L’INSPECTRICE APRAXINE. C’est un endroit qui ne ressemble à aucun autre. Il y a tout juste deux mois, on l’appelait « l’Unité ». Et on y torturait des chairs. Violeurs, pédophiles, homophobes, innocents, tous dans le même panier, sans la moindre distinction. Mais c’était hier. On ne va pas réécrire l’histoire, ni même la relire. Aujourd’hui, on l’appelle juste « la prison ». La prison d’Akzhar.
Ce qui vient de se passer lui semble si étrange qu’Anaïs peine à recouvrer ses esprits. D’où est donc sorti ce jeune éphèbe des sables, suffisamment libre et audacieux pour l’appeler « cousine » en guise de clôture d’une pauvre dizaine de mots échangés ? Ça la tourmente, comme la foudre qu’elle n’a pas entendue tomber, mais qu’elle a ressentie dans ses veines…
La réceptionniste lui fait signe qu’elle est sur le point d’oublier ses valises. Un sourire, un fredonnement interne, serait-ce… ? Dans l’heure qui suivra, Anaïs gèrera l’installation dans la chambre, se félicitera d’avoir une vue sur la cour de l’hôtel, et prendra le temps de se rafraîchir, sobre réponse aux dangers esthétiques d’un long voyage en train sous la canicule naissante.
Vers la fin de l’après-midi, la revoilà. Elle s’est assise derrière la cathédrale Saint-Gatien, en face du portail du lycée. Cécilia est parmi les premières et premiers à sortir. Minois rassuré. On a dû lui dédramatiser les tortures à venir. Mais Anaïs ne la voit, regarde pas…
Mais aujourd’hui nous y accourons :
Il s’étouffe, se meurt,
Notre doux petit siècle !
Son ultime décennie trébuche, s’effondre,
Ses chiffres se répliquent à l’infini,
Le neuf se multiplie et se bouscule ;
S’affolent les plus digitaux de nos cadrans,
Et sonne l’heure :
Ici l’immaîtrisable tempête d’univers nouveaux,
Là l’empire invisible aux machines les plus retorses,
C’est lui, c’est le nouveau millénaire !
Jusque-là tout va, jusque-là tout va bien…
Le siècle est très, très jeune, et je respire encore ;
Onze années de battements, et j’achèverai mon aventure terrestre…
Millénium, dis-moi : quel sera mon tout dernier rôle ?
Lune ne s’exprime plus comme jadis, mes filles sont devenues mères,
Et ma supernova se rapproche mais…
Moi je sais, c’était écrit, je suis née pour lui, pour ce rôle-là :
Grand-mère – et tous les surnoms qu’on lui connaît.
Lizzie,
Finalement, après toutes ces années, tu as répondu. Oui, tu as daigné consacrer un peu de ton temps libre à ma personne. C’est incroyable ; tous ceux qui connaissent la « vraie Lizzie » savent pertinemment qu’elle ne répond jamais, qu’elle se fout de tout, qu’elle se fout de moi, alors… personne ne voudra y croire ! Après tout, qu’importe ? Le « devoir de vérité » finit toujours par trouver ses limites, et avec toi plus rapidement qu’avec les autres. As-tu bien conscience de ce que tu m’as écrit, Lizzie ? T’es-tu seulement relue ?