Géographies: Ce qu'ils savaient de la France

Un travail remarquable de Léonard Dauphant que ce livre. de quoi parle-t-on : de la conscience que l'on a d'un ensemble et de la représentation que l'on s'en fait ? Inscrire cela dans une idée de nation telle que l'on pourra se la former au XVIIIe siècle finissant et au XIXe siècle, c'est le piège que l'auteur a évité mais dont il sait que beaucoup sont tombés dedans à pieds joints. Si l'on se défait de la vision fabriquée après le Moyen-Âge de frontières sur le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. On n'a pas de cartes, mais on explore les côtés, on essaye de figurer cela par des images qui tentent d'être précises, et les enquêtes seigneuriales conduites sur des territoires pour recenser tous les contribuables font que rien n'échappe à ceux qui collectent les fonds (ils connaissent bien les chemins et les routes pour ne laisser aucune parcelle ignorée), les princes cherchent à savoir sur quelle zone s'exerce leur pouvoir et ils s'informent, les premières ébauches de "cartes" au XIVe siècle et au XVe siècle sont des projections de lignes qui se croisent et passent par des centres que l'on repère (centres urbains, centres du pouvoir, capitale). Chacun sait où il faut passer pour "franchir des bornes" grâce à des bornes justement (curieusement en forme de menhir mais qui sont bien médiévales, comme en Alsace) et qui permettent à des marchands de se repérer en chemin durant de longs trajets. Enfin, on compte moins en unités de mesures qu'en unité de temps, en nombre de jours de voyage, que ce soit sur mer que sur terre.
Enlevons-nous de la tête l'idée de la recherche d'une idée nationale dans ce repérage, les prises de conscience de limites et de confins ne se marquent pas selon des frontières qui correspondraient à nos schémas hexagonaux (on croit plutôt pouvoir dessiner alors un losange, on cherche à vérifier que cela est vrai et on attendra d'un membre de l'entourage royal qu'il confirme cela en raison de son intérêt personnel pour les questions géographiques ; encore une fois, il s'agit d'une quête de connaissance qui va permettre d'informer le roi, tête du royaume).
Et quel est ce royaume et où pose-t-on ses points extrêmes ? La formule : "royaume des quatre rivières" peut nous aider en partie à répondre à cette question. Rhône, Saône, Meuse, Escaut, tout tend vers l'est et vers le nord. On est là sur quelque chose qui met au contact des Flandres et du Saint-Empire romain germanique, en plusieurs points, comme si la France cherchait moins à se construire selon les fantasmes qui seront ceux de la Révolution française (dans le projet de mise en forme d'une identité nationale grâce à des rectifications de frontières confortant l'idéologie alors dominante) mais bien dans une recherche d'agrandissement tendant à grignoter le Saint-Empire pour permettre aux rois de France de prétendre peut-être plus tard - quand ? - devenir de possibles candidats à la dignité impériale : n'est-ce pas ce que tentera de faire François 1er face à Charles-Quint ? Cela, Léonard Dauphant ne le dit pas, mais je soulève la question dans le complément sur l'acquisition du Dauphiné de Viennois qui termine mon livre sur Charles V le Sage Dauphin, duc et régent.
L'ouvrage de Léonard Dauphant est à mes yeux incontournable, comme référence, quand on travaille sur la représentation spatiale et sur les éléments cognitifs qui ont permis aux hommes du bas Moyen-Âge de se figurer ce que pouvait être le royaume de France.

François Sarindar, auteur de Charles V Dauphin, duc et régent (1338-1358)