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4,01

sur 4477 notes
Un style inimitable, un chef d'oeuvre de la littérature!

On me l'a offert à ma demande pour mes 20 ans, je l'ai ouvert puis découragée par le style avec lequel je n'arrivais pas à accrocher, j'ai abandonné en me disant que ce serait pour plus tard.

Et trois ans après en effet, j'ai ré-ouvert Belle du Seigneur.. pour ne plus le refermer avant la fin. L'ironie cruelle de Cohen, la force de ses images, et la poésie de son écriture resteront longtemps imprimées en moi. Alors si vous êtes découragés, laissez à ce livre le bénéfice du doute, parfois il faut juste lire le livre au bon moment (qui ne coïncide pas toujours avec le moment où on l'acquiert).
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Belle du seigneur est un grand roman d'amour; mais c'est bien plus que cela. Ariane est mariée à Adrien; elle s'ennuie à mourir. Lui, petit fonctionnaire arriviste de la Société des Nations, lui voue un amour fade et convenu. Solal, sous-secrétaire général de la S.D.N., tombe amoureux d'Ariane. Habilement, il éloigne Adrien pour une mission diplomatique de plusieurs mois, pendant lesquels il va vivre avec Ariane une passion dévorante. Il va perdre son emploi pour avoir voulu protéger ses frères juifs de la folie meurtrière des nazis. Éloignés du monde et renfermés dans cet amour extrême, Solal et Ariane vont plonger dans une descente aux enfers qui les conduira au suicide.
Au-delà de l'expression de cet amour ultime, beau et pathétique, Albert Cohen enrichit son roman de personnages truculents (les oncles de Solal) ou ridicules et pitoyables (Adrien Deume, mari d'Ariane; Antoinette Deume, belle-mère d'Ariane). Il fixe son récit dans une période trouble et menaçante de l'histoire, qui contribue à précipiter Solal et sa maîtresse vers une fin inévitable.
Il y a des livres de 100 pages qui vous tombent des mains, tellement ils sont insipides et mal écrits; celui-là est un gros pavé que l'on regrette de terminer.
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Après une lecture, adolescente, me voilà replongée dans les quelques 1100 pages de "Belle du Seigneur". On s'y coule avec délice, l'écriture, tantôt pleine de fioritures magnifiques , tantôt un enchaînement d'idées sans liens, sans points... Un style hors du commun, subtil, une connaissance de l'humain, dans ses aspects les plus touchants, les plus malsains, tout est là, le contexte historique en filigrane, qui influe à sa manière sur le cours de la petite histoire.
Et l'Amour, ah, quel amour, qui se veut tellement autre, pur, au-dessus, différent de ceux des autres, bassement humains, un Amour divin... mais l'Olympe n'est pas un Paradis. la flamme de l'amour exclusif brûle fort, trop fort, trop près, réduisant tout en cendres.
Un immense oui à cette lecture indémodable, inaltérable !!!
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La trame romanesque[modifier | modifier le code]
Le récit commence en Suisse, à Genève au milieu des années 1930.

Dans la première partie (le 1er mai 1935), Solal s'introduit chez Ariane Deume, une belle jeune femme qui l'a ébloui lors d'une soirée, lit son journal intime. Déguisé en vieillard juif, il se déclare avec lyrisme et passion. Mais Ariane, effrayée de l'intrusion de ce vieillard hideux, le repousse. Solal jure alors de la séduire, comme il séduit toutes les autres femmes. Ariane perd donc sa seule chance d'être séduite de manière non vile. le même jour, Solal accorde à Adrien Deume, un fonctionnaire aussi paresseux qu'ambitieux, la promotion dont il rêvait. Adrien est tout heureux de l'inviter au premier « grand » dîner.
La deuxième partie se déroule entre le 29 mai et le 8 juin 1935. Elle présente d'abord les Valeureux, cousins orientaux de Solal, qui arrivent à Genève. le premier juin, Adrien prépare avec l'aide de sa mère un dîner que Solal doit honorer de sa présence1. Mais celui-ci ne vient pas. Quelques jours plus tard, il envoie Adrien en mission à l'étranger pour douze semaines avec de vagues instructions6. le soir de son départ, Adrien est invité à dîner avec Ariane par Solal à l'hôtel où ce dernier habite à l'année. Dans son ivresse, Solal annonce à Deume vouloir séduire une « Himalayenne ». Deume ne se doutant pas qu'il s'agit de sa femme, s'éclipse discrètement lorsque celle-ci, après avoir dans un premier temps refusé le dîner, se rend finalement au Ritz afin de ne pas entraver par ses refus de mondanité la carrière de son mari. Solal parie alors avec Ariane qu'il la séduira dans les trois heures et parvient à conquérir le coeur de la Belle. Commence alors une passion amoureuse fusionnelle. Mais Solal est à la fois amoureux d'Ariane et dépité de l'avoir conquise par ses « babouineries » de mâle dominant.
La troisième partie couvre la période entre juin et le début d'août 1935. La vie des amants se remplit du bonheur de « l'amour en ses débuts » : « Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le délire sublime des débuts1. » La troisième partie finit par une réflexion nostalgique sur l'écoulement du temps, et sur les regrets que laissent transparaître la vieillesse et l'approche de la mort.
La quatrième partie montre Ariane dans l'attente de Solal qui est parti pour une mission, puis son retour imprévu le 25 août au lieu du 9. À 21 heures, il doit rejoindre sa belle. La journée du 25 est consacrée à la longue préparation d'une prêtresse de l'amour pour son Dieu. Mais, sans prévenir Ariane, Adrien décide d'avancer son retour au 25 août. Il pense pouvoir être chez lui vers 21 heures. le roman se fait l'écho des deux voix intérieures, celle d'Adrien, impatient de revoir sa femme pour assouvir son « devoir conjugal » et de lui conter les honneurs dont il a été l'objet durant son voyage, se superpose la voix d'Ariane mélangeant souvenirs et joie frénétique de revoir son amant. Et lorsque entendant la sonnerie, elle s'élance pour ouvrir la porte « avec un sourire divin, […] c'est Adrien Deume avec son collier de barbe, ses lunettes d'écaille et son bon sourire qu'elle voit7 ». Aidé des Valeureux, Solal enlève Ariane pendant la nuit ; le lendemain, le mari délaissé tente de se suicider.
La cinquième partie retrace la période du début d'octobre 1935 jusqu'à la fin de mai 1936. Elle se déroule d'abord dans un hôtel d'Agay dans le sud de la France, puis dans une villa appelée Belle-de-Mai où Mariette les a rejoints. Cette partie couvre une année de la vie des deux amants qui vivent isolés, repliés sur eux-mêmes et exclus de la bonne société. L'ennui gagne rapidement Solal. Il a perdu son poste à la SDN, mais il n'a pas osé avouer la vérité à sa compagne, inventant un congé de longue durée pour l'amour de sa belle.
Le premier arrière-plan de la sixième partie, qui se déroule entre le 28 août 1936 et le mois de septembre 1936, est Paris. Solal essaie, en vain, de faire jouer ses anciennes relations pour retrouver sa nationalité française. Il essuie le même échec à Genève dans sa tentative de réintégrer la SDN. Lorsqu'il apprend qu'Ariane a eu un autre amant avant lui, sa fureur et sa jalousie entraînent le couple, qui est au bord de la rupture, d'hôtel en hôtel à Marseille.
La septième partie est un épilogue. Elle nous montre les deux amants, drogués à l'éther. Ils ont connu durant toute l'année une inexorable déchéance physique et morale. le 9 septembre 1937, ils se suicident à l'hôtel Ritz de Genève.
Les personnages[modifier | modifier le code]
Solal des Solal[modifier | modifier le code]
Solal des Solal, naturalisé français, est né dans une famille juive de l'île de Céphalonie, au large des côtes grecques. Fils de rabbin, il a connu une ascension sociale vertigineuse « par intelligence, député, ministre, et caetera »8. Il est aussi devenu riche grâce à de judicieux placements. Au début du roman, il est sous-secrétaire général de la Société des Nations, à Genève. Beau, cynique et manipulateur, il n'a aucun mal à séduire les femmes qui l'entourent. le roman révèle une personnalité ambivalente qui connaît de profonds changements psychologiques. À travers le roman, il évolue de Don Juan cynique et sûr de lui à un amoureux passionné et dominateur. Solal rêve ensuite d'un amour « maternel » avant de devenir un amoureux blessé, destructeur et auto-destructeur.

La première facette révélée par Cohen est celle du séducteur. Au cours d'une soirée en compagnie d'Adrien Deume (chapitre xxxiv9), il laisse éclater son mépris et son amertume à l'égard des femmes « vertueuses » : « peu de considération […] parce qu'il sait que lorsqu'il10 le voudra, hélas, cette convenable et sociale sera sienne et donnera force coups de rein et divers sauts de carpe dans le lit… »11 Solal, qui doit une grande partie de son ascension sociale à son charme, souhaite être aimé pour autre chose que son physique : « Honte de devoir leur amour à ma beauté, mon écoeurante beauté qui fait battre les paupières de chères, ma méprisable beauté dont elles me cassent les oreilles depuis mes seize ans. Elles seront bien attrapées lorsque je serai vieux et la goutte au nez… »12 Mais lui qui déteste voir les femmes soupeser ses avantages physiques, « sa viande », n'a qu'une seule vraie amitié avec une femme, une naine difforme. Ce n'est pas le moindre paradoxe du personnage que de vouloir être aimé pour son esprit, et non pas pour son physique ou pour n'être attiré physiquement que par les belles femmes. le donjuanisme et la misogynie de Solal explosent dans une conversation téléphonique qu'il a avec Deume, en présence d'Ariane qu'il s'apprête à séduire : « Outre son mépris des femmes qui se laissent séduire, il clame la solitude de Don Juan son désir de séduire pour oublier la peur de la mort. »13. Après avoir raccroché, il dénonce la nature humaine qui a une « universelle adoration de la force ». Les hommes face à leurs supérieurs dans le travail, les femmes face à la beauté masculine et la position sociale : « Babouinerie partout. Babouinerie et adoration animale de la force, le respect pour la gent militaire, détentrice du pouvoir de tuer14. » Il démonte ainsi les rapports dominants-dominés de la société mais se place sans conteste dans le camp des dominants.

Solal se transforme ensuite en amant « sublime ». Mais bien que très épris d'Ariane, il est incapable de s'abandonner totalement à son bonheur. Il ne peut s'empêcher de temps à autre de penser que l'amour d'Ariane est dû à sa beauté, de démonter les naïfs jeux de séduction de la belle et d'utiliser même parfois les ficelles du Don Juan.

Le lecteur est donc surpris quand Solal quitte tout pour partir vivre avec Ariane une passion « absolue » dans le Sud de la France. Ce n'est que peu à peu qu'il apprend la vérité. Solal a été chassé de la SDN et a perdu sa nationalité française pour une insuffisance de durée de séjour préalable15. Il est devenu un apatride, un juif errant comme les autres quoique fortuné. Il n'y a que dans les yeux d'Ariane qu'il est resté un seigneur. Il déteste pourtant la vacuité de sa vie, écouter de la musique classique, parler littérature, se promener dans la nature. Il se sent prisonnier des habitudes et du désir sexuel d'Ariane mais ne cherche jamais à faire évoluer la situation, lui le dominant à l'origine de toutes les initiatives. Il n'ose pas lui dire qu'il n'est plus rien de peur de la décevoir et peut-être même d'être quitté. le lecteur ne peut s'empêcher de se demander si Solal aurait « enlevé » Ariane, s'il avait gardé sa belle situation à la SDN.

Un soir, il reproche même violemment à Ariane de ne l'aimer que pour son physique, sa force. Acculée, elle répond à la question : « Pourquoi ton aimé ? Parce que je t'ai donné ma foi, parce que tu es toi, parce que tu es capable de poser des questions aussi folles, parce que tu es mon inquiet, mon souffrant. »16

La fin du roman nous montre un Solal devenu fou de jalousie. Solal, le Don Juan, l'infidèle, ne supporte pas que la Belle du Seigneur ait pu avoir un amant avant lui, qu'un autre homme lui ait donné du plaisir, qu'elle ait pu mentir à son mari pour un autre lui est intolérable. Excès, violence désespérée parfois tournée contre lui-même révèlent une nouvelle facette du personnage, rejeté par ses relations, son travail, son pays d'adoption, qui n'avait plus que l'amour pur et mythique d'Ariane, son « innocente » pour trouver un sens à sa vie. Il n'est plus l'homme exceptionnel, le Messie qu'Ariane attendait.

Sur le plan idéologique et politique, Solal est le porte-parole de Cohen. Tout au long du roman, Solal méprise les pauvres. « La misère avilit. le pauvre devient laid et prend l'autobus… perd sa seigneurie et ne peut plus sincèrement mépriser. »13 « Angoisse d'un juif oriental issu d'un milieu pauvre qui n'a pu évoluer en société qu'en se coulant dans le moule de la bourgeoisie européenne et que ne peut compter sur aucun réseau familial. » le lecteur en apprend ensuite un peu plus sur les raisons de son renvoi, « une gaffe généreuse » à la Société des Nations. « Et le lendemain la gaffe plus terrible d'avoir envoyé la lettre anonyme révélant l'irrégularité de sa naturalisation. »17 Solal a donc été l'instrument actif de la perte de sa nationalité, lui aimant tant la France. Ce n'est que vers la fin du livre que le lecteur apprend pourquoi, Solal a perdu son poste à la SDN. Oubliant la retenue du diplomate, il a mis en accusation au nom du « grand Christ trahi » les nations refusant d'accueillir les Juifs allemands persécutés.

Solal qui méprisait la danse des subalternes de la SDN souffre tellement de sa mise à l'écart et de son isolement, il envie maintenant ceux qui peuvent se dire fatigués par le trop-plein de relations qui les entourent mais refuse de fréquenter des gens d'un niveau inférieur à son ancien milieu. Il va jusqu'à Genève supplier Cheyne, le secrétaire général de la SDN, de le reprendre à n'importe quel poste, allant même jusqu'à lui proposer toute sa fortune.

Avant de quitter Paris, il suit un groupe de Juifs de stricte observance dans lequel il reconnaît son peuple. Et ce cynique « roi solitaire » se met à chanter seul, devant la vitrine d'un restaurant où ses coreligionnaires se sont attablés, un vieux cantique à l'Éternel en hébreu18. Mais il ne fait pas le choix de revenir vers sa famille, ses origines. Cet amoureux de son peuple, fils de rabbin, est devenu trop cynique, trop distant envers les manières de bigotes pour croire au ciel, comme Cohen qui ne croyait pas en Dieu19. Il se dit : « je les vois pris devant ma matérialité d'un malaise de supériorité d'une hauteur de spiritualité jamais expliquée mais toujours écrasante […] leur spiritualité justifie l'injustice et leur permet de garder leur bonne conscience et de leurs rentes […] oui Dieu existe si peu que j'en ai honte pour Lui »20.

Ariane d'Auble[modifier | modifier le code]
Ariane Corisande d'Auble, l'épouse de Deume, est issue d'une famille de la vieille noblesse calviniste de Genève. Orpheline de bonne heure, elle a été élevée par une tante rigoriste, Valérie d'Auble qui ne fréquente que le cercle très restreint des vieilles familles calvinistes de la ville. Ses seuls compagnons de jeux ont été son frère Jacques et surtout sa soeur cadette Éliane, morts à l'adolescence dans un accident de voiture. Étudiante, Ariane a noué une amitié amoureuse avec une jeune révolutionnaire russe Varvara pour qui elle a rompu tout lien avec sa famille et la haute société genevoise. À la mort de cette dernière, elle se retrouve isolée et sans le sou. Elle tente alors de se suicider mais elle est sauvée par Adrien Deume qui vivait dans le même petit hôtel qu'elle. Adrien est le seul alors à se soucier d'elle. Si bien qu'elle accepte de l'épouser, « lamentable mariage »21. le lecteur la découvre solitaire, musicienne, aspirant à devenir écrivain, s'enthousiasmant pour tous les animaux. Elle vit dans son monde imaginaire. Elle soliloque, s'inventant une vie de princesse himalayenne et des discussions avec des personnages célèbres. La mort de sa tante, qui lui lègue toute sa fortune, en fait une femme riche. Dans un étonnant monologue, l'héroïne s'identifie à Diane chasseresse, la déesse vierge et libre qui attend l'arrivée d'un seigneur divin à qui, telle Marie-Madeleine, elle pourrait laver les pieds avec ses cheveux en signe d'adoration pure.

L'amour qu'elle porte à Solal transforme la Diane solitaire en « belle du seigneur », « religieuse de l'amour » solaire et sensuelle. C'est aussi une enfant pleine de joie démonstrative malgré ses efforts pour passer pour une grande dame toute en retenue aristocratique, une midinette passant ses journées à attendre la venue de son amant, une divine icône soucieuse de la perfection de chaque détail. Elle s'abandonne entièrement à son amour. Sa vieille domestique, Mariette, de retour d'un long séjour à Paris la trouve heureuse, épanouie, pleine de vie et de joie22. Elle qui n'aimait pas les choses du sexe se retrouve tout étonnée à être enflammée par les baisers de Solal « d'une intimité folle » ; et les baisers de Solal deviennent pour elle : « des baisers mangeurs des baisers douaniers des baisers caverneux des baisers sous marins des baisers fruits oui des baisers fruits »23.

Toutes ses pensées tournent autour de Solal, des souvenirs des moments passés et de l'attente des moments futurs, de son désir de le séduire encore : « Je me rends compte que je devrais être plus féminine [écrit-elle dans une longue lettre à Solal] ne pas tellement vous dire mon désir de vous plaire, ne pas sans cesse vous dire que je vous aime. […] Mais je ne suis pas une femme, je ne suis qu'une enfant malhabile aux roueries féminines, ton enfant qui t'aime. »24

Toute absorbée à plaire à son seigneur, Ariane n'échappe pas à l'aliénation de la condition féminine de son époque, aliénation de l'apparence physique, des bonnes manières figées. Ainsi, lorsqu'elle doit revoir Solal, absent depuis une quinzaine de jours en août, elle est obsédée par son élégance. Elle est obligée de vendre une partie des actions composant son patrimoine pour pouvoir payer de nouvelles tenues choisies chez un couturier25, tenues qui cependant lui déplaisent lorsqu'elles en prend livraison et qu'elle finit par jeter sans les mettre.

Le même désir de perfection l'obsède quand les deux amants entament une vie commune. Ne jamais être vue dans une situation où elle ne serait pas parfaite, c'est-à-dire se mouchant, allant aux toilettes, ayant des gargouillis intestinaux, en train de s'affairer à la bonne marche de la maison, non coiffée… En présence de Solal, elle s'efforce d'effacer toute spontanéité étudie chacun de ses gestes pour qu'il soit parfait. Sa vieille domestique, Mariette qui l'a connue petite fille s'en étonne. il y a désormais deux Ariane : en l'absence de Solal, une jeune femme pleine de vie, réglant avec entrain les problèmes quotidiens, se régalant de plats simples, prenant le café en papotant avec Mariette dans la cuisine; une altière dame du monde dînant en robe du soir, dégustant des mets raffinés et ignorant la pauvre Mariette, au grand dam de celle-ci. Ce sont pourtant ces enthousiasmes de petite fille qu'attendrissent le plus Solal maintenant que le feu des débuts est passé. Mais Ariane s'est enfermée dans un amour hiératique, élevé au rang de mythe. Il est à noter qu'aucun chapitre de la cinquième partie n'est présenté de son point de vue. le lecteur ne voit plus Ariane que dans le regard de Solal. Il apprend ainsi qu'après le départ de Mariette, Ariane s'efforce de tenir seule la Belle de Mai, en parfaite maîtresse de maison. Aux yeux de son amant, Ariane a comme objectif d'être une compagne parfaite dans une maison tenue parfaitement pour un homme qu'elle ne veut voir que parfait et qui lui fait parfaitement l'amour tous les jours même s'il pense que sans se l'avouer Ariane s'ennuie dans son couple.

Le coup de théâtre final oblige le lecteur à reconsidérer tout ce qu'il a appris d'Ariane. Ariane est peut-être une femme ordinaire ayant succombé au démon de l'infidélité par ennui, comme dans n'importe quelle histoire d'adultère bourgeois. La réticence envers les choses du sexe qu'elle manifestait avant de connaître Solal devient suspecte. de manière implacable, Lien : https://fr.wikipedia.org/wik..
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''Très bien, un chef d'oeuvre, un peu long, oh! ce passage, vraiment bien ce personnage, quel régale ce cynisme dans l'écriture, marre de ces monologues''! Voilà en quelques mots comment je pourrais résumer ce que j'ai pensé de ''Belle du Seigneur"". Jamais un livre ne m'avait laissé aussi perplexe quant à savoir ce que j'en pensais. Pourtant, quel intérêt de publier une critique si ce n'est pour donner un avis? Essayons-donc tout de même..
Ce livre fait sans doute partie, pour moi, des meilleurs romans jamais écrits au XXème siècle (du moins de ce que j'en est lu). Jamais un auteur n'avait réussi à offrir un tel panel de personnages, un panel séduisant, un panel travaillé avec minutie, un panel multicolore. Jamais un écrivain n'avait mis autant de cynisme dans l'écriture, créant assez régulièrement des éclats de rire; jamais un écrivain n'avait poussé aussi loin les tourments d'un couple amoureux, créant parfois des larmes. Jamais un écrivain n'avait aussi bien allié dans un même roman psychologie, passion, critique sociétale, humour et excentricité, modernité littéraire. Et pourtant, je ne lui ai mis que 4 étoiles. Pourquoi pas 5? Parce que j'ai trouvé certains passages imbuvables (monologues sans ponctuations), et qu'il semble impossible de mettre 5 étoiles lorsque l'on a sauté des dizaines de pages (même si ces dizaines de pages ne forment qu'une toute petite portion par rapport au 1100 pages de l'oeuvre).
En somme, si vous aimez la variété, l'humour, le cynisme, la passion, la critique, les pavés, le malheur, l'excentricité, l'originalité, Albert Cohen ou si vous n'aimez pas le romantisme, les bureaucrates, l'Amour, vous prendre la tête, le nazisme ou perdre votre temps, je pense qu'il vous faut lire ce livre, sans toutefois rechigner à éviter certains passages si vous les trouvez trop long (sachant que ces mêmes passages ont beaucoup plu à d'autres)
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J'ose le dire, j'ai détesté. J'avais juste envie de leur filer des claques. Je me suis ennuyée devant autant de clichés et je me demande encore comment j'ai réussi à dépasser la moitié du livre.
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Cela faisait des années que ce livre me faisait des clins d'oeil depuis la table des librairies. Mais plus de 1000 pages! Sa lecture est une expérience au long cours! Récemment, j'ai "croisé" trop de mentions (élogieuses) de cet ouvrage: j'ai fini par me lancer dans sa lecture. le cap des cent premières pages a été difficile à franchir, je dois l'admettre. Mais au fur et à mesure de ma progression dans les chapitres, mon intérêt s'est développé, les séances sont devenues des moments de plaisir.

En fait il s'agit d'un livre étrange. Non par son thème principal que l'on peut résumer outrageusement comme "vie et mort d'un amour passion". "Outrageusement" tout son intérêt réside dans la lente distillation, l' évolution détaillée étape par étape, la succession de discours parfois insignifiants mais qui laissent poindre une évolution implacable, qu'il s'agisse de la cristallisation...ou de la désillusion qui s'installe. Albert Cohen excelle dans la description des parades souvent futiles mises en oeuvre pour tenter d'éviter l'évaporation de cette passion de moins en moins passionnée: qu'il s'agisse de la relégation des éternuements, des borborygmes par une fuite vers une pièce isolée, ou de l'installation de rituels musicaux, qui ne font que souligner la vacuité croissante et l'ennui qui gagne du terrain. 

Mais au-delà de ce thème central, Albert Cohen laisse une plume acerbe procéder à une critique sévère des milieux et personnages acteurs de ce roman. L'hypocrisie de la diplomatie, et de son administration, personnifiée par Adrien Deume, les ambitions, les rancoeurs, la sournoiserie, l'incompétence, la jalousie, la mesquinerie, sont largement illustrées.
Ainsi quand le fils Deume compare son salaire à celui de.... Mozart : " bref mon vieux Mozart , tu es baisé". Ou lors du chapitre dédié à une réception de la SDN, est l'occasion pour Albert Cohen de décoder  les attitudes, les mesquineries, les manoeuvres visant à attirer l'attention d'un "supérieur"   (et les contre-manoeuvres de ceux-ci pour les esquiver!). "Sir John devisait maintenant avec Benedetti et le tenait familièrement par le bras. Cet attouchement du grand homme remplissait le subordonné d'une reconnaissance éperdue. Comme Adrien Deume, quelques semaines auparavant, il allait, vierge bouleversée, au bras du supérieur adoré, troublé par tant de bonté et de simplicité, fier et pudique, sanctifié par le bras magistral, levant parfois ses yeux vers le chef, des yeux religieux". 
Il s'agit de la SDN d'entre deux guerres. Mais ne serait-il pas présomptueux d'affirmer que les réceptions professionnelles actuelles en sont exemptes?

Mais, en fait, aucun personnage n'est épargné. Il se dégage une atmosphère lourde, suffocante, d'une vie sans espoir .
Deume mère et fils sont sérieusement malmenés par Albert Cohen: arrivistes, carriéristes, imbus d'eux-mêmes, lâches, étriqués.
Mais Mariette , cuisinière et femme de chambre, et son solide bon sens sont aussi raillés, quand se dernier évolue en ressasser des poncifs éculés. 
L'héroïne n'y échappe pas non plus: ses langueurs, ses interrogations sur ses tenues, font de l'ombre au personnage amoureux .Solal enfin, au début du roman, est décrit en Dom Juan sans illusion: - " quelle importance à accorder à un sentiment qui dépend de la longueur d'une demi douzaine d'osselets... Juliette aurait-elle aimé Roméo si quatre incisives manquantes?" 
- " elle est tellement persuadée que ce qui compte pour elle c'est la culture, la distinction, la délicatesse, l'amour de la nature... Mais, idiote, ne vois tu pas que toutes ces noblesses sont signes de l'appartenance à la classe des puissants et que c'est la raison profonde, secrète, inconnue de toi, pour quoi tu y attaches un tel prix"
- sans parler de son manuel de séduction en huit chapitres
Il finit par perdre de sa superbe au fur et à mesure de sa "déchéance sociale", une fois seul, à Paris.

Les soliloques de la plupart des personnages concourent également largement à la facette "étrange" de ce roman  : décousus, phrases inachevées, juxtaposition de mots, ponctuation passée par dessus bord ...
L'étrange frise le monde de l'absurde avec les personnages des Mangeclous et l'enlèvement rocambolesque, qui viennent apporter un peu de folie et d'humanité dans le récit. 

Ce roman peut être vu comme l'échec de s'extirper d'un monde gris et étriqué, par un amour passion finalement lui aussi codifié et prévisible, qui cherche en vain un refuge dans une sophistication déniant l'humanité de ses protagonistes, et de ce fait incapable de durer.

Bonne lecture!


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Que dire d'autre que ce qui a déjà été dit à savoir peut être le plus grand roman d'amour…. le livre est certes un pavé mais un pavé d'amour qu'il faut avoir lu tellement il est beau...
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A Genève, quelques années avant le deuxième conflit mondial, Ariane Deume mène une vie morne aux côtés de son époux Adrien. Rien de plus important pour lui que les honneurs et la gloire. Obscur employé à la SDN, il est gratifié d'une promotion spectaculaire qu'il croit devoir à la sympathie que lui porte le sous-secrétaire général. Parfaitement stupide et imbu de lui-même, il aime pérorer sur ses multiples grâces et talents. Mari assommant et encombrant, il est convaincu que sa femme l'aime passionnément, en dépit de ses humeurs. Ce qu'il ne voit pas, c'est que sa femme lui échappe, au profit de Solal, le sous-secrétaire général dont il est tellement admiratif. Lumineux amants, Ariane et Solal vivent leur amour clandestin entre les murs de la maison des Deume. Entre eux, ce n'est que débauche de déclaration et surenchère d'efforts pour se plaire. Mais à ne vivre que d'amour, pour l'amour et dans l'amour, le couple s'auto-détruit.

L'ami qui m'a prêté ce livre m'a dit un soir que c'est un ouvrage dont on ressort différent après l'avoir refermé. Ce à quoi mon n'amoureux a intelligemment répondu que c'est le cas de toute bonne lecture (et oui, devant des grillades et une bouteille de rosé, on philosophe chez moi!). L'un comme l'autre ont parfaitement raison. Après Belle du Seigneur, impossible de considérer l'amour avec les mêmes yeux. Si Tristan et Iseult, Roméo et Juliette ou Tarzan et Jane ont marqué l'histoire du sentiment amoureux, Ariane et Solal lui donnent un nouveau souffle. J'ai eu l'impression de lire le Cantique des Cantiques, revu à la sauce moderne pour mon plus grand plaisir. La déclaration initiale de Solal est bouleversante. C'est de la pure poésie, un sublime langage d'amour et de séduction. "Au premier battement de ses paupières, je l'ai connue. C'était elle, l'inattendue et l'attendue, aussitôt élue en ce soir de destin, élue au premier battement de ses longs cils recourbés. [...] Elle, c'est vous." (p 48)

L'entreprise de séduction est bien différente. Epoustouflant discours de Solal! La leçon de séduction est parfaitement odieuse, elle décortique tous les rouages de l'amour, et pourtant, ça marche! Albert Cohen est un maître en rhétorique amoureuse. En rhétorique tout court en fait. Les dialogues des oncles juifs de Solal, ou monologues quand on considère la parfaite herméticité de certains discours, sont des morceaux de choix. La théâtralité est au coeur du langage de ces personnages qui expriment leur haute opinion d'eux-mêmes au travers de discours verbeux et ampoulés. Et Cohen ne se gêne pas non plus pour exprimer son mépris des petits bourgeois bigots genévois. Il dresse des portraits au vitriol. Ses descriptions m'ont rappelé les peintures de Jérome Bosch, ses chimères humaines, croisements curieux d'animaux affreux. Délicieux de lire le portait de Mme Deume, avec sa petite boulette de viande qui se balance. Délicieux de suivre les journées inutiles et bouffies d'orgueil d'Adrien. Born to be a cocu pourrait être une belle définition de son existence. "Elle lui avait dit qu'il était mignon et il en avait été tout fier. Mignon mais cocu. Tous les cocus étaient mignons. Tous les mignons étaient cocus." (p 773 et 774)

J'ai pleuré de rire devant ces personnages grotesques, de petite envergure. Et chez tous les protagonistes, l'obsession de l'apparence, du paraître, est une névrose poussée à l'extrême. Passe encore qu'une amoureuse mette à sa toilette des soins particuliers, raffinés et interminables, mais l'accoutrement pittoresque que passe Mangeclous pour visiter son neveu confine au ridicule.

Impressionnant de constater l'incroyable diversité des registres de langue. Ils se succèdent et se répondent d'un chapitre à l'autre. Chaque personnage a son propre langage, et c'est toute la narration qui s'en ressent. Quand les personnages sont triviaux, comme peuvent l'être Mme Deume ou les oncles, le texte s'épaissit, s'alourdit, devient pâteux. Quand il s'agit d'Ariane et Solal, le texte s'envole, lyrique, glorieux et léger. Il coule avec aisance, même si les phrases sont longues (des chapitres sans une marque de ponctuation, ça surprend au début...). Surprenant aussi le changement de point de vue, de narrateur. On passe d'un récit détaché à la troisième personne, d'un regard dédaigneux jeté sur le monde, aux considérations de la bonne ou aux révâsserie d'Ariane. Pendant plusieurs chapitres, le narrateur nous prépare à la rencontre des amants, en portant son attention sur eux seuls. Mais le récit des retrouvailles est le fait d'un autre personnage qui raconte a posteriori le dénouement d'un drame annoncé pendant cent pages. Troublant, mais très excitant, car on ne sait jamais qui va prendre la parole, ou plutôt qui va imposer sa voix. Ce livre me semble être une foule où chacun cherche à crier plus fort que l'autre. Insolite chapitre 36, dans lequel le mari et l'amant se partagent la voix narratrice pour parler de la même femme.

Et tant d'autres détails exquis! La précision maniaque d'horloger suisse dans les horaires, les décomptes et les rendez-vous décompose le temps, le rend impalpable. le regard désenchanté jeté sur l'inefficacité de la SDN à la veille de la seconde guerre a de quoi dégoûter de la politique et des grandes organisations. L'antisémitisme de l'époque est décortiqué, amplifié, devient une obsession, une hantise, une composante banale du quotidien.

Un seul regret tout de même. J'aurais peut-être dû lire Solal (1930) et Mangeclous (1938) avant Belle du Seigneur (1969). Tout le passé de Solal et de ses oncles, à peine esquissé dans Belle du Seigneur, indique qu'il y a des informations manquantes. On trouve notamment des personnes qui ont l'air d'être, ou d'avoir été, importants mais qui sont à peine développés, comme l'est la vieille amante Isolde. Encore un cycle littéraire que j'attaque par la fin...

Et un extrait superbe pour finir en beauté.

"Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le délire sublime des débuts." (p 466)

Huit jours pour lire ce monument de la littérature amoureuse. Huit jours à savourer ce livre comme un bonbon, gardé longtemps en bouche pour bien en extraire tout le sucre. Huit jours à me fabriquer un souvenir de lecture impérissable.

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J'ai toujours pensé qu'il y avait dans le roman d'Albert Cohen quelque chose d'infiniment proustien.
Cette étude du délitement d'un couple, de la détérioration de leurs sentiments dans le quotidien et le temps me rappelle la finesse des descriptions presque freudiennes de Marcel Proust. Cette analyse de la société bourgeoise et dilettante qui, elle aussi, est en passe de se dissoudre dans la folie et la guerre me fait songer à l'univers des Verdurin et des Guermantes.
Et tout comme pour l'auteur de « À la recherche du temps perdu », l'étude de cette passion qui, peu à peu, se dépouille de son éclat, de sa force, est puissante, intelligente et détaillée. Elle n'est jamais dénuée de lucidité et d'humour, profondément humaine.

A l'inverse de l'ampleur du livre, mes impressions succinctes ne cachent pas, je l'espère, toute l'affection que j'ai porté à la lecture de ce chef-d'oeuvre.
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