Pour Heidegger, la voie poético-naturelle qui laisse-être la présentation comme non-voilement, est l’origine authentique. La voie mathématico-idéelle, qui soustrait la présence et promeut l’évidence, est la clôture métaphysique, le pas premier de l’oubli.
Je propose, non pas un renversement, mais une autre disposition de ces deux voies. J’admets volontiers que la pensée absolument originaire se meut dans la poétique et le laisser-être de l’apparaître. Cela est prouvé par la caractère immémorial du poème et de la poésie, et par sa suture établie, et constante, avec le thème de la nature. Mais cette immémorialité témoigne contre le surgissement événement de la philosophie en Grèce. L’ontologie proprement dite, comme figure native de la philosophie occidentale, n’est pas, et ne saurait être, l’advenue du poème dans sa tentative de nommer, en puissance et en éclat, l’apparaître comme venue-au-jour de l’être, ou non-latence. Cela est beaucoup plus ancien dans le temps, et beaucoup plus multiple dans le site (Chine, Inde, Égypte…). Ce qui constitue l’événement grec et au contraire la deuxième voie, qui pense soustractivement l’être dans le mode d’une pensée idéelle, ou axiomatique. L’invention propre des Grecs est que l’être est dicible dès lors qu’une décision de pensée le soustrait à toute instance de la présence.
Les Grecs n’ont pas inventé le poème. Ils ont bien plutôt interrompu le poème par le mathème. Ce faisant, dans l’exercice de la déduction, qui est fidélité à l’être tel que le vide le nomme, ils ont ouvert la possibilité infinie d’un texte ontologique. (pp. 143-144)
Aristote laisse ouvert au moins une possibilité : que le vide soit un autre nom pour la matière conçue en tant que telle, spécialement la matière telle qu’elle est le concept de l’être-en-puissance du lourd et du léger. Le vide nommerait alors la cause matérielle du transport, non – comme chez les atomistes – en tant que milieu universel du mouvement local, mais en tant que virtualité ontologique indéterminée immanente au mouvement naturel qui porte le lourd vers le bas et le léger vers le haut. Le vide serait l’in-différence latente de la différenciation naturelle des mouvements, tels qu’ils sont prescrits par l’être qualifié (lourd ou léger) des corps. En ce sens, il y aurait bien un être vide, mais présubstantiel, donc impensable comme tel. (p. 86)
Le dépit philosophique provient uniquement de ce que, s'il est exact que ce sont les philosophes qui ont formulé la question de l'être, ce ne sont pas eux mais les mathématiciens qui ont effectué la réponse à cette question.
Alain Badiou vous présente son ouvrage "Mémoires d'outre-politique : 1937-1985" aux éditions Flammarion. Entretien avec Pierre Coutelle.
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