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EAN : 9782070389360
104 pages
Gallimard (05/11/1992)
3.5/5   29 notes
Résumé :

Sous les saules pleureurs, des chats s'accouplent, griffent la terre et hurlent d'impuissance. Une femme garde les morts. Le cimetière s'agence en allées, en sections, en divisions.

La nuit, munie d'une lampe, la femme parcourt les travées et s'arrête sur les lits de pierres. Entre les tiroirs de cendres, les chapelles et leurs petites niches, elle se souvient de son enfance : une fillette a fait vœu de cruauté.

La femme f... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
"Je suis gardienne de cimetière. Je vis avec la mort et meurt d'ennui avec la vie. HAbituée au calme d'un curieux village bien hiérarchisé dans son tracé et sa composition, je fuis les veuves et les orphelins, l'effervescence et la complainte. Je ratisse, je tasse, je sème, j'arrose, je fleuris, je taille, j'embellis avec des moyens de fortune la terer des défunts pour le recueillement des vivants. Je suis la main invisible qui arrache l'aspérité et les travers, je calme la douleur en renvoyant l'image colorée d'un plan de culture soigné. Je teins la miort en composant bien au-dessus d'elle et chasse en surface l'impression de disparition définitive."

Les présentations sont faites ! bienvenue chez la narratrice, sa vaste demeure dans laquelle les coeurs finissent d'exsuder leurs derniers regrets, impirment dans le bois leurs derniers désirs avant de s'effriter avec lui. Elle s'imprègne, la gardienne, de ses expirations palpables par elle-seule, se pare des couronnes mortuaires, s'enroule dans le voile de la Grande Dame en noir et parade à son bras. La mort est son domaine, son univers, son opium, son sang.

Petite elle guettait le moindre coup du sort, l'alignement fatal d'astres mortels, se faisant la fidèle témoin d'accidents, rapportant les évènements dans les moindres détails, comme si elle voulait vanter les qualités de sa meilleurs amie, mettre en avant son intelligence, sa stratégie, sa ruse, mais surtout son omniprésence, son omnipotence.

Elle veille sur ses morts comme une nourrice donne le sein aux enfants d'une affamée, aménage, entretient, répare les sépultures comme un vétérinaire panserait un animal blessé.
Le cimetière devient mausolée de son dévouement pour celle qu'elle a toujours vénérée. "Témoins privilégié de la mise en terre, je parcours les lits de mes protégés d'un oeil averti, reconnaissant au passage quelques visages, quelques regards, des visages d'os et de poussière dont le sourire reste intact dans les petits cadres d'argent scellés à même la dalle."

Une sexualité ténue, timide découverte, pointe le bout de ses hormones dans le peu d'espace que la Mort n'atteint pas dans le corps de son esclave, mort qui dessine le corps et modèle l'esprit : "les enzymes sécrétaient, le palais fleurissait, l'aphte dessinait une belle arête dans un creux mouillé, le reste du corps était ficelé dans une boule de dentelles très fines. Cheveux minces, nombril à tête chercheuse, côtes miniatures, poinçons de lait sur les attaches, la peur se nichait à l'intérieur du ventre comme une poche de bile qu'on n'arrive pas à cracher tant ça fait mal. le coeur était descendu de plusieurs crans, il tapait dans le sexe mais je ne savais pas. A dix ans, le plaisir est un pincement qui fait rougir. Un index terrorisé s'engouffre dans une datte dénoyautée. Mais on ne sait pas. le sucre et le suc restent en suspens. L'expérience est lointaine."

Fleur du mal, dévouée corps et âme, le corps se replie autour de la mort pour mieux la sentir, la toucher : "Oiseau de mauvaise augure, graine avariée, joyeuse estropiée, je faisais la courte échelle à la mort lors de ses grands travaux. Efflanquée, ma jeunesse devait suivre son cours, n'ayant droit ni à la trêve ni à l'abandon. La femme en habit d'os avait fait de moi sa soubrette[...]"

La mort, à la fois amie, terrain de jeu et arbitre. Ne laisse place qu'à l'illusion, imagination faite de pierre, de buissons et de chairs décomposées, d'âmes emmurées : "Visionnaire, j'étais l'unique détentrice du troisième oeil, la sonde précieuse qui fait imaginer. J'avais choisi l'autre sens de la vie, la marche contraire[...]"

Au fil des ans la vie devient plus lourde à porter pour ce corps ayant défié sans cesse les lois de la nature. Dénaturé dans la forme et dans ses bas-fonds, les vivants le fuient, cet abyme morbide et insupportable d'avenir. Transition, publicité véridique sur le destin à court, moyen et long terme pour les errants venus pleurer, venus arroser del leur chagrin les fleurs de leurs défunts, elle porte les échos de ces morts qui soupirent au vent des vivants malentendants.

Encore une fois Nina use d'une plume trempée dans ce qu'il y a de plus dur, de plus froid, de plus sombre, pour dire l'impossible réchauffement du corps, de l'âme, face à la vie si lâche, pour dire le vide jamais comblé, la fuite en avant des vivants qui tentent de tenir à distance ce qui de toute façon les attend, au coin de l'année ou de cette d'après. Des mots enfilés avec précision sur un fil usé, prêt à se rompre mais qui jamais ne cède.
Lien : http://www.listesratures.fr/..
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"La mort m'appartient, j'en ai fait mon unique souci, mon unique préoccupation." "Voici mes murs, voici ma demeure, je vis dans le temple de la mort".
Des mots durs et doux à la fois, ceux d'une étrange prose qui déroulerait son chapelet satanique. Un livre viscéral qui vous dérange, vous remue, vous choque, vous prend aux tripes, vous cisaille et vous torture avec délectation, vous pervertit pour éventrer sous vos yeux les chairs pourpre de quelque oisillon blessé, pour étouffer définitivement quelque plainte furtive, pour arracher quelques ailes, cils, poils ou plumes et mettre à nu la révolte d' une enfant blessée par une "femme en habit d'os", celle qui éduquait sans vraiment aimer.
Mystérieuse messe vaudou, chant sacrificiel, scarifications et mutilations d'une méchante petite fille aux doigts souillés de sang. Extase et jouissance morbides qui planent au fil des phrases.
Un "J'irai cracher sur vos tombes" à la Boris Vian, cri primal d'une visiteuse de cimetière, d'une déméleuse de secrets, qui a choisi le camp des allongés pour ne pas être jugée, qui ne se contente pas de cracher mais qui tue pour de vrai en enfreignant la loi.
Voyage en solo d'une solitaire, mélancolique "aux rires voraces" et désobéissante, dont l'imaginaire a pris le pas sur la réalité, dont on fuit la mauvaise compagnie mais que nous lecteurs suivons, hypnotisés dans son antre de folie pure.
Nina Bouraoui en virtuose, affute ses mots, puis les enrobe de douceur pour mieux planter ses griffes au coeur de l'indicible.
Est ce sa double culture entre l'Algérie du père et la Bretagne de la mère, son désir d'identité, ou son propre déracinement qui lui permettent de combler ses propres fissures en ouvrant celles de son personnage ébréché puis scindé petit à petit face aux suppliques d' Ada dernière suppliciée?
Qu'importe! Seul compte le résultat, paradoxal qui glace et brûle à la fois.
Cet écrivain chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres, née en 1967, nostalgique de l'enfance et l'adolescence et très réservée a été remarquée en 1991 avec un prix du livre Inter attribué à La voyageuse interdite, puis le Renaudot pour Les mauvaises pensées en 2005.

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Petit roman d'à peine 102 pages.
Roman noir ? Littérature expérimentale ? Mélange de rêves, scènes macabres, pas d'amour , pas de haine non-plus, on navigue entre le cimetière, les chats noirs, les souvenirs d'enfance, d'école; La vie d'une fillette, jolie on ne sait pas, laide on n'en sait pas plus, une gamine qui se complet dans les cimetière, les tombes, les monuments mortuaires. Elle vit dans son monde à elle, en fantasmant, en rêvant.
Je ne conseillerais pas ce roman , moi j'ai aimé , mais les goûts et les couleurs ne se disputent pas .
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Un curieux livre que voila, dérangeant car il parle de la mort et a pour personnage principale une femme peu aimable c'est le moins que l'on puisse dire. On la découvre aujourd'hui gardienne de cimetière et on la retrouve plus jeune afin de comprendre son parcours semé de solitude et de morts... dérangeante musique soutenue par une prose intense, parfois difficile à suivre, à coups d'allusions et de métaphores. 100 pages environ intenses et exigeantes... je le relirai probablement... je ne suis pas sure d'avoir tout perçu...
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La mort. Sujet délicat, c'est à ce sujet que s'attèle Nina Bouraoui dans son court roman. le texte peut paraitre sombre, loufoque et en même temps il est porteur d'une certaine forme de lucidité. Nina boiraoui écrit de manière très poétique, c'est très agréable à lire. Pour moi l'autrice a dresser le portrait de la mort pour avoir l'occasion de dresser le portrait d'une femme en mal d'humanité.
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Et puis il y a les boiteuses ; souillées d'avance par les débris qu'elles recouvrent, envahies de mauvaises pousses, le profil brouillé et l'indifférence pour unique compagne, elles ont la vie dure et la vue basse.
Sépultures anonymes, cercueils insignifiants, dalles branlantes, broussailleuses et grimaçantes, si on regarde attentivement, on peut les surprendre en train de tirer sur une ronce pour mieux se cacher.
Honteuses comme un sein nu, je ne les taille plus.
Les décorations naturelles résistent à la pioche, aux ciseaux et à la bonne volonté. Délaissées par les uns, humiliées par les autres, sans nom, sans visage, elles se laissent aller à la dérive, ne luttant ni contre les creusets de la terre ni contre le roulis dû au vent.
A l'ombre des cyprès, elles craquellent, attendent la nuit, s'enduisent de résine les jours de sève, se parfument au moisi et cherchent le sang le long d'une tige venimeuse. Les champignons mortels forniquent à leurs pieds, les doryphores s'empoisonnent.
Elles sentent les vieilleries et la défaite, le chancre et l'incurable, la morsure et son liquide.
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La jounée, je marche à tâtons, les orteils écarquillés, le nez en avant, le corps abruti par la peur d'un choc brutal. Je boitille, je trébuche, je bégaie, je confonds, j'ânone. Je fais partie des gens de mauvaise compagnie, ces bouts d'être sur lesquels on saute pieds nus pour les faire plier. Il fallait la parcourir d'un pas rapide.
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Mon affinité avec la mort a commencé dès mon plus jeune âge ; non pas par excès de morbidité mais par conscience de la finitude et plus exactement de Ma finitude. Mon corps d’enfant contenait à lui seul tous les signes infaillibles d’un défaut d’infini.
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Entre les roseaux on pouvait voir des grenouilles à l'affût. Cela sentait l'urine et la moiteur d'un sexe en éveil. Les remous du lac sentaient la mort. Le lac prenait mon souffle, j'avais inauguré une piste dans ses plantes trop grandes pour moi. Pieds nus, la tunique remontée, je me trempais le ventre et priai. Petit corps malingre dans une crevasse d'eau, le lac avait eu pitié de moi.
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Les larmes ont besoin de solitude pour bien rouler, elles méprisent la communauté, la communauté les méprise

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