Philippe Tessier

Quand on oubliait la réalité, elle avait la fichue manie de revenir comme un boomerang pour vous rappeler à l'ordre.

Mais ce qu'il y a de terrible avec la concentration, c'est que, quand elle s'enfuit, on ne s'en rend pas compte...

...des cendres d'êtres humains, termina Charles.
-Non, mais c'est pas vrai, se mit à râler Joseph entre deux quintes de toux, vous voulez dire que j'ai avalé des restes d'êtres humains ?
- pas seulement, précisa Ambroise.
- Mais, c'est absolument... C'est... c'est...
- Techniquement, c'est du cannibalisme, même si dans notre cas, notre ami ici présent est également mort, ce qui est une situation qui n'a jamais été prévue.

Dans l'obscurité totale, les plongeurs se fiaient qu'à leur instruments pour se repérer. Ils avaient même éteint les éclairages à l'intérieur de leur casque pour ne pas trahir leur position s'il y avait un éventuel guetteur. Il détestaient plonger dans ces conditions, c'était comme s'enfoncer dans de l'encre épaisse en se disant qu'y vivaient des prédateurs qui, eux, ne souffrait pas de cécité.

Le flux lui apparaissait tel qu'il était vraiment, le vecteur de l'Effet Polaris, le sang de l'océan et peut-être même celui de toute la création. L'esprit de Déméter se joignit à ceux des mammifères. Ils s'unirent dans un embrasement merveilleux et il ne faisait maintenant plus qu'un avec l'univers marin. Il était les algues, les eaux et chaque être vivant. Il respirait au rythme de l'océan et croyait entendre les battements de cœur du monde. Il dut fournir un immense effort de volonté pur ne pas se laisser happer par cette immensité et se concentrer sur la tâche qu'il avait à accomplir. Le grand danger de se fondre au Flux Polaris était d'y égarer sa conscience, de ne plus chercher à revenir, c'était une telle plénitude.

- Mais qui êtes-vous ? reprit-il.
- Nous sommes le vent qui court sur les blés, la brise qui apaise la morsure du soleil, la caresse qui berce le dormeur au pied des arbres. Mais gare à ne pas éveiller notre courroux, car nous savons mordre et fouetter. Veux-tu que je t'apprenne à voler ?

- Mais qu'est-ce que c'est ? Ses yeux sont en verre, mais il voit ; sa peau est chaude alors qu'il est en bois et ses cheveux poussent, bien qu'ils soient de filasse sur sa frimousse. De chair, il n'est pas et pourtant il a un cœur qui bat.

Vous êtes en train de nous expliquer que vous vous êtes jetés tête baissée entre les flottes des deux plus puissantes nations du monde en train de joyeusement se taper sur la gueule pour leur faucher un truc alors que vous ignorez complètement ce que c'est et ce que vous allez pouvoir en foutre ? Mais c'est ahurissant de connerie ! s'exclama Olympe.

Les hommes tuent leurs dieux puis ils brulent leurs héros et, soudain, ils se rendent compte qu'ils sont seuls.

- Nous autres les fées ne voyons pas la réalité. Nous voilons nos yeux quand tout est odieux. Nous ne voyons pas le sang sur les épines de la rose, mais uniquement la fleur éclose. Si les fées ne pouvaient se protéger, comment la pureté pourrait-elle exister ?

(...) Si la mort n'existe que par rapport à la vie et qu'il n'y a plus de vie, à quoi ça sert d'être mort ? J'irais même plus loin, à quoi ça rime ?

Tire-d'aile traîna les pieds vers la porte en bougonnant.
- Faut pas te décourager, p'tit gars, ajouta Nacre. Encore une bonne centaine de chutes et ça viendra tout seul.
Quand il atteignit l'étage, le vautour l'enveloppa de son aile.
- Tout est dans "l'absence de concentration, tout en restant concentré", expliqua-t-il. Si tu y penses trop, tu tombes. Si tu y penses juste un peu, tu ne tombes pas... facile, non ?

- Araignée du destin apporte le chagrin au malandrin qui la trompe à dessein, chantonna la première fée qui, d'un bond, atterrit près de Cristal.
Elle s'approcha de la petite araignée et la toucha du bout du doigt. Cristal fut aussitôt trempée de rosée.
- Araignée de cristal n'a d'égale que l'opale du Mal, ajouta-t-elle avant de s'envoler.

- Vous vous apprêtez à investir la surface et je...
- Investir ! s'exclama Joseph, Mais comment voulez-vous que j'encercle la surface ?
- Mais, je...
- Ne lui en veuillez pas trop, intervint Alekseï-Andreï. Monsieur J. était journaliste... et vous savez comment ils sont. Ils se trompent de noms, de mots, de sujets...
- Le pauvre vieux, compatit Joseph. Écoutez, et si vous essayiez d'utiliser uniquement des mots simples, que vous comprenez ?
- Ben moi, ça me parle ! rétorqua Monsieur J.
- Qui vous parle ?
- Je veux dire que ça m’intéresse.
- Vous voyez, comme c'est plus simple, au moins tout le monde comprend.

Vous vous laissez aveugler par le côté sombre des hommes, par ce qui vous fait réagir, mais vous en oubliez du même coup ce qui fait sa grandeur et sa noblesse.

Une élection ? s'étonna le grand escogriffe osseux, non mais vous rigolez ! Nous sommes morts, mais pas décérébrés...si...en fait, techniquement, c'est le cas, mais ça ne signifie pas, pour autant, que nous soyons complétement idiots !

... Si l'individu n'a aucune importance à mes yeux, l'ensemble m'est précieux. Je suis le compagnon de la Vie et si celle-ci disparaît, je perds ma raison d'être.

Un portable ! Un téléphone portable à moitié fondu. De son temps, ces engins faisaient des ravages, une drogue électronique qui, pour beaucoup de gens, était devenue une véritable prolongation de leur conscience. Joseph n’avait jamais vraiment compris ces choses-là, non seulement parce que ces appareils lui paraissaient d’une complexité effrayante, mais aussi parce qu’il détestait l’idée que l’on puisse toujours le contacter ou qu’il soit.

La négation d'une réalité, expliqua le squelette sur un ton très professoral, n'est qu'une manière de refouler une chose que l'on refuse d'admettre.

Mais l'humain était ainsi, dès qu'il voyait quelque chose à la télévision ou sur internet, que ce soit ou non un ramassis de mensonges éhontés, il fallait qu'il gobe tout. Où était donc passé le bon sens?