Thésée, Ariane et le Minotaure

Dès les premières notes du livre-cd, nous pouvons affirmer que le fond musical est bien choisi.
La puissance de l'oeuvre classique de Ludwig van Beethoven inspire grandeur, gravité et solennité au drame grec qui suivra.

Le Mythe de Thésée est très connu des jeunes et grands lecteurs mais comme certains contes traditionnels, c'est un plaisir de les écouter passer de conteurs en conteurs et de savourer des interprétations différentes pour nous les raconter.
Le mythe sera adapté par Jean-Michel Coblence et c'est Laurent Natrella, comédien français, qui prêtera sa voix au narrateur.

"...Il était donc une fois ...dans la nuit des temps, une terre de ciel, de mer et de soleil que, beaucoup plus tard, on appellerait la Grèce.
Là-bas vivaient ensemble-ou presque ensemble- hommes et femmes, dieux et déesses, créatures fantastiques , monstres et héros légendaires.
Thésée fut l'un de ces héros, et voici son histoire..."
Le ton du texte installe, est évocateur.

Depuis toujours le jeune héros rêvait de rencontrer un père qu'il n'a jamais connu autrement qu'en légende.
L'auteur Jean-Michel Coblence sèmera le doute, parlant du roi Égée d'un côté et conférant au personnage de Thésée la force de soulever des rochers.
Le texte présentera même Héraklès, le Hercules bien connu, comme son cousin.
Hum hum? Héraklès est-il de la famille d'Égée?
Certains grands lecteurs ne sont pas sans savoir qu'Héraklès est le fils illégitime du dieu des dieux, Zeus.
D'autres versions du mythe de Thésée raconteraient même que Thésée serait peut-être né des amours de sa mère Aethra et du dieu des mers, Poséïdon, frère de Zeus.
Un calcul qui nous semblerait juste.
Nous connaissons la capacité des dieux grecs à se métamorphoser et tromper les belles pour en gagner les faveurs.
L'auteur fera preuve de raccourcis salutaires pour la très jeune écoute et déploiera un flou sans doute approprié à la morale d'une histoire à hauteur de jeunes oreilles, faisant fi des adultères et autres grivoiseries divines.

Mais l'heure tourne et nous gagnerons d'autres raccourcis qui nous feront prendre le rythme de l'aventure. Ainsi Thésée ne semblera pas d'avantage surpris de l'énergie incroyable qu'il déploiera pour triompher de Périphétès, Éleusis, Cercyon, Sinis et Sciron d'une façon infatigable.
Il souhaitait tellement être un héros, ce petit et ressembler à Héraklès, le demi-dieu le plus fort du monde grec.

Ses exploits, adulte, le mèneront justement à Athènes, là où règne le roi Égée.
Une entrée remarquée.
Sa venue ne sera pas bien pressentie par l'épouse du roi, Médée, une magicienne ambitieuse et malfaisante bien connue de la légende de la toison d'or (à découvrir d'ailleurs), qui verra en lui un concurrent au trône.
Thésée répondra encore par le muscle pour convaincre les indécis. Il est l'homme de toutes les situations.
Toute cette testostérone sera un bon avant-goût de la hargne dont il est capable pour gagner toutes les épreuves possibles, avant de passer au plat de résistance de l'histoire: le Minotaure.
Le Minotaure sera l'épreuve ultime et peut-être fatale.

L'épreuve ultime.
Les jeunes lecteurs se rappelleront peut-être le lourd tribu que la cité d'Athènes devait régler chaque année à l'île de Crète pour payer leur défaite, c'était un châtiment: 7 athéniens et 7 femmes devaient être livrés au labyrinthe piégé de la Crète, là se cachait la bête mi homme, mi taureau.
Une lourde perte pour la cité d'Athènes.
Thésée décidera irrésistiblement évidemment de délivrer Athènes du joug de la Crète et de l'appétit du monstre.

L'aventure de Thésée est fabuleuse, incroyable et pourtant monstrueusement tragique.
Prévoyez des mouchoirs, chers lecteurs, afin d'éponger la larme qui perlera au coin de l'oeil.
Notre héros trouvera l'amour sur l'île de l'ennemi mais il perdra aussi beaucoup.
Quel destin de héros!

Thésée reviendra t-il du labyrinthe sain, sauf, et vainqueur?
Souvent le quiproquo peut être horriblement fatale pour une famille inquiète, vous comprendrez en lisant jusqu'à la fin.

Le style graphique en ombres chinoises de Donatien Mary se prêtera bien au récit du conte et à un suspens où l'imagination comblera ce que l'on devine, ce que l'on ne voit pas.
Un bel objet livre-cd à collectionner.

La musique de Beethoven l'emporte sur le texte qui est constitué de tableaux mythologiques.
Thésée part en quête de son père vers la Cité d'Athènes, Egée ne le reconnaîtra que lorsqu'il verra l'épée et les sandales qu'il avait cachées à l'intention de son fils et évite à ce dernier la mort par empoisonnement de la terrible Médée. Mais depuis la guerre avec la Crète , Athènes doit chaque année verser un tribut: 7 jeunes hommes et 7 jeunes filles. La fille du roi Minos a un coup de foudre pour Thésée qui a volontairement intégré le groupe des condamnés; Ariane lui donne de quoi tuer le monstre mi homme mi bête et de quoi ressortir du labyrinthe (le fameux fil d'Ariane). Libérés les athéniens repartent mais sans Ariane selon le voeu des dieux.
J'ai trouvé troublante et gênante la construction de l'histoire: les différents tableaux sont en désordre, je me demande bien pourquoi. le public visé est de 5 ans et plus: les enfants ne doivent pas y comprendre grand chose mais se laisseront peut-être charmer par la musique.
erratum: la version audio qui m'est parvenue via LDLN n'est pas la bonne; j'ignore d'où vient l'erreur, Audible? N'ayant pas l'album, je n'ai pas le temps de remettre les plages dans l'ordre mais ma critique de la construction est obsolète! En revanche des doutes subsistent.

Édité par la maison Didier Jeunesse, ce conte musical réunit la plume de Jean-Michel Coblence (enseignant d'histoire, directeur des collections « Les classiques en BD » et mélomane), les illustrations de Donatien Mary et la voix du comédien Laurent Natrella (sociétaire à la comédie française jusqu'en 2018). Et lorsque des talents aussi brillants collaborent ensemble, le résultat est époustouflant.

En parallèle du récit du parcours initiatique de Thésée, les oeuvres du compositeur Ludwig van Beethoven sont mises à l'honneur. Un bel hommage, puisque l'année 2020 lui était consacrée, à l'occasion du 250ème anniversaire de sa naissance. Au-delà d'un joli concours de circonstance, c'est surtout un mariage éclairé qui facilite l'accès à la complexité de ses oeuvres. le projet éditorial de Thésée s'ancre donc dans l'identité même de la maison Didier Jeunesse, qui, depuis sa création en 1988 par Michèle Moreau, a fait de la passion pour la musique le point d'orgue de son catalogue.

Thésée, Ariane et le Minotaure répond à une envie murie depuis longtemps de rendre accessible la musique symphonique. Un enjeu de taille, puisque d'une part, il n'est pas facile de l'écouter sous forme de disque, nous a confié Michèle Moreau, et d'autre part, il s'agit d'oeuvres tellement encrées dans notre patrimoine qu'elles sont quelque part devenues populaires. La mythologie constituait donc une bonne porte d'entrée pour aborder le symphonique, puisqu'elle échappe aux classifications et à la temporalité contemporaine. Elle constitue en effet un creuset, au sein duquel s'expriment les passions humaines.

À travers les pages qui sont autant de tableaux, le parcours de Thésée se dessine. Préparez-vous à être transportés : le graphisme des illustrations emprunte à l'esthétique des vases antiques et reprend le style de la figure noire. Les aplats de couleurs vives sont d'autant plus contrastés. La typographie s'inscrit quant à elle en écho au style géométrique et vient souligner certains passages.

Le texte quant à lui est très musical et s'ouvre sur une phrase que j'ai personnellement trouvée fabuleuse :

« Il était une fois, dans la nuit des temps, une terre de ciel, de mer et de soleil que, beaucoup plus tard, on appellerait la Grèce. »

Jean-Michel Coblence fait découvrir ce héros courageux et humain qu'est Thésée à travers des mots parfaitement compréhensibles pour de jeunes enfants. Thésée est présenté de façon très positive, un vrai héros auquel il est aisé de vouloir s'identifier. Il est admirable d'avoir construit un texte à la fois si simple et si poétique.

Vient enfin la musique de Beethoven et le choix des extraits. Et alors là ! On ne peut qu'être scotché.e.s devant tant de maîtrise. le pon-pon-pon-poooooon de la 5ème symphonie intervient à point nommé, je vous laisse le plaisir de la découverte. La marche funèbre de la 3ème accompagne le suicide d'Égée. Jean-Michel Coblence a sélectionné chaque passage de telle sorte que l'album se mue lui-même en une symphonie : il débute par une ouverture et se clôt sur un final, la forme répondant brillamment au fond.

La richesse de Thésée, Ariane et le Minotaure permet d'exploiter cet album de nombreuses façons, mais je crois que le meilleur moyen de le savourer est encore de l'écouter. La voix de Laurent Natrella porte le récit et nous entraîne. Nous ressentons les émotions et évoluons au rythme de ses inflexions. C'est, je crois, toute la magie d'un conteur : il donne une voix immuable au récit.

En résumé, cet album est un très grand album jeunesse. Il convient aux enfants dès 5 ans. Sachez que la collection compte d'autres titres pour lesquels j'avais déjà eu des coups de coeur. Elvide et Milon vous fera connaître la musique médiévale, Rockin' Johnny, la naissance du Rock'N'Roll ou encore La petite sirène, le compositeur Edvard Grieg tout autant que l'écrivain Hans Christian Andersen.

À l'heure d'une certaine uniformisation des albums destinés à la jeunesse, je crois qu'il est important d'encourager la prise de risque que constitue la conviction qu'il est possible et nécessaire de donner aux enfants des ouvrages dont les thèmes, les sujets abordés sont complexes. Ici, rien n'est simple mais tout est à la portée d'un jeune public.

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