«
Les obsessions bourgeoises » est le second roman de
Madeleine Meteyer. Son ouvrage précédent, «
La première faute », mettait en scène le couple et notamment deux êtres qui n'évoluent pas à la même vitesse, l'érosion de l'amour et les vernis qui craquellent sous le joug du temps qui passe. Dans «
Les obsessions bourgeoises », l'écrivaine aborde l'adolescence et ses amitiés fortes, et décortique cet attachement complice, suivi d'un certain détachement obscurci par des doutes, quelques années plus tard.
Le roman s'ouvre en 2017, trois jours après une soirée. Céleste Barruel, 27 ans et Servane Lacombe, sa meilleure amie portent plainte au commissariat pour le vol d'un vase Lalique série « Mûres ». Ce vol a eu lieu durant la fête d'anniversaire de Céleste au domicile de ses parents. Pour comprendre les relations entre Céleste et Servane,
Madeleine Meteyer remonte aux origines de leur rencontre, en 2006. Elles ont alors 15 ans. Nous sommes le 3 septembre, le jour où Servane met pour la première fois les pieds dans un lycée dit d'excellence « où le latin et le grec continuent de s'enseigner ».
Le sous-titre de ce roman pourrait être : «
Les obsessions bourgeoises » ne permettent pas d'habiter le monde de la même façon, car les deux jeunes filles sont issues de classes sociales diamétralement opposées. Céleste va en cours avec un sac Birkin, Servane sait qu'un tel objet coûte 15,5 fois le SMIC. La première vient d'une famille aisée, la seconde fait des baby-sittings plusieurs fois par semaine et ne peut jamais se joindre aux activités de sa classe par manque de moyens. Rien n'était susceptible de les rapprocher et pourtant… « Les amitiés se forgent à partir d'éléments dérisoires. »
Madeleine Meteyer choisit la double temporalité pour explorer la nature des relations humaines, les dynamiques sociales et les défis auxquels sont confrontées les deux jeunes filles alors qu'elles naviguent dans des mondes où les apparences peuvent être trompeuses. Onze années s'écoulent entre la première rencontre et le vol du précieux vase, onze années durant lesquelles la confiance peut avoir été mise à rude épreuve. Les attentes et les désirs divergents entraînent des malentendus tacites. Les rancoeurs et les doutes se frayent un chemin poisseux dans les coeurs et les esprits. Servane peut-elle avoir volé ce vase, elle qui a toujours manqué de tout et qui n'a pas « évolué » à la même vitesse que ses pairs dans la société ?
Grâce à la double temporalité notamment, «
Les obsessions bourgeoises » fait le focus sur ce qui lie et ce qui délie. « La grande amitié naît comme un grand amour. Dans un feu qui embrase, flatte, étourdit, rend stupide, brave, possessif. » La naissance de cette amitié, une connexion profonde et quasi immédiate, déclenche un sentiment d'enchantement et de tendresse fascinants. Avoir la sensation de trouver quelqu'un qui comprend vraiment ce que l'on ressent et avec qui l'on peut être soi-même, est d'une pureté rare.
Madeleine Meteyer dissèque à merveille ce sentiment d'ouverture à l'autre et de confiance réciproque qui se développe progressivement. Tout au long du chemin, la perspective de partager des expériences, d'apprendre et de grandir ensemble crée de vraies émotions.
Mais… lorsque l'on ne vient pas du même milieu, qu'il faut trouver sa place dans cet environnement inconnu, et sans cesse avoir la sensation de devoir prouver que l'on est à la hauteur de cette amitié, «
Les obsessions bourgeoises » prennent alors le dessus (nous n'avons pas tous les mêmes problèmes !). Les préjugés ont la dent dure, les disparités de richesse, de statut social, d'évolution professionnelle convoquent des doutes qui viennent ternir une relation que l'on croyait indestructible. « La grande amitié se tisse au gré des preuves. » (et non pas des épreuves…).
«
Les obsessions bourgeoises » est aussi un texte assez drôle qui ose des prises de position cinglantes et acérées. « Céleste a eu 18,1. Elle ira en hypokhâgne. le berger lui a caressé la croupe et la pousse désormais dans une direction. Elle sera
Annie Ernaux, ou rien. »
Madeleine Meteyer s'en donne à coeur joie dans la critique acerbe de ce monde de prénoms composés et de noms à particule dont on a autant envie de baffer les enfants que les adultes. (cf. : les séances de baby-sitting).
« L'instant d'après, les doigts de Servane courent sur les draps à la texture brillante dans lesquels Michel de Goursac flatule, fornique, rêve. Elle avise les penderies. Laquelle est celle de Laure ? Celle de droite ? Celle de gauche sûrement, du côté de la table de nuit où reposent Les
Mémoires d'outre-tombe. Sur l'autre, il y a un exemplaire de
Jean-Christophe Grangé. Servane imagine très bien Michel de Goursac en train de s'affrioler de sang, de meurtres d'enfants pendant que sa digne épouse, exténuée, s'efforce de communier avec
Chateaubriand en attendant que son millepertuis la flingue pour la nuit. Elle les hait de toutes ses forces. »
«
Les obsessions bourgeoises » combine habilement attachement et satire où puissance de l'amitié et critique acerbe de la société bourgeoise s'entremêlent. Dotée d'une plume empreinte de sensibilité et d'humour,
Madeleine Meteyer nous offre un roman profondément humain, où la tendresse des liens se confronte à la réalité d'une classe sociale privilégiée. C'est dans cette intersection, entre la tendresse de l'amitié et la critique sociale que réside toute la puissance et la pertinence de ce roman.
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