire, bien plus désespérés aussi: cette insupportable vacuité de la condition humaine! Que dis-je "vacuité"! Absurdité plutôt. Et l'injustice qui toujours et depuis toujours régit la société, contre laquelle on ne peut rien qu'un combat perdu d'avance, Don Quichotte contre les moulins à vent, façon trash et complètement désinhibée...
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The Ex-People" est un voyage en eaux troubles, barré et violent à souhait, engagé, "Pulp fiction" au Moyen-Age au scénario finalement très addictif quoique franchement étrange et servi par des dessins auxquels je ne pensais pas accrocher au départ et qui ont pourtant fini par m'avoir: traits épais, à vifs avec ce petit quelque chose de faussement négligé, un peu vintage, à la façon des comics d'antan.
Et ce travail sur les couleurs! Et cette qualité éditoriale!
Mon seule regret finalement réside dans la rapidité de l'album qui va presque trop vite et qui laisse un sentiment agaçant et tenace de frustration.
Secouée mais convaincue, c'est dire si je remercie chaleureusement Babelio et les éditions
Grand Angle p, our cet envoi curieux mais euphorisant.