Bernard Clavel place son histoire dans sa chère Franche-Comté, aux derniers jours de l'occupation nazie. Un fait divers haletant, qui se lit d'une traite, et sans doute l'un des meilleurs livres de ce formidable conteur.
Nous sommes donc en septembre 1944, dans un village du Doubs. Ferdinand Bringuet, 71 ans, paisible et bon vivant, ancien mécanicien cheminot, et sa femme Maria, guettent anxieusement de leur maison, de nuit, la débâcle allemande et ses convois accompagnés de dernières escarmouches. Mais il faut encore être prudent...Le sort va le démontrer, lorsqu'un jeune officier SS vient frapper à la porte, fouille jusqu'à la cave, et s'apprête à réquisitionner le vieux vélo de Ferdinand...qui y a mis ses économies et revêt une importance quasi vitale à ses yeux.
Ferdinand ne peut réprimer un mouvement impulsif guidé par la peur et la colère...Il assomme et bâillonne son visiteur. Après appel à la rescousse de son voisin Jérôme et d'un élu municipal, Joseph, il s'engage entre eux des échanges sur l'action à mener : l'intrus vivant dans cette cave est une menace pour tout le village s'il devait être découvert...mais Ferdinand qui n'a jamais tué une mouche de sa vie n'a pas le courage de tuer celui qui n'est qu'un gamin. Un cas de conscience terrible...mais n'ayant guère le choix, il finit par lui tirer une balle dans la tête.
Dans la nuit, les trois hommes, aidés par une Maria héroïque, vont devoir sans se faire repérer empaqueter, transporter et balancer le cadavre dans la rivière proche, ce qui ne sera pas une mince affaire.
Mais Ferdinand est ravagé, en prise avec sa conscience qui ne le lâchera plus...
En 110 pages, tout est dit de l'horreur de la guerre, qui voit de braves gens devenir en un instant des meurtriers, quand leur survie est en jeu.
Le style est simple, précis, le vocabulaire est familier, point de fioritures, les choses sont dites, on est dans l'action et à la campagne. On n'aime pas le Fritz, qui vous a tout pris pendant quatre ans. Pourtant, des deux côtés, ce sont des hommes, parfois jeunes, qui subissent...
Bernard Clavel le pacifiste montre une fois de plus l'absurdité de la guerre, ses dommages collatéraux, et nous offre un témoignage précieux sur cette époque. Un fait divers parmi des milliers qui ont dû se produire dans nos villes et campagnes, avec des héros de l'instant qui seraient passés pour de beaux salauds voire criminels en d'autres lieux et d'autres temps moins troublés...Au moment où s'inscrit cet épisode, on pense aux horreurs subies par des français innocents à Oradour s/Glanne, mais aussi à ces milliers de jeunes allemands, de plus en plus jeunes, enrôlés de force par Hitler dans un jusqu'au-boutisme désespéré.
J'ai une tendresse toute particulière pour Bernard Clavel, dont les romans se sont arrachés de son vivant et qui redoutait de sombrer dans l'oubli au fil du temps...Il semble en effet que ses grands cycles soient de plus en plus difficiles à trouver dans nos chères librairies...alors même qu'Omnibus avait édité son oeuvre intégrale en 6 tomes il y a quelques années, édition aujourd'hui épuisée...
Je me souviens aussi que Bernard Clavel, ce grand voyageur amoureux du Jura, de Lyon et du Québec, et qui a déménagé 40 fois dans sa vie, a habité de 1975 à 1977 dans une petite ville de l'Yonne où ma famille réside.
Alors oui, Monsieur Clavel, je continuerai de lire votre oeuvre, si diverse, nous contant avec tant d'amour l'anti-militarisme, le Grand Nord, la nature, les gens de la campagne...
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J'ai lu ce roman historique dont la majeure partie est un huis-clos en pensant à Montserrat, lu quelques semaines auparavant et qui m'avait également marquée par le cas de conscience qui en forme le noeud.
Ici, c'est Ferdinand, un ancien cheminot extrêmement fort, puissant de ses bras, mais d'un tempérament doux et pacifique qui vit avec sa femme Maria dans une petite maison dans un village près de Dole. En septembre 1944, alors que les Allemands fuient devant l'arrivée des Alliés, un jeune officier vient réquisitionner une bicyclette chez le couple de retraités et pris d'une impulsion de désespoir, Ferdinand refuse et résiste, se retrouvant avec un officier prisonnier dans sa cave. Discutant avec son voisin Jérôme qu'il a envoyé sa femme chercher, Ferdinand regrette son geste mais ne peut pas relâcher le nazi sans risquer sa vie et celle de ses proches et menacer la sécurité du village... mais il ne peut se décider à tuer un ennemi si jeune, un gamin...
Le dilemme est plus intéressant que l'intrigue en elle-même et le personnage de Ferdinand extrêmement attachant je trouve. La fin n'en est que plus triste...
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Il s'appelait Klaus Burger. Il était de Hambourg. Il avait douze ans lorsque son père, fonctionnaire du Parti, l'a inscrit aux Jeunesses hitlériennes. Là, parmi tant d'autres, il a admis tout de suite que sa vie ne lui appartenait pas. Elle appartenait à son Furher Adolf Hitler.
Sa maman n'était pas d'accord, mais elle n'avait rien à dire. Il lui restait seulement le droit de prier en silence pour son enfant, ce qu'elle faisait souvent.
Un jour, Klaus est parti pour la guerre. Il a connu les camps d'entraînement, les neiges immenses de la Russie, les sables du désert, le soleil de la Côte d'Azur, les bons vins du Rhône.
Il a tué sans jamais éprouver le moindre pincement au coeur. Il a tué parce que son dieu l'exigeait. A présent, il est mort. Mort parmi des millions d'autres. Comme des millions d'autres aussi, sa maman va pleurer.
Il n'y a rien à dire : c'est la guerre. La guerre que les peuples ont accepté comme une fatalité. La guerre que certains peuples ont voulue de toutes leurs forces. La guerre que quelques hommes ont refusée sans rien pouvoir faire pour lui barrer la route.
Maria que la vue du sang doit bouleverser répète :
- Il saigne de la bouche.
Ferdinand qui vient de se redresser montre sa main droite.
- C'est pas son sang, c'est le mien. Cette petite ordure m'a mordu.
- Montre ça.
Jérôme approche la bougie.
- La vache, il a enlevé le morceau. Faut te désinfecter. C'est enragé, ces bêtes-là !
De nouveau très nerveux, Joseph grogne :
- Bon Dieu, vous êtes butés tous les deux. Il est pas question de l'emmener vivant.
- On tue pas un homme comme ça.
- C'est la guerre. S'il avait pu sortir son feu, il aurait pas fait de détail, lui...Et vous auriez plus de souci, vous ! Et nous non plus !
- On se battait, c'est pas pareil.
- Assez tergiversé, faut y aller !
Il fait un geste pour empoigner un tonneau mais la poigne terrible de Ferdinand l'arrête par un bras et l'oblige à pivoter.
- Ecoute, petit. On va tout de même essayer de lui demander sa parole...
- Trop de risques. Y sont fanatisés. Ce serait un vieux, je ne dis pas. Mais un SS, on peut rien espérer...Et puis, ils ont tous assez de crimes sur la conscience pour mériter d'être nettoyés.
- On peut pas dire ça. C'est un gamin. Il est pas responsable.
- Et les gosses qu'ils fusillent, y sont responsables de quoi ? De pas être nés de l'autre côté du Rhin ? D'être juifs ? D'être enfants de résistants ou pris en otage!
Ça fait des années que Ferdinand n'avait pas pris sa femme ainsi dans ses bras. Elle se colle contre lui comme si elle espérait entrer dans son énorme poitrine et se blottir tout près de ce coeur qui bat à son oreille. Se cacher dans cette cage où personne jamais n'oserait venir la chercher pour lui faire du mal.
on cogne à la porte....Les coups redoublent et sont plus violents. Ca cogne à coups de bottes. Voilà, on arrive, on n'a plus vingt ans!!
L'Allemand fait trois pas en avant et craque une allumette. Il s'approche du vélo..Faut me prendre mon vélo, j'en ai besoin.J'suis pas riche.. me suis privé pour l'acheter, moi, ce vélo. J'ai travaillé toute ma vie..
A quatorze ans j'étais au turbin, moi ! si tu me fauches mon vélo, qu'est-ce .
qu'on va devenir ? Comment trouver à manger ? On va crever de faim, nous.
L'autre ne prête aucune attention à ce qu'il dit de sa grosse voix qui tremble et s'enroue..