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Citations de Sorj Chalandon (2604)


Je pensais retrouver des éclats d'enfance et j'en ramassais des lambeaux.
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Un problème posé à la Grande-Bretagne est une solution apportée à l’Irlande, a encore dit notre enseignante. [...]
Je n’ai plus posé de question. Et Danny a gardé les siennes. Lui et moi allions faire la guerre aux Anglais, comme nos pères la faisaient. Et nos grands-pères aussi. Poser des questions, c’était déjà déposer les armes.

(Chapitre 4)
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Je n'avais pour exemple de père que l'absence du mien.
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Sept mois plus tôt…
La dame au camélia
(Lundi 18 décembre 2017)
Tout se passerait bien. Une visite de routine.
— On va commencer, madame Hervineau. Si je vous fais mal, dites-le-moi.
J’étais torse nu, debout, face à l’appareil, ma main tenant la barre.
— Levez bien le menton, a demandé la manipulatrice. Mon sein gauche était comprimé entre deux plaques.
— On ne bouge plus.
Elle est retournée derrière sa vitre.
— Ne respirez pas.
— Pardon.
Je n’ai plus respiré.
Il y avait eu cette douleur au sein gauche, au moment de fermer mon soutien-gorge.
— La preuve que tout va bien, avait plaisanté ma gynécologue.
Pour elle, le mal disait souvent des choses sans importance.
— C’est lorsque la grosseur est indolore qu’il faut s’inquiéter.
J’ai insisté. Il me fallait une mammographie, une radio, la preuve que tout allait bien. Nous nous étions vues un an plus tôt. Rien n’avait été décelé. Pourquoi recommencer ?
— Pour ne plus en parler, j’ai répondu. Elle a haussé les épaules. Puis fait une ordonnance.
Trois jours après, j’étais là, sein écrasé, à attendre.
— Lâchez la barre. Respirez normalement. Je suis retournée dans mon vestiaire. On m’a demandé de ne pas remettre mon soutien-gorge. Ni mes bijoux. Mon chemisier était glacé. J’ai regardé mes mains. Je tremblais. C’était un examen de contrôle, je n’avais rien à craindre mais je tremblais.
— On va quand même faire une écho, m’a annoncé le médecin.
Il a dit ça comme ça. D’une voix morne. Un homme jeune, affairé. Il a passé le gel sur mes seins comme on se lave soigneusement les mains avant de se mettre à table.
— Vous avez froid ?
Je n’ai pas répondu. J’ai hoché la tête. Je tremblais toujours. J’observais le radiologue sans un regard pour moi. Il passait la sonde sous le sein, autour du mamelon, les yeux sur son moniteur. Photo, photo. J’ai fermé les yeux. Photo, photo. J’avais souvent été palpée mais tout s’était toujours arrêté là. Quelques mots de politesse, une poignée de main avec l’assurance de se revoir.
Je n’avais plus de jambes. Plus de ventre. Plus rien. J’étais sans force et sans pensée. Autour de moi, la pièce dansait
Personne ne m’avait jamais fait d’échographie.
— Ah, il y a quelque chose, a murmuré le médecin. Silence dans la pièce. Le souffle de la machine. Le cliquetis des touches. Et ces mots.
— Quelque chose.
J’ai fermé les yeux. J’ai cessé de trembler. La sonde courait sur moi. Un animal qui joue avec sa proie.
— Oui, il y a quelque chose, a répété le radiologue. Et puis il a rangé son matériel, me tendant des mouchoirs en papier.
Je suis restée couchée. J’essuyais le gel lentement, autour de la douleur.
— Agathe, voyez s’il y a de la place pour une ponction.
Son assistante a hoché la tête.
— Aujourd’hui ?
— Oui, demandez à Duez s’il peut nous caser entre deux.
Et puis il est parti. Il a quitté la pièce, en jetant ses gants dans une poubelle.
La jeune femme m’a fait asseoir.
— Quelque chose.
Je me suis demandé ce qu’il y avait après cette chose-là. Mon sein gauche avait quelque chose. J’ai pensé à la mort. La phrase cognait ma tête. Je ne respirais plus. Quelque chose. Une expression misérable, dérisoire, tellement anodine.
Je n’avais plus de jambes. Plus de ventre. Plus rien. J’étais sans force et sans pensée. Autour de moi, la pièce dansait.
Lorsque la jeune femme a voulu m’aider à descendre, j’ai relevé la tête.
— Je pleure quand ?
— Maintenant, je suis là pour ça.
Alors j’ai pleuré. Elle a pris mes mains.
— Il n’y a peut-être rien, juste un kyste. Mes yeux dans les siens. Elle n’y croyait pas. « Voyez s’il y a de la place pour une ponction. » Les mots du médecin. Une ponction, la crainte du pire.
Agathe m’a installée sur une chaise. Elle m’a apporté des bonbons pour la chute de glycémie, après la biopsie.
— Je saurai si c’est gentil ou méchant ? Elle s’affairait à rien. Rangeait des instruments qui m’étaient inconnus.
— Non. Il faudra attendre les résultats.
— Le médecin ne me dira pas ?
— C’est l’analyse qui vous le dira. Lui, il va se faire une idée. En fonction de la consistance de ce qu’il aspire. Mais cela ne vaut pas un résultat.
— Mais il aura quand même une idée ? Il pourra me le dire, vous croyez ?
— Vous pourrez toujours lui demander. Elle m’a raccompagnée à mon box. Je me suis assise sur le banc. Je n’arrivais pas à remettre mon chemisier, à boutonner mon gilet. Je suis allée aux toilettes. Mon visage dans le miroir. Ma peau grise. Mes lèvres, un simple trait. J’ai passé de l’eau sur mes yeux. Je me répétais que tout irait bien, mais rien n’allait plus. J’avais un cancer. Je le sentais en moi. J’aurais dû demander à Matt d’être là mais il aurait refusé.
— Tu m’as dit toi-même que c’était un simple contrôle.
Parfois, je prenais sa main pour traverser la rue. Il n’aimait pas ce geste. Il n’en comprenait pas l’importance. Et je n’osais pas lui dire que j’avais besoin de lui. Je me souviens de ma main d’enfant, cachée dans celle de mon père. Et celle de notre fils, brûlante dans la mienne, chétive comme un moineau. Aujourd’hui ne restait que la main de Matt. Et il ne me la donnait plus.
— Jeanne Hervineau ? C’est moi. Incision, prélèvement, trois coups secs. Quelques minutes seulement.
Le Dr Duez ne m’a rien dit. Rien d’important.
— De toute façon, il faudra enlever la grosseur. C’était tout. Et aussi que j’en parle à mon médecin traitant, assez vite.
— Je ne vous lâche pas. Je suis là, avait rassuré Agathe.
Elle a posé la main sur mon bras.
— C’est quoi votre stratégie ?
Je l’ai regardée. Pour la première fois depuis mon arrivée à la clinique, quelqu’un employait un terme militaire. J’ai observé mes jambes ballantes, mes pieds nus, le sol carrelé. Je me suis dit que j’étais en guerre. Une vraie. Une bataille où il y aurait des morts. Et que l’ennemi n’était pas à ma porte mais déjà entré. J’étais envahie. Ce salaud bivouaquait dans mon sein.
— Vous allez faire quoi, Jeanne ?
— Je vais appeler mon mari, pleurer un bon coup et attendre de voir.
Elle a souri.
— C’est un bon plan. Appelez-moi en cas de besoin.
Lorsque j’ai quitté la clinique, sept patientes attendaient. J’avais lu qu’une femme sur huit développait un cancer du sein au cours de sa vie. Il était là, l’échantillon. Huit silences dans une pièce sans fenêtre. Huit poitrines à tout rompre. Huit regards perdus sur des revues fanées. Huit naufragées, attendant de savoir laquelle d’entre nous.
Ce matin, il avait plu. Une sale pluie d’hiver giflée de grésil. Mais c’est le soleil qui m’a accueillie dans la rue. J’avais appelé Matt, trois fois. Trois fois tombée sur son répondeur. Il devait sortir de table. J’avais besoin de lui, pas de sa voix. Et puis lui dire quoi ?
— Mauvaise nouvelle, j’ai peut-être un cancer. Rappelle-moi s’il te plaît.
Je n’ai pas pris le métro. J’ai marché. Ce matin, j’étais une fille rieuse de 39 ans. Cet après-midi, une femme gravement malade. Six heures pour passer de l’insouciance à la terreur. Je n’arrivais pas à regarder les autres. J’avais peur qu’ils comprennent que je n’étais plus des leurs. Le temps avait basculé. Tout empestait Noël. Les vitrines, les rues, les visages. Je suis entrée dans une papeterie. Il me fallait un cahier, un épais à spirale pour noter ce qui me serait dit. Comprendre ce que j’allais devenir. Je l’ai choisi avec une couverture bleue. Le bleu du ciel, lumineux et gai. Mon premier acte de résistance.
Matt s’est lourdement assis dans son fauteuil. Il m’avait écoutée debout, et puis il s’est assis.
— Merde !
C’est tout ce qu’il a dit. Il s’est assis avec son écharpe, son manteau. J’avais attendu qu’il passe la porte pour tout lui dire. Je l’ai cueilli comme ça, sur notre seuil. Je n’avais plus de larmes. Seulement les mots du radiologue, les gestes de son assistante, mon désarroi.
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Enfant, Madeleine pleurait beaucoup. Berthevin pensait même que l'expression venait de là.
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Elle observe son vieil homme. Il a son front de peine, ses rides profondes, ses paupières lourdes et la bouche en soucis.
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Longtemps, Jacques Rougeron a cru qu'il était seul à tenir un cahier à mots. Il n'en avait jamais parlé, mais ne le cachait pas. Il ne l'emportait nulle part. Il le laissait dans sa chambre, ouvert sur son bureau aux derniers mots appris. Un jour d'été, blessé à la cuisse, il a cherché une planche anatomique dans le dictionnaire de maman Rougeron, dessiné le membre dans son cahier puis recopié le nom des nerfs, des veines, des muscles, de tout ce difficile à prononcer.
Iliaque, aponévrose, couturier, saphène, tenseur, crural.
Ensuite, il s'est levé et il a commencé à répéter chaque mot à voix haute sans entendre papa Rougeron qui entrait.
- Ccrru... ccrru... crrurr... crruuurral, disait Jacques en moulinant sa main.
- Tu révises quoi? lui a demandé papa Rougeron.
Il a sursauté. Il a laissé tomber son cahier. Il l'a ramassé. Il l'a posé sur son bureau en disant qu'il révisait la cuisse.
- La cuisse?
Il a dit oui, la cuisse. Et il a expliqué qu'il notait tous les mots difficiles.
Papa Rougeron a regardé son fils. Il a souri. Il est sorti sans parler. Il est allé dans sa chambre. Il est revenu avec un grand cahier de cuir rouge, fermé par deux lanières effrangées. Il s'est assis sur le lit de Jacques. Jacques s'est assis à son côté. Papa Rougeron avait un cahier à mots. Pas un cahier de bègue, un cahier d'ouvrier. Un cahier pour ceux qui n'ont pas été à l'école. Un cahier de pauvre. Un cahier pour apprendre. Un cahier pour savoir ce que les autres savent.
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Un soir, le frère de maman a parlé plus que de raison. Il a dit que nous étions partout chez nous en Irlande, de Dublin à Belfast, de Killybegs au 19 Sandy Street. Il a dit que les étrangers, c’étaient eux. Les protestants, les unionistes, ces descendants de colons, installés dans nos maisons et sur nos terres par l’épée de Cromwell. Il a dit que nous avions droit aux mêmes droits qu’eux, et aux mêmes égards. Il a dit que c’était une question de dignité. Et moi je l’ai écouté.
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Toute notre enfance, mon père nous avait répété que le charbon était fini, que les puits appartenaient à l'histoire du pays. Qu'ils seraient comblés, les un après les autres. Mon frère lui répondait que la terre aussi, était morte. Les villes l'encerclaient, la dévoraient, les hommes y faisaient pousser des briques.
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Je n’ai pas relu les 42 noms. Je les connaissais depuis ma jeunesse, appris par cœur comme les lettres de l’alphabet. Celui de Jojo n’était pas dans la pierre, rejeté par les Houillères et par la mémoire. Mort trop tard pour être des martyrs. Mort trop loin pour être célébré. Mort entre deux draps pas entre deux veines. Mort en malade de la ville, pas en victime du fond. C’était dégueulasse. Ma mère, mon père, sa femme, tous nous avions hurlé à la saloperie mais l’Histoire s’était refermée sur notre douleur. Alors j’ai gravé le nom de mon frère dans ma tête, dans mon ventre et dans mon cœur, entre deux autres camarades tombés. 
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"On fait son deuil.
C'est effroyable, mais on le fait.
Après avoir été au loin, au plus profond, creusé par l'absence et le silence,sans air, sans lumière, sans souffle, sans pensée, sans rêve , sans voix, après avoir perdu la faim, la foi, les nuits, après avoir tremblé à l'infini, après avoir eu froid tous les jours sans l'autre, tous ces gestes sans l'autre .......
On défroisse le linceul qui nous couvrait aussi, on caresse l'étoffe, on la regarde encore,on la plie avec soin, on fait son deuil , mais on ne revient pas d'un rendez- vous manqué."
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Il a su quand la mort est entrée dans la pièce. Il l’a sentie de loin. Ce n’était pas la charrette de l’Ankou, pas non plus la lumière blanche. C’était juste un instant froid, sans bruit, sans crainte, sans rien.
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"Ils avaient changé de murs mais gardé tout le triste."........
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Je me suis assis, mon crayon inutile. Dans ce tableau, aucune autre couleur que le brun. Un camaïeu de sable et de pauvre. Un froc, d'ombres et de lumière, qui recouvre ses pieds et dissimule ses mains.Une capuche couvre sa tête. Son visage apparaît dans la lumière dorée. Sa peau est de même tristesse que la bure, que le mur, que le sol, entre ocre jaune et terre de Sienne. Il a les yeux levés, les lèvres ouvertes. il voit ce que personne n'a jamais vu. il prie.

(à propos du Saint François, peint par Zurbaràn.)
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La bombe ne tue pas, elle profane le corps. Elle le dépèce et le lacère. Je ne suis même pas certain que l'âme lui survive.
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De mon père, je n'ai rien conservé parce que rien n'a été. Je ne me souviens pas de sa main, de ses doigts qui rassurent lorsque l'orage gronde. Pas même de sa colère, de sa joie, de ses cris. Ni de sa voix. Je ne me souviens pas du rire de mon père. Jusqu'à ce jour, lorsque je pense à lui, je revois le silence. Il y a des enfants aimés, détestés, des enfants battus, des enfants labourés ou couverts de tendresse. Moi, je suis resté intact.
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Ces félons étaient armés par les Anglais, habillés par les Anglais, ils ouvraient le feu sur leurs camarades. Ils n'avaient d'irlandais que notre sang sur les mains.
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Il pensait à un peuple à part. A une armée de simples gens. Lui démontait des filtres à air et réglait des carburateurs. Eux fouillaient la terre pour éclairer le pays, chauffer les familles, produire le ciment, le béton, goudronner nos routes. Lui colmatait une fuite d’huile, eux travaillaient à notre confort.
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Les récifs, les courants, les tempêtes. On ne s’évade pas d’une île. On longe ses côtes à perte de vue en maudissant la mer. Même si certains ont tenté le coup.
(page 23)
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C'est sorti comme ça. Coup de poing parti trop vite. Bras d'honneur du mec sans répartie. Je respectais le médecin, je l'estimais elle aussi. Mais Bonneau ne devait pas trahir La Teigne. Je n'ai pas droit aux sentiments. Les sentiments c'est un océan, tu t'y noies. Pour survivre ici, il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tu as froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque l'obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin. Rester droit, sec, nuque raide. N'avoir que des poings au bout de tes bras. Tant pis pour les coups, les punitions, les insultes. S'évader les yeux ouverts et marcher victorieux dans le sang des autres, mon tapis rouge. Toujours préférer le loup à l'agneau.
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