« Avant le grand basculement numérique, aucun patron n'aurait pu imaginer qu'il suffirait de fournir une plateforme bien pensée pour que des utilisateurs-clients s'épuisent à la faire vivre, pour son plus grand profit à lui. Chapeau. »
Babelio, si tu m'écoutes...
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Même principe que dans son 'Dépôt de bilan de compétences' : Snug s'adresse à David, autrement dit à lui-même plus jeune, sa version des années 80. Clin d'oeil à 'Retour vers le futur' (film de
Robert Zemeckis, 1985 pour le premier de la série).
Il n'est pas question de son expérience du salariat, cette fois, mais d'informatique, d'internet, et d' "emprise numérique", comme le dit l'essayiste
Cédric Biagini en postface. Quand les deux David déambulent dans les rues, on voit en effet chaque piéton tête baissée vers le smartphone greffé dans sa main...
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Tout y passe, et en accéléré comme ça, c'est flippant, même si l'on savait à peu près tout.
C'est mignon de constater que sous ses airs de mec cool, "tranquillou-bilou" (sic),
David Snug dresse un historique complet, très documenté (cf. la biblio en fin d'ouvrage) de l'ampleur du phénomène, de ses dérives : le problème des matières premières utilisées (enfants dans les mines de cobalt, au Congo), de la transformation (« La plupart des smartphones sont fabriquées en Chine, le revenu mensuel d'un ouvrier chinois équivaut à 83 € »), Am@zon, l'auto-entrepreneuriat imposé pour les services de livraison de bouffe ou autre (esclavage 2.0), le crowdfunding, les sites de rencontres ou de logements de vacances, toutes les données personnelles récoltées à partir de ce qu'on livre de soi sur les réseaux sociaux.
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Et bien sûr Snug évoque les idées utilisées pour nous rendre totalement accros - eh oui, des sommes colossales sont en jeu : « le mieux pour empocher un bon paquet d'oseille, ce n'est pas de vendre un produit à tes clients, c'est de vendre tes clients aux annonceurs. »
Le principe s'inspire des expériences de
Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) sur le 'renforcement positif' et le système de 'récompense aléatoire' : « Chaque like équivalent à une dose de dopamine, recevoir des likes sur le modèle de la récompense aléatoire décuple l'addiction. » Sur le sujet, on peut lire le roman de Delphine de Vigan, 'Les enfants sont rois'.
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Présenté comme ça, on peut se dire que
David Snug a pris le melon, et que cet album promet d'être chiant si on attendait de la rigolade. Absolument pas, grâce au cynisme de l'artiste. Les graffitis sur les murs méritent aussi qu'on s'y arrête (j'en recopierai quelques uns).
Et pas de ton moralisateur ici, puisque l'auteur a grosso-modo les mêmes pratiques que nous et tombe dans les mêmes pièges.