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EAN : 9782330183066
288 pages
Actes Sud (04/10/2023)
4.5/5   7 notes
Résumé :
" Ma bouche était maintenant grande ouverte et dès lors mon cou s’allongea d’une façon qui me parut inquiétante et démesurée, amenant mon visage à l’orée des petites feuilles charnues, mes lèvres bientôt touchant leur glacis, mon nez respirant de près un parfum vaseux et herbacé, jusqu’à ce que j’éprouve, sur ma langue, une fraîcheur sirupeuse, un goût de verdure légèrement amère, de haricots verts crus, de persil léger. ”

Dans la réserve des Marais ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Entre septembre 2021 et octobre 2022, l'autrice Céline Curiol s'immerge plusieurs fois quelques jours dans la réserve des marais du Vigueirat située sur la commune d'Arles en Camargue, 1200 hectares dont 919 classés en réserve naturelle nationale. de cette expérience personnelle et intimiste, elle va en tirer ce magnifique livre.

Le gîte est sur place : un petit cabanon ne payant pas de mine, dans lequel Céline Curiol va devoir vivre durant chacune de ses immersions, plusieurs selon les saisons pour un total de six semaines, afin de bien se familiariser non seulement avec la réserve, mais surtout avec la faune et la flore la peuplant et changeant au gré des saisons.

Dans ce livre documentaire à la fois journal de bord, expérience personnelle, réflexion philosophique voir métaphysique et actions techniques sur la biodiversité, Céline Curiol livre ses impressions, sa perception de la nature qui l'entoure, sa perception de l'inconnu, car l'autrice ne se targue pas de connaître le sujet avant de s'y trouver plongée. D'ailleurs, les premiers jours seront ponctués de peurs, des bruits diurnes comme nocturnes qu'elle ne connaît pas et dont elle se méfie. Je pense ici notamment à ce serpent qu'elle découvre dans son gîte (à propos, notez bien la majuscule dans le titre sur le mot « l'Épreuve »).

Peu à peu elle trouve ses marques, observe, notamment à l'aide de jumelles, les oiseaux et autres êtres non humains de la réserve. Grandement épaulée, pilotée, soutenue par des professionnels du lieu, elle apprend, chaque jour un peu plus, et nous fait part de son évolution personnelle, de ses sens qui se développent, qui muent en quelques jours. Il est temps pour Céline Curiol de redéfinir une réserve naturelle, très loin de ce que l'on peut supputer dans l'imaginaire collectif. Ces pages sont primordiales pour bien comprendre sa démarche.

Pour que l'écosystème, la biodiversité d'une réserve naturelle soit équilibrés, il faut que l'humain y mette du sien, de manière pragmatique, feutrée, précise et scientifique, fort des siècles d'apprentissages sur la nature. le XXIe siècle est celui où nous commençons à cesser d'entrevoir celle-ci comme un loisir, une aire de jeu, un danger potentiel, mais bien comme une vie entière, parallèle, avec ses nombreuses interactions, mais aussi ses prédateurs, pouvant apparaître sous la forme d'invasifs.

Des invasifs, il en est longuement question, notamment ces pages fort instructives sur la jussie, une plante au développement rapide, qui étouffe la nature, et que l'humain peine à éradiquer pour ne pas qu'elle condamne l'environnement immédiat à court terme. Sans oublier l'iris sacré, un sacré oiseau celui-ci. La raison de ces invasions ? L'humain, dans ses déplacements toujours plus nombreux : « Les déplacements, délibérés ou non, par les humains, d'espèces végétales ou animales vers de nouveaux écosystèmes remontent à plusieurs millénaires. Ils se sont pourtant accentués depuis le XVIIIe siècle avec le développement de la navigation maritime d'abord, puis les infrastructures routières et les vols long-courriers. Les biologistes estiment qu'au cours des deux derniers siècles, l'être humain est devenu le principal vecteur d'introduction d'espèces dans des lieux différents de leur milieu d'origine ».

L'équilibre naturel est à la fois d'une grande richesse et d'une rare fragilité. Alors il faut veiller, prélever, analyser, déduire. L'humain n'est qu'aux balbutiements de la compréhension du fonctionnement des espèces, leur génétique tout comme leurs interactions, il est enfin un peu mieux armé pour les protéger.

Les images suggérées sont parfois d'une beauté saisissante, comme ces grues cendrées alors en pleine migration (nous sommes en hiver), qui font escale dans la réserve entre Scandinavie et Espagne. Elles sont peut-être 4000, majestueuses. Céline Curiol explique aussi les bouleversements de ce précieux équilibre du fait du réchauffement climatique.

Les stars du lieu sont bien sûr les flamants roses, que l'autrice dépeint longuement, avec tendresse et humour, n'oubliant pas d'énoncer quelques anecdotes, qu'elle sait implacables pour faire sourire son lectorat, comme celle-ci : « Lors des parades nuptiales, les flamants, mâles comme femelles, s'efforcent d'être le plus rose possible grâce à une pratique surnommée « maquillage », qui consiste à passer sur leurs plumes externes, à l'aide de leur bec, une substance colorante sécrétée par une glande anale destinée à cet usage ».

Le présent ouvrage regorge de photographies en noir et blanc prise par l'autrice sur site, elle nous font mieux réaliser certains des propos débattus dans ce texte.

La mise en péril de l'équilibre de l'écosystème peut surgir n'importe quand, aussi une extrême vigilance est de mise en toute saison, notamment pour contrôler ces « fameuses » espèces invasives qui peuvent rapidement tout faire basculer. D'autant que malgré le réchauffement climatique, la réserve se porte plutôt bien, pour preuve le retour de la loutre sur site. Mais attention, « Depuis vingt ans, 30 % du nombre d'oiseaux en France ont disparu et 70 % du nombre d'insectes… Et ce fut alors une intense nostalgie qui nous saisit tous deux, la nostalgie de ce qui, un jour, sous peu, aurait disparu. Y compris ce lieu ».

Ce livre est palpitant de bout en bout, nous y apprenons beaucoup, comme Céline Curiol y a beaucoup appris, et elle souhaite aujourd'hui nous transmettre ses connaissances dans une belle langue à l'écriture fluide, recherchée mais fort accessible. Un documentaire paru fin 2023 dans la très belle collection Mondes Sauvages d'Actes sud, qui se lit avec intérêt et délectation jusqu'à la dernière ligne, une citation de Charles Elton : « Il existe […] probablement plus d'un million d'espèces animales dans le monde. le genre de coexistence que nous pouvons espérer avoir avec elles sur le long terme dépend beaucoup de l'attitude que nous adoptons à l'égard de la vie sauvage et de la nature en général ».

La collection Mondes Sauvages est soutenu par la nécessaire, salutaire et très active Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS).

https://deslivresrances.blogspot.com
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Coup de coeur !!

Les chasseurs ne venaient pas dans la réserve, finis-je par comprendre. Ils se trouvaient aux abords, au bord même du canal qui en délimitait la partie ouest, le canal d'Arles à Bouc. Là, sur quelques kilomètres, se jouait une tragicomédie dont seuls les hommes ont le secret, une absurde tragicomédie, plus macabre qu'un Pirandello, dans laquelle les oiseaux qu'on s'efforçait de protéger d'un côté d'une limite de propriété étaient pris pour cible de l'autre.
À l'aube comme au crépuscule, les hommes aux fusils aux aguets attendaient leur sortie dès franchie la ligne rouge dont les cieux ne portaient aucune marque. Fin du paradis, début de l'enfer, juxtaposés mais distincts." (p 26)

Invitée par son éditeur à se rendre dans un lieu improbable pour une urbaine de Belleville, une réserve dans le sud de la France, dans les marais du Vigueirat, non loin de la Camargue, l'autrice ne sait guère à quoi s'attendre ; néophyte en sciences de la nature, elle découvre et apprécie sans prérequis ce qui va constituer son environnement.
Dans son cabanon inconfortable et sans eau potable, elle se fait du feu pour une première soirée joyeuse, à mille lieux de ce que font les autres, là-bas, en ville ; la peur de la nuit mettra tout de même du temps à disparaître...

Elle a le droit de se déplacer seule sur deux chemins d'environ 500 m qui rejoignent des postes d'observation ; l'idée est de ne pas gêner les animaux sauvages, de n'écraser aucune plante, de ne pas faire de bruit...
Elle est là pour observer, examiner, contempler. Et comprendre ce qui se passe en elle, dans ce milieu inconnu, où tous ses sens sont en éveil face à cette nature nouvelle, une sensorialité dont elle ne se doutait pas. Elle est émue, souvent, par la beauté, l'agilité, l'intelligence des animaux qu'elle croise et qui l'étonnent ; elle quitte rapidement un anthropocentrisme dont elle ne se doutait pas pour rejoindre en tant qu'être vivant, l'ensemble des êtres vivants, et ne plus se placer "au sommet de la pyramide" !

C'est à son retour parisien, que la narratrice aura l'impression d'être séparée du réel, de ne plus être en contact avec le reste des créatures vivantes ; " Enfermés dans et par nos propres constructions, infrastructures, réseaux, nous considérons comme superflus, sauf à titre domestique, les échanges avec d'autres espèces, jugées inférieures, inaptes à nous apporter autre chose que les éléments organiques fournis par leurs corps morts ou captifs." (p 107)

Ils sont très réussis les petits paragraphe où, se mettant à la place d'un animal sauvage, elle détaille ses mouvements : " ... plier, poser, plier, poser. Attention. Avancer comme les autres, traverser le fluide, pas trop vite. Délicat. Plier, poser, plier, poser..." (p 47)

Elle reviendra plusieurs fois dans son cabanon au fil des saisons d'une année, menant des observations avec les guides de la réserve naturelle ou continuant son dialogue intérieur, ses réflexions sur les questions - parfois naïves - qu'elle se pose face aux événements : par exemple pourquoi telle espèce exotique ( = venue d'ailleurs, non autochtone) devient-elle invasive ? Avons-nous raisons, nous les humains, d'essayer de conserver des zones "en l'état" ?
Céline Curiol décrit superbement ce qu'elle observe, les oiseaux en particulier, leurs façons de se nourrir, de se toiletter, de voler, de se parler ; elle se demande " Comment nommer, sans verser dans l'emphase, ce dont mes yeux, mon corps tout entier, se régalent ? Une harmonie exquise, un époustouflant équilibre de teintes, de nuances, de formes, de sons, de texture, d'ondes... (p 202)

C'est un livre magnifique, à la fois poétique, philosophique, extrêmement bien écrit, juste scientifiquement, et qui tape fort !

Pour terminer, une des plus belles phrases de ce récit : " supprimer autour de nous les formes de vie qui ne répondent pas à nos codes et règles sociales, c'est supprimer en nous leurs échos, leurs mystères, leurs perspectives, leurs possibles." (p 108)


Lien : https://www.les2bouquineuses..
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Parce qu’elle est la plus représentative de l’écosystème mais aussi parce qu’elle est à la base de la chaîne alimentaire, c’est la végétation des sansouïres qui constitue un objectif prioritaire de cette conservation : les soudes, les salicornes, les saladelles (les 3S) ainsi que les joncs piquants et les inules en forment les principaux éléments distinctifs. C’est pour le préserver, notamment, qu’à été instaurée une gestion hydraulique spécifique, permettant de conserver une version donnée de ce territoire qui, sans cette intervention serait voué au changement (que ce changement soit ou non bénéfique les experts sont en mesure de développer des présomptions bien que toujours incomplètes). Cette version doit être la plus authentique possible afin de faire en sorte que la Camargue demeure…la Camargue.
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" supprimer autour de nous les formes de vie qui ne répondent pas à nos codes et règles sociales, c'est supprimer en nous leurs échos, leurs mystères, leurs perspectives, leurs possibles." (p 108)
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0:16 Introduction 0:50 **Le Journal d'Olga et Sasha** d'Olga et Sasha Kurovska et Élisa Mignot 16:44 **Derrière la clôture verte** de Richard Glazar 21:35 **La Chine ou le réveil du guerrier économique** d'Ali Laïdi 28:13 **Earth for all/Terre pour tous. Nouveau rapport au Club de Rome** 32:20 **La Fabrique des animaux** avec Yann Arthus-Bertrand / L'Art faber 33:54 **Les 7 Cabanes** de Lionel Astruc 35:58 **Paysans et citoyens. Enquête sur les nouveaux liens à la terre** de Véronique Duval 39:20 **Invasives, ou l'Épreuve d'une réserve naturelle** de Céline Curiol 45:00 **Le vivant et la révolution. Réinventer la conservation de la nature par-delà le capitalisme** de Bram Büscher et Robert Fletcher 47:52 Cahier militant **Refaire le monde avec Jane Goodall** 49:50 **Naviguer sur les sentiers du vent** d'Olivier le Carrer 57:25 **Énergie ! Comment sortir du labyrinthe de la fatigue** du Dr Anne Fleck
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#rentréelittéraire #essais
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