Imaginez, des années et des années sans rien, et voilà qu’un oiseau chante pour vous, et puis on le réduit au silence …ça a dû être un silence assourdissant.
Si elle leur avait laissé libre cours, ces moments qui la surprenaient auraient pu clarifier quelque chose pour elle ; la tristesse, l’humilié auraient pu engendrer la compréhension. Mais elle n’osait pas les laisser s’installer en elle, car ils faisaient partie d’un tout qui était trop pour elle qui était seule. Elle n’osait pas essayer de savoir, elle était comme quelqu’un qui la vie n’aurait pas accepté ; ce qu’elle offrait n’avait de sens et elle ne recevait rien en retour.
Elle voyait à présent - même si c’était comme un rêve dans un autre rêve - qu’elle n’avait tout simplement pas évolué dans le bon rythme, celui que les autres épousaient si facilement. Elle en concevait souvent de la rancoeur, parfois de la mélancolie aussi - qui conférait à l’ensemble une beauté inaccessible à ceux qui étaient pris dans ce rythme.
C’était comme si ses sentiments n’étaient pas en ordre ; comme si, séparés de ce qui les avait créés, ils s’étaient mués en chaos et devaient être gardés sous contrôle. Eussent-ils trouvé un endroit par lequel sortir, un point où le contrôle était relâché, ils se seraient déversés, s’échappant par où ils n’étaient pas censés s’échapper.
La vie se heurtait à sa porte, alors qu’elle avait déjà quitté la vie ; c’était plus étrange, plus éprouvant que la mort.
Aren’t we [Women] something more than things to be noble about ?
[Nous les femmes,] Ne sommes-nous que cela : des faire-valoir à la noblesse d’âme masculine ?
(p. 136-137, “Woman’s Honor / L’Honneur d’une femme”).
Elle ne s’était pas rendu compte que Dan ressentait cela, pas plus qu’il n’avait su qui elle était - que ce qu’il exigeait d’elle n’était pas elle, cet être plus insouciant et plus libre. Et il avait pensé que c’était cela qui l’enfermait, qu’en elle les sentiments ne déferlaient pas, qu’elle n’avait pas conscience de tout ce qui était sous ses yeux. « Tu te déplaces dans ton petit monde et tu ne connais rien d’autre », avait-il dit, ne soupçonnant pas qu’elle se déplaçait avec soin dans son petit monde parce qu’elle connaissait trop bien ce qu’il y avait autour.
Dès lors, qu’était la vie ? Devait-on traverser tout cela sans savoir, en fermant les portes, parce que c’était trop, parce qu’on n’y arrivait pas ? […] Comparer, se souvenir, c’est ménager une place pour les sentiments. Le déni. Le seul moyen de continuer.
Ce n’étaient pas là des pensées. C’étaient comme des ombres qui se meuvent en rêve.
Minnie Foster est le visage de l’invisible, du silence, de l’oubli. Je vois pourtant beaucoup de visages dans le visage absent de Minnie Foster.