DÉMOS : J'ai honte de mes sottises passées.
LE CHARCUTIER : Mais ce n'est pas toi le coupable, sois tranquille ; ce sont ceux qui te trompaient ainsi. Maintenant, veuille me dire : si quelque charlatan d'avocat public te disait : « Il n'y aura pas de blé pour vous, messieurs les juges, si dans ce procès vous ne prononcez pas un verdict de condamnation », que ferais-tu, veux-tu dire, à cet avocat ?
DÉMOS : Je le ferais quitter le sol pour le précipiter dans un gouffre, après lui avoir accroché Hyperbolos au cou.
LE CHARCUTIER : Tu viens de parler cette fois avec bon sens et sagesse. Mais par ailleurs, voyons voir, comment gouverneras-tu ?
DÉMOS : D'abord je ferai payer la solde entière à tous les rameurs des grandes unités aussitôt qu'ils seront à leur port d'attache.
LE CHARCUTIER : Voilà qui est aimable pour une foule de petits derrières usés par le frottement.
(trad. Marc-Jean Alfonsi, éd. GF 1966, p. 87)
Nous avons un maître ; c'est un caractère mal embouché, un grignoteur de fèves, facilement irritable. Il s'appelle Démos, il est originaire de Pnyx. C'est un vieux bonhomme atrabilaire, à moitié sourd. Au dernier marché de la nouvelle lune, il a fait l'acquisition d'un esclave tanneur, un Paphlagonien, une espèce de génie dans le domaine de la fourberie et de la calomnie. Ce Paphlagonien de la Tannerie n'a pas plutôt reconnu le caractère du vieux, qu'il se met à ramper devant lui, à le flatter, à le caresser, à le flagorner, à le séduire avec des rognures de cuir, en lui tenant des propos de cette espèce : « Ô Démos, contente-toi de juger une seule cause, et puis va prendre ton bain. Après quoi occupe-toi d'avaler, de mâcher, d'absorber, et de digérer cette pièce de trois oboles. Veux-tu que je t'apporte un casse-croûte ? » Et puis, à peine avons-nous fini, l'un ou l'autre, de préparer quelque chose pour notre maître, que ce Paphlagonien nous l'enlève pour lui en faire hommage.
ARISTOPHANE – Peut-on rire de tout ? (France Culture, Nouveaux Chemins, 2013)
Émission de radio « Nouveaux Chemins » diffusée le 19 mars 2013, sur France Culture dans le cadre d’une semaine intitulée « Éloge de la parodie ». Adèle an Reeth recevait Ghislaine Jay-Robert, maître de conférence en langue et littérature grecques à l’Université de Perpignan.