Jules Verne (1828-1905) a été un romancier prolifique, dont la renommée reste immense. Son oeuvre est principalement caractérisée par sa foi dans la Science et dans Le Progrès. Les idées scientifiques sous-tendant les aventures qu'il a écrites sont considérées comme prémonitoires et avant-gardistes. Justement, l'auteur du présent livre réfléchit à cette réputation et cherche à établir la validité de ces anticipations imaginées au XIXème siècle.
D'abord, on apprend que J. Verne n'était pas si optimiste que ça. L'un de ses tout premiers romans dressait un tableau très noir de Paris au XXème siècle mais il fut refusé par son éditeur Hetzel, qui se comportait d'une manière presque tyrannique. Après le décès de Hetzel, Verne a écrit des romans plus sombres que les précédents.
Et puis l'apparence de sa modernité est parfois trompeuse. En fait, il ne suit pas de très près les progrès contemporains de la "science dure"; il se contente d'insister sur des techniques déjà acquises qu'il pousse jusqu'au gigantisme, avec ici et là des grandes naïvetés. Il ne va pas toujours au fond des choses. Par exemple, le "Nautilus" fonctionne à l'électricité, mais Verne ne nous dit pas comment est produite cette énergie ! Dans certains livres (entre autres, "De La Terre à la Lune", ou "Voyage au centre de la Terre"), on trouve des extravagances scientifiques souvent contraires à ce que l'on savait déjà à l'époque.
Jules Verne distille aussi un nationalisme revanchard (surtout après la guerre franco-prussienne), un racisme tranquille, un conservatisme politique et un certain mépris pour les femmes (qui n'apparaissent pas ou ont seulement des rôles mineurs), etc... De ce point de vue, Verne était bien un homme de son temps.
Contrairement à ce qu'on pourrait supposer après ce que je viens de résumer, Michel Clamen ne renie pas du tout J. Verne dont il reconnait les qualités d'écrivain. Au passage, il évoque des romans peu connus, qu'il présente brièvement dans des encadrés. Ce livre intéressera surtout les amateurs de J. Verne qui ont une culture scientifique.
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Dans Hector Servadac, nous sommes dans l'ima- ginaire, hors de toute verité plausible. Le choc d'un astéroide ne serait pas, pour la Terre, aussi anodin C'est à une météorite de taille bien moindre qu'on attribue en général le cataclysme dans lequel, il y a 65 millions d'années, les dinosaures ont disparu. Plus que du manque de rayonnement solaire, la stérilité de la Lune vient de son absence d'atmosphère, aspirée jadis par l'attraction terrestre. Quant à l'extinction du Soleil, nous savons maintenant à quoi nous en tenir. À terme, sa fin est inéluctable. Mais il passera par une phase de rayonnement de plus en plus intense. Le Soleil se développera au point d'englober les planètes les plus proches, Terre comprise. Si nos descendants sont contraints de quitter la planète, ce sera qu'il y fait trop chaud et non très froid. L'échéance est lointaine : 4 ou 5 milliards d'années - nous avons le temps de nous préparer ! Pourtant, le thème de l'extinction du Soleil va devenir un des poncifs de la science-fiction. C'est Wells qui le reprendra le premier, en imaginant, grâce à sa Machine à explorer le temps, une visite aux derniers jours de l'humanité.
Bref, Verne, répétant ce que lui disent ses amis, si savants soient-ils, se trompe comme eux quant au sens de l'avenir.
Ces savants, comment travaillent-ils ? Osons une réponse peu conformiste : ils ne travaillent pas. Ou plutôt, ils ne travaillent plus. Que Robur soit le père génial de l'Albatros, qui en douterait ? Mais qui connait les conditions dans lesquelles il l'a étudié, construit ? De ses études, de ses recherches, nous ne voyons rien. Les innovateurs verniens se contentent d'exhiber leur création et s'arrêtent, le premier stade accompli.
Qu'on ne s'attende pas à des descriptions du métier d'inventeur, rythmé par les hypothèses, les successions d'essais, les longues déceptions et les soudains traits de génie... Non, rares sont ceux qui travaillent dans la continuité. Verne signale que J. Starr, ancien ingénieur à la mine des Indes noires, «entre dans la catégorie des gens passionnés dont le cerveau est toujours en ébullition», mais on n'en voit guère les effets. Seul Zéphyrin Xirdal innove sans relâche, mais ce farfelu saute d'un sujet à l'autre, sans aucune suite dans les idées.
Il en résulte des chercheurs hors de tout laboratoire, des romans «de la Science» sans aucun lieu scientifique. Pas une visite de labo, pas la moindre incursion dans une station d'essais ou d'expérimentation. Car la cahute où Cyprien Méré cuisine ses diamants mérite à peine ce titre et la chambre de Xirdal, antre de savant Cosinus, encore moins. Quand, par extraordinaire, on voit les savants à l'œuvre, c'est à des calculs ou à des classifications qu'ils s'emploient. Des classements, qui sont le degré zéro des sciences descriptives. Des calculs, tous justifiés par l'uilité immédiat.
Qu'un romancier n'aime pas I'arithmétique, malgré tous les chiffres qu'il cite, qu'il ne maitrise pas les calculs auxquels il fait allusion, que ses évaluations relèvent plus du pifomètre que du mètre-étalon, qui trouverait à y redire ? On ne lui demande pas ces compétences, on est indulgent envers les ordres de grandeur, les confusions d'unités, les précisions excessives...
En revanche, qu'un auteur qualifié de prophétique - et il l'est certainement sous bien d'autres aspects - n'ait pas perçu l'intérêt du système métrique, une des novations majeures de son époque, voilà qui n'est pas à son actif. Retenons plutôt qu'il a su voir dans la magie des grands nombres un élément de poésie. Il est à notre connaissance le seul créateur à en avoir saisi le pouvoir d'évocation.
Finalement, sans aimer les mathématiques, il 2 mis les chiffres à toutes les sauces, plaisanteries comprises !
Autant d'assertions que les contemporains pouvaient qualifier de rêveries, autant de vérités prophétiques que l'expérience d'un demi-siècle d'astronautique a validées.
Certes, cette justesse dans les grandes visions ne doit pas cacher des naïvetés dans les détails. Pour se débarrasser de déchets, on n'hésite pas à prendre des libertés et à ouvrir un hublot : «En opérant vivement, c'est à peine si quelques molécules d'air s'échappent.» Ce mépris des précautions élémentaires laisserait pantois nos astronautes, dont la vie est suspendue à un défaut d'étanchéité.
Ainsi va, chez Jules Verne, la prédiction technique. Un siècle après, on reste frappé par la pertinence de certaines anticipations et par l'ingénuité de quelques autres. Car, à pratiquer le délire onirique avec une telle constance, on ne peut viser juste à tous les coups. Des prévisions saisissantes voisinent avec des erreurs formidables.
Nous avons ici I'ambition de séparer le bon grain de l'ivraie, en apportant quelque réponse à cette question : en ce début de XXIe siècle, plus d'un siècle après sa mort, que reste-t-il des annonces de Jules Verne ?
Accueillant aux idées nouvelles, Verne ne les prolonge ni dans la durée, ni dans leurs effets. Les créations verniennes sont des inventions, non des innovations.
Jules Verne n'est pas non plus un scientifique de la science, il ne retient que les résultats, les performances. Là où certains voient un moderniste, nous préférons voir un rêveur. Pas plus qu'Alexandre Dumas n'est historien, ni que les romans de Proust sont des travaux de sociologie, les «romans de la Science» ne relèvent de l'ordre scientifique.
Ces seuls noms mis en parallèle montrent qu'il n'en a pas moins du genie. Mais ce génie est d'une autre nature que celui du «savant». Il consiste à des univers originaux, sans trop se préoccuper des réalités possibles. Que lui importent, finalement, les diverses façons d'aller au fond des mers ? L'essentiel est que quelqu'un y aille un jour et en tire des aventures extraordinaires. Il est là pour nous en faire bénéficier, par anticipation.