Marianne Payot, l'Express le 18 septembre 2012
Et maintenant, à qui le tour ?" C'est ainsi que s'achève, ou presque, le formidable roman, diablement autobiographique, de
Jeanne Cordelier.
Jeanne Cordelier, vous vous souvenez ? L'auteur de
la Dérobade, en 1976, ou l'incroyable témoignage d'une jeune fille livrée à 18 ans, par sa mère, à un proxénète, et de
Reconstruction, récit d'une résilience marquée par l'écriture. Avec
Escalier F, la désormais sexagénaire puise de nouveau, avec sa gouaille de Parigote élevée à la dure, dans le matériau familial et ses fantômes. Christian, Michel, Lulu, Andrée, Patrick... sont tous morts en l'espace de quelques années. Restent Edmond, dit Ed, l'aîné, repris de justice, Bernard, employé municipal, et Dany, la narratrice. A qui le tour ?
Au départ, il y a donc une fratrie de six enfants, "une cordée, celle de la 2e cour,
escalier F, 6e étage sans ascenseur", unis dans l'adversité - la violence et les assauts du père, Lucien, et les insultes de la Folcoche de mère, Andrée. Deux pièces pour tout ce petit monde, pour "une enfance de merde". C'est Andrée, "la perversité même", qui focalise l'attention de Dany. "Elle m'a portée neuf mois, mais je l'ai portée toute ma vie", écrit-elle de cette "avaleuse de glands et tueuse d'enfants". Elle ne se rendra pas à l'enterrement de Christian, son fils de 52 ans, le premier parti après quelques années de misère et de souffrance, pas plus qu'à celui de Lulu, fille courage, qui faisait encore des ménages à 66 ans, et c'est de sa tombe qu'elle assistera au suicide de Patrick, le benjamin...
Alcool, tabac, inceste, prostitution, coups... L'univers de Dany, alias Jeanne, n'a rien d'un nirvana. Et pourtant, c'est là que le miracle se produit.
Escalier F n'est jamais glauque ni déprimant. Bien au contraire, avec sa vivacité de plume, son humour, son parler populaire et la chaleureuse description des sentiments fraternels, ce récit est une véritable leçon de vie !