Un récit émouvant comme un chant qui oscille entre l'intime et l'universel.
C'est un long poème, où l'encre dessine les creux et les silences, esquisse les vides, où le passé “étreint les autres, ceux dont l'histoire se propage à Nina Bouraoui”. C'est un assemblage de textes, plus exactement d'humeurs, de pauses et de soupirs qui s'imbriquent dans un récit, qui retourne toujours à la mer.
Ce récit “Tous les hommes désirent naturellement savoir” est une sorte de sentier initiatique où la mère de Nina est celle qui protège mais aussi celle qui porte les secrets de toute la famille, les failles et les fantômes que la jeune fille peu à peu déplient.
La narration est peut être un livre de psaumes, où il n'y pas de Dieu, mais quelque chose qui procède de l'amour. Il se vit comme une suite de chants, qui vous installe dans une méditation, une atmosphère de solitude végétative, trouble que seule les femmes ont le droit de respirer, jusqu'à la suffocation. Nina parle de la voix de Ely page 35 “ c'est à sa voix si spéciale, que je la reconnais dans la nuit, cette forêt de femmes parmi lesquelles je me fraye un chemin pour la retrouver.
Cette mosaïque de mots parle de son enfance, chahutée par les multiples va-et-vient de ses parents, lui est algérien, elle est bretonne, ils se sont mariés à Rennes, mais ne se sont pas installés. La narratrice retrace le parcours de ses parents, elle ne trouvera aucune empreinte, car ils ne leur restent que des souvenirs, souvent flous, les photos de la famille sont rares, ces rues obscures de son enfance pourraient même suggérer un couple en fuite ou du moins, un couple qui cherche à passer inaperçu.
Dans ses souvenirs, elle évoque page 29 ses peurs ; dans les années 90, c'est la mort d'un médecin psychiatre qui marque le début de la "terreur algérienne." C'est la peur encore qu'elle associe à cette femme si belle, l'épouse du Docteur, car dit-elle, " sa femme française portait des jupes à plis, des chemisiers si fins qu'il laissait voir sa peau parsemée de taches de rousseur ; chacune d'entre elles était l'impact d'un baiser donné, un baiser du Docteur G."
On pourrait dire aussi que ces textes, rassemble des chants d'amour, la quête inlassable de l'amour, celui que la jeune fille désire mais qu'elle a tant de mal à exprimer, à expliciter. C'est une crevasse qui s'ouvre sous elle, quand aucune de ces rencontres de lui permet de trouver une passerelle entre son corps et ses désirs, ses désirs d'amour, son besoin d'être aimée. La fréquentation du Katmandou, club pour femmes homosexuelles, est une sorte de provocation, une présence semblable à celle que suggère le brouillard.
Le chemin qu'elle trace, est celui de son adolescence, l'affirmation de ce qu'elle savait sans se l'avouer, son homosexualité, et le chemin est long, depuis la honte qu'elle éprouve, une forme de honte sociale, aux premiers émois entre les bras d'une jeune femme qui l'aime sans savoir vraiment jusqu'au ira son premier amour. Elle souligne page 89," je dois quitter mon enfance pour exister."
Savoir, on aimerait savoir, tout savoir de l'amour, et même l'amour de l'amour, Nina Bouraoui nous laisse quelques parcelles de ce savoir quand elle écrit : "je désire maintenant et je suis désirée, je suis sans passé sans avenir et sans témoins, je pourrais disparaître entre ses mains et pourtant je renais."
Le chant envoûtant d'une jeune femme dévissant sur les fissures de l'âme.
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On oscille entre son enfance algérienne, son histoire familiale et sa jeunesse parisienne, on s’immerge avec elle, pleine de honte et de culpabilité mais assoiffée d’amour, dans un monde parallèle de femmes entre elles, la nuit, dans le Paris des années 1980. Et on est ébloui par cette écriture aussi fine que dure.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Dans son 16e roman, Nina Bouraoui raconte le douloureux chemin de l'acceptation de son homosexualité. Une acceptation qui ne va pas de soi lorsqu'on est Algérienne et qu'on a grandi dans un milieu plutôt conservateur. Car oui, on peut être homosexuel et homophobe, se détester soi-même et rejeter cette communauté de femmes qui finira par devenir la nôtre.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Elle se cherche, elle se souvient, elle avance et devient, se trouve pas à pas, au fil des rencontres. Elle fouille son enfance et sa jeunesse, dans le pire comme le meilleur à la recherche du sens de son désir et de ses amours. Nina Bouraoui nous livre une écriture des abysses de l'être, cet univers profond qu'on méconnaît souvent et qui pourtant nous fait tenir debout et parfois bancals.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Je rencontre Nathalie R. au Kat, je vais partir, elle me suit, me donne son numéro de téléphone, me fait promettre de l’appeler, je promets, je prends le ticket de vestiaire sur lequel est écrit son numéro, elle ne me croit pas, elle est sûre que je ne l’appellerai pas, au moins elle aura essayé, le dit, n’a pas honte de le dire, cela me touche, je ne sais pas pourquoi, d’habitude c’est moi la faible, je déteste d’ailleurs, ce n’est pas ça la vie, la vraie vie des sentiments, d’égal à égal, sans rapports de forces et de pouvoir ; je m’en vais, je l’appelle, quelques heures plus tard nous avons rendez-vous aux Deux Magots, j’ai peur de ne pas la reconnaître, qu’elle ne me reconnaisse pas, nous nous reconnaissons, c’est une bulle dans le café, c’est une bulle dans la ville, c’est une bulle au-delà, ça existe et ça n’existe pas, elle porte une veste en cuir et une jupe, j’aime ses mains et son alliance, je baisse les yeux à chaque fois qu’elle me parle, je ne suis pas timide, je n’ai pas honte, je suis troublée, je ne sais pas qui elle est, je n’ai pas besoin de savoir, parce que je sais qui je suis, c’est moi que j’aime près d’elle, je veux la suivre, je n’ai plus peur, c’est aussi ça qui me trouble, j’ai changé, je veux tout connaître, tout comprendre, tout essayer, je n’ai rien à perdre, mais je ne veux pas me perdre, je veux tout gagner, tout prendre ; elle habite impasse Passy, je peux passer la nuit avec elle si je le désire, parce qu’elle, elle le désire vraiment, je me dis que je n’ai pas le choix, je dois la suivre, lui faire confiance, je dois vivre ce qu’il y a à vivre, des minutes ou des heures, des instants ou un avenir, peu importe, seul le plaisir compte, ce ne sera peut-être pas pour une nuit, il y aura peut-être des jours aussi, plus beaux, plus doux, il faut essayer, même s’il se peut que l’on se trompe, qu’elle se trompe, que je me trompe, si on n’y va pas, on ne saura pas, si l’on ne se jette pas à l’eau, on ne sait pas que l’on sait nager ; elle règle l’addition, elle m’emmène, je dois me laisser faire, l’écouter, sa main à mon cou, le cuir sous la mienne, dans la vie il ne faut pas trop réfléchir, sinon on manque sa chance et on déçoit son espoir, elle m’a repérée depuis longtemps, ne devrait pas le dire, mais puisqu’elle dit tout, elle est ainsi, elle a toujours foncé, tant pis pour les accidents, les erreurs, les faux pas, elle s’est étonnée de voir une fille si jeune dans ce genre d’endroit, cela lui a plu, lui plaît, je suis courageuse ou très sûre de moi, elle ne veut pas le savoir, mais c’était plutôt touchant de me regarder au bar, assise, seule, à attendre que quelque chose arrive, qu’une main se tende, elle n’a jamais trouvé ça triste, bien au contraire, la tristesse c’est de ne pas oser ; elle conduit une Fiat 500 bleu marine, la main posée sur ma cuisse, Paris est une terre étrangère et ma campagne, je vois des fleurs et des dunes, je vois l’océan et les falaises, je vois la pierre et l’eau qui ruisselle place de la Concorde, je sens l’odeur du parfum, la vitesse dans les virages, le vent qui n’est ni gifle ni caresse quand je baisse la vitre de sa voiture, je suis l’air et le métal, l’asphalte et l’oxygène, je suis l’esclave libre de mon désir ; dans sa chambre le jour se lève déjà, les nuages forment des ombres sur les murs, j’occupe le centre du monde, je suis le roi, je suis la reine, je suis mariée à moi, mon corps contre son corps, ma peau contre sa peau, son souffle et ses silences, son odeur se mélange à mon odeur, je suis avec elle et elle est avec moi, elle est en moi et je suis en elle, rien ne nous sépare et tout s’éloigne, le bruit de la ville qui bouge, l’aube et ses mauves, le vent sous le toit, le poids de l’inconnu, je suis toujours la même et pourtant différente parce que je m’abandonne à l’emprise du rêve éveillé, je désire maintenant et je suis désirée, je suis sans passé, sans avenir et sans témoin, je pourrais disparaître entre ses mains et pourtant je renais.
.... il ne suffit pas de se travestir pour être un autre, de se cacher les yeux pour s'inventer, de garder le silence pour ne pas trahir le secret, la nuit ne suffit pas à voiler le jour et le jour ne recouvre pas la nuit, tout circule et se mélange, tout révèle et se contredit, tout se répond et s'oppose, les mots sont des oiseaux sauvages. (...) il y aura toujours du mystère et de l'inconnu, nous ne saurons ni les racines ni la terre, nous ne saurons ni les raisons du bonheur ni celle des chagrins ; une seule certitude demeure - nous espérons.
Incipit
Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul coeur, une seule cellule. Nous sommes vivants.
"On ne sait jamais de quoi sont faits l'amour, les êtres, personne ne connaît vraiment l'autre, on est toujours surpris en bien ou en mal, c'est ça la vérité : quand le réel devient plus fort que le lien, que le désir, que l'hypnose amoureuse. Il faut savoir l'accepter, la vie n'est pas un rêve, nous ne sommes pas sur terre pour avoir sans cesse du plaisir, la part qui pèse est supérieure à la légèreté", répond ma mère quanq je l'interroge sur sa définition du bonheur.
Être
J'écris les travées et les silences, ce que l'on ne voit pas, ce que l'on n'entend pas. J'écris les chemins que l'on évite, et ceux que l'on a oubliés. J'étreins les Autres, ceux dont l'histoire se propage dans la mienne, comme le courant d'eau douce qui se déverse dans la mer. Je fais parler les fantômes pour qu'ils cessent de me hanter. J'écris parce que ma mère tenait ses livres contre sa poitrine comme s'ils avaient été des enfants.
Afin de conclure cette seizième saison de la Grande Librairie en beauté, on vous propose de revoir certains des meilleurs moments : Salman Rushdie, Golshifteh Farahani, Robert et Elisabeth Badinter, Laurent Gaudé, Patrick Modiano, Nina Bouraoui, Jean-Baptiste Andréa... ils ont tous été les invités d'Augustin Trapenard et nous ont offert de grandes joies littéraires !
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