" L'histoire était simple mais énigmatique, comme tout ce qui se passe à Kulumani."
Dans ce roman choral, Mariamar et Arcanjo Baleiro ("le chasseur") évoquent la panique qui s'est emparée du village de Kulumani après que des humains aient été attaqués par des lions.
A travers ces récits animistes, qui donnent parfois (souvent même) l'impression d'être décousus, les personnages évoquent les côtés les plus sombres des êtres humains et du pays qu'ils habitent.
Derrière les images poétiques auxquelles
Mia Couto nous a habitué et un détachement apparent du problème des lions, le roman décrit des réalités difficiles du Mozambique : isolement, médisance, travail des enfants, viols, inceste, silences lourds et pesants.
On comprend vite que la chasse au lion n'est qu'un prétexte et que les apparences et dialogues convenus masquent des instincts humains que les convenances de la civilisation tente de dissimuler. Plutôt que d'affronter cette part d'ombre, les individus se contentent d'évoluer dans les pièges dans lesquels ils se sont mis eux-mêmes ou dans lesquels le groupe les enferme : la hiérarchie et la loi du village, les contrats, la condition sociale ou le genre. Et la meilleure stratégie pour éviter ses parts d'ombres, dans la littérature comme dans la vie : c'est d'accuser l'Autre. Et lorsqu'il s'agit d'un animal sauvage et à la réputation féroce, la démonstration n'est pas à faire. Que ce soit les personnages ruraux (comme le chasseur) ou les intellectuels (comme l'écrivain), tous se parlent sans se comprendre et sans chercher à atteindre ce but car l'objectif est tout autre : être rassemblé autour d'une cause et d'un ennemi commun.
Dans ce roman aussi j'ai relevé de nombreux passages pour leur beauté ou leur vérité incisive. Certes, je ne peux pas dire que c'est le meilleur de l'auteur tant je me suis ennuyée par moments, lassée des égarements mais la fin m'a conquise et fortement émue. Et que dire de la maestria avec laquelle il nous expose les manipulations de notre réalité (avec les photos, les journaux et la narration même) : c'est de la littérature, tout simplement, celle qui joue avec les mots et les lecteurs. Et la lecture des romans de
Mia Couto (ou de romanciers d'autres continents, de manière plus générale) constituent une façon de se confronter à une autre façon de voir et comprendre le monde et ses réalités. Alors oui, les procédés stylistiques qui consistent à brouiller ou déplacer sans cesse les frontières rationnelles de nos perceptions, mais aussi la narration qui oscille entre faits, Histoire, sagesse ancienne et contes nous éloigne beaucoup de notre zone de confort occidental. Mais est-ce un mal de s'y confronter de temps en temps ?
C'est vrai que ce n'est pas le type de texte accessible/appréciable par tous les types de lecteurs, mais ce n'est pas propre à l'oeuvre de
Mia Couto, ni à ce type de littérature. Pour ma part je retiens la belle récompense qu'a été la fin du roman.