Le capital a une odeur : celle
du bétail affolé aiguillonné par d'avisés bouviers sans scrupules. Après «
Merdeille », une nouvelle démonstration hilarante et grinçante de
Frédéric Arnoux.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/12/11/note-de-lecture-
du-betail-frederic-arnoux/
Comme nous l'avaient notamment rappelé en beauté et en puissance le
Quentin Tarantino de « Kill Bill » et le
DOA de «
Pukhtu » (« Primo » et « Secundo »), lorsque l'on souhaite se débarrasser d'une machine à tuer intelligente anciennement à son service, que l'on soit chef d'un bureau occulte des assassinats, responsable d'officine géostratégique intervenant à la charnière du secret défense et du secret des affaires, ou véritable grand manitou faisant la pluie et le beau temps sur la politique politicienne, le crime organisé et l'opinion publique manipulable par la communication, il est essentiel de ne pas rater son coup. Démarrant sous quelques bons mètres de cette terre meuble qui fait les grands cimetières sous la lune et les îles au trésor, puis dans les préparatifs du grand lancement du moment, celui d'une cocaïne teinte en rose destinée à faire fureur dans toutes les narines – et plus encore dans les bénéfices de ses architectes et commanditaires -, lancement inséré au coeur d'une nouvelle fête se voulant la future égale de la Fête de la Musique, «
du bétail », le troisième roman de
Frédéric Arnoux, en constitue un rappel cinglant et hilarant, télescopant farce folle et tragédie cynique par le truchement d'une inventivité langagière toujours renouvelée. Fiction redoutablement pulpeuse et irrévérencieusement sanglante dont les protagonistes hallucinés se nommeraient Bronzo, Jean-Joseph Granpaul (dit Joss), Lamarr, Slim, Laurence ou Solo plutôt que Vincent, Jules, Butch, Mia ou Marsellus, charge héroïque dans laquelle un
Tarantino mutant se serait nourri d'Engrenages, «
du bétail » frappe fort, fait mal et nous fait pourtant – si malicieusement – rire.
Après «
Cowboy light » (2017) et «
Merdeille » (2020), déjà publié aux éditions Jou, «
du bétail » confirme le talent rare de
Frédéric Arnoux pour faire grincer le réel, depuis des points de vue variés mais toujours apparemment insoupçonnables : sur le champ de bataille, oscillant entre menées guérillères et conflits à haute intensité qu'est devenu le champ du langage (comme le rappelaient encore récemment, parmi d'autres, la
Sandra Lucbert de «
Personne ne sort les fusils » ou le D' de Kabal de « Casus belli »), il n'y a pas beaucoup de prisonniers. Rythmé par de curieuses strophes presque chantées, à la manière des « Aventures extraordinaires d'un billet de banque » de
Bernard Lavilliers, «
du bétail » égrène les stations brutales d'une vengeance fatale et méthodique, une fois que les premiers ratés des moteurs dominants pourtant si sûrs d'eux sont intervenus, fourmille de détails proprement ravissants (la Place SarkozyOhOui, ne serait-ce qu'elle : priceless), désarçonne les attentes trop automatiques de la lectrice ou du lecteur pour orchestrer d'inattendus télescopages, et en un mot, nous réjouit – de cette jouissance légèrement teintée de jaune qui sied à ce qui se passe autour de nous sous le règne du capitalisme, tardif, mais toujours insatiable.
Lien :
https://charybde2.wordpress...