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Citations de Michèle Duclos (156)


Le «celtisme » désigne pour White une mentalité, une culture, une attitude
anthropologique combattues, étouffées mais non détruites ni par les conquérants romains ni
par la métaphysique dualiste d’une civilisation « continentale » qui a dominé depuis deux
millénaires notre mode de vie occidental et notre vision du monde ; à cette vision
« continentale » massive, figée, il oppose un mode de vie et pensée « archipélagique »,
« océanique », non coupée du monde naturel.
Non seulement l'art mais aussi la pensée médiévale du Continent fut fécondée par la
vision ardente et claire du réel immédiat, entre autres par les moines celtes ermites ou
errants souvent des lettrés :
Et si la poésie européenne a su garder, malgré tout, de la vigueur et de la
vivacité, c'est grâce à la composante celte de la population et au fond celtique de la
culture.(AT, p.133).
P 69
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Il a quitté les rives d'une civilisation où le verbe devenait trop bavard et inconséquent, signe d'une culture
en décadence, pour retrouver la fraîcheur, la verdeur, d'une pensée ni chrétienne ni païenne,
d'un paysage mental où les mots montaient lentement du paysage amoureusement
contemplé. Pour lui lac et montagne n'ont pas été le site de hauts-faits militaires mais des
lieux auxquels il a pleinement participé par son corps et son esprit puisqu'il s'est aussi agi ,
après avoir goûté au bien-être d'être au milieu d’eux, de les nommer, le plus adéquatement,
le plus physiquement possible. Même la mort ne saurait le couper d'eux puisque son corps
sera mêlé aux vagues. Son poème, gravé sur les rochers, dessin et verbe à la fois, lui
survivra.
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White ignore délibérément notre Grand Siècle littéraire, tant baroque que classique, mais s’arrête sur Descartes, dont il récuse la métaphysique, tout en respectant sa méthodologie.
Lui-même épris de lucidité, il se dit fasciné par la pensée claire, l’évidence incisive du
philosophe du XVIIe siècle - mais à Descartes il préfère « des cartes du territoire » :
« Depuis que je les avais rencontrées, à l’âge de dix-huit ans à Glasgow, les méditations de
prima philosophia de Descartes m’avaient fasciné. Mais après m’être posé de plus en plus
de questions sur la nature de l’ « essence » et de l’ « essentiel », j’en étais arrivé à l’idée
d’une prima poesia, peut-être plus élémentale qu’essentielle. » (LAH)
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Tous les éléments constitutifs de la topographie whitienne (océan, rivage, île,
oiseaux, nord, blancheur), sont liés et appellent la même finalité ontologique, le « vide » que
traduit la prégnance de la lumière. Cette topographie réconcilie nature et culture, jouissance
sensorielle et intensité de la contemplation spirituelle.
Voyons de près les divers espaces de cette topographie, de cette topologie.
L'Océan, tel que le poète l'a vécu tout enfant, est une présence perpétuelle. Mais , à
part la partie de pêche dans « Fishing off Jura » (ETC), on voit peu le poète sur l'eau. Il
pratique plus volontiers la marche le long du rivage et sur l’estran. Depuis le rivage de sable
blond lavé par le vent et la pluie, le poète contemple les îles, abondamment peuplées
d’oiseaux de mer, plus chichement d’habitants humains frustes et taciturnes, et vues comme
des concentrations intenses d'énergie. A travers l'histoire, des moines celtes y ont fondé des
monastères, conservatoires de la culture écrite :
Rodel
Where the young men
Built the beautiful ship
That the sea coveted
And the « great cleric» lived
Who founded the grammar school in Paris
Rodel this evening
Is an empty harbour
A rusty iron wing
And a heap of red seaweed (M, p.54)
Rodel
Où les jeunes hommes
Bâtirent le beau navire
Que la mer convoita
Et où vivait le « grand clerc »
Qui fonda le Collège à Paris
Rodel ce soir
Est une jetée vide
Un anneau de fer rouillé
Un amas d’algues roses (M, p.55)

P 24
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A la différence de Beckett, il ne s’auto-traduit pas, et surtout ne passe pas d’une
langue à l’autre pour les mêmes motivations. Son utilisation du français le situe aux
antipodes de l’Irlandais:
Beckett a pu se convertir totalement au français dans la mesure où il produit
une littérature de l’absurde, extrêmement logique, pour laquelle cette langue
convient parfaitement. Par un certain puritanisme, il voulait se débarrasser de tout
ce qui était de l’ordre de la sensation ; je me trouve dans la situation inverse et suis
d’autant plus dépendant de la traduction. (PC, p.129 ; cf aussi PC, p.78)
La traduction, par la relation théorique et pratique qu’elle implique entre les deux langues,
ressortit pour lui à une dynamique d’ouverture linguistique et culturelle propre à dépasser
les blocages nationaux.
En tant qu’écrivain de langue française, White oeuvre à réduire l’écart, plus
considérable qu’en anglais, entre le parlé et l’écrit ; sa prose et sa poésie fourmillent de
tournures et d’expressions familières idiomatiques qui leur confèrent vie, énergie, saveur.
P89
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Michèle Duclos
5
Q : Les éclats de Terre de diamant correspondent ils à ce que Joyce nommait des épiphanies ?

KW Oui, je me méfie des parallèles trop vite faits, mais là il y aurait un parallèle.

Pour moi Joyce a fait le dernier livre de l’humanisme occidental. C’est un thomiste pas catholique. Il fait une somme de la culture occidentale comme Thomas (d’Aquin) avait fait une somme de la théologie. Finnigan’s Wake est un immense pot-pourri. Je ne vois pas un au-delà de ça, mais plutôt une immense blague celte irlandaise, hilare. Ce serait désespéré pour quelqu’un qui a une croyance mais Joyce n’a pas de croyance, c’est un nihiliste. Dire que Joyce est catholique n’a pas de sens. Les Jésuites lui ont donné le sens de l’universel. Il a l’hilarité d’un nihiliste qui joue avec la totalité. Il ya quelque chose de diabolique là-dedans. Il n’y a pas d’espoir parce qu’il n’y a pas de désespoir. Joyce est un cérébral pur, sans trace d’affectivité, un esprit complètement détaché, complètement froid, avec de la sentimentalité. Il n’y avait que la langue pour lui, sa langue, du joycien. Tout est langue pour lui, le monde extérieur n‘existait pas beaucoup. Il ya avait sa famille, avec une sentimentalité familiale, et ensuite les mots et la musique. Il a donné lieu à toute une scolastique au sens médiéval du terme, il voulait ça. Il y avait en lui une ambition immense, un égoïsme terrible. Il ne fait pas découvrir le monde d’une autre manière, il fait admirer Joyce. Moi, je veux faire découvrir le monde d’une autre manière. Joyce, c’et le dernier monument ; moi je ne pense pas en terme de monument, je veux faire découvrir un paysage. Dans Finnegan’s Wake, le cosmos intervient purement par les mots. Joyce est uniquement lexical. C’est le dictionnaire, pas le monde.

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Michèle Duclos
4
Je ne vois pas mes livres comme une progression littéraire mais plutôt comme une constellation. Petit à petit je suis en train d’occuper un territoire un îlot après l’autre.

Ilot The Cold Wind of Dawn et En toute candeur ; îlot The Most Difficult Area; c’est alors le départ de l’Ecosse, peut-être faut-il placer là A Walk along the Shore [i] ensuite Terre de diamant et Mahamudra ; dans Mahamudra les poèmes sont plus longs, parfois de trois ou quatre pages ; il y a un désir de durée.

Les poèmes de Glasgow [repris par exemple dans en toute candeur] ne présentent pas de moquerie, ni de dérision du soleil mais une imagination familière, grotesque et presque affectueuse. Le soleil est rouge parce que je le voyais souvent soit en termes crépusculaires soit à travers la brume. Il n’y a jamais eu Laforgue chez moi ni de spleen, mais une force. Apollinaire « soleil cou coupé » c’est trop recherché, tandis que « beetroot in the mud » avec un ciel un peu brumeux et un rouge sombre, c’est le genre d’image vigoureuse qu’on pourrait trouver dans un vieux poème irlandais. Ce n’est pas décadent. Il y a peut-être une certaine nostalgie d’être en ville et l’aspiration d’un ailleurs mais cela a peu à voir avec Laforgue ou Apollinaire – ce qui ne veut pas dire que je ne les aime pas.

Il y a quatre couleurs chez moi : rouge, bleu blanc, noir. Le bleu pour moi, ce n’est pas l’azur mais un bleu gris. Ce n’est pas l’azur, ce n’est pas l’espoir mais une concentration d‘énergie, un dynamisme interne. Le rouge, c’est une pulsion, une confusion, le rouge du sang et de la terre rouge bouddhique. Le blanc, c’est là vers où tend le noir.

Le blanc c’est la clarté, coolness, clarity and coherence, c’est le dégagement, la respiration. C’est mon monde, un monde d’effort jouissif, sans souffrance. Pas un brin de souffrance dans ce que j’écris.il n’y pas d’image de confort, d’accord. Au jardin je préfère le rivage, la lande, la garrigue ; il y a des torrents mais pas de fontaines . Un paysage le mois humain possible. Un paysage dans lequel je peux entrer en contact avec des énergies vives.

*****
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Michèle Duclos
3
La vraie question, c’est : Comment être là ? Comment habiter la terre ? Voilà la question primordiale pour nous êtres humains. Comment habiter là où nous sommes, comment habiter la terre ? Voilà la question que pose Heidegger. Pour lui la question est simplement ça : comment demeurer, quelle sorte de séjour avoir. De là, pour ouvrir une petite parenthèse concrète, je crois qu’on peut voir la qualité d’un esprit ou sa configuration à partir de l’ambiance de son milieu – on crée son milieu, j’essaie de créer mon milieu, pour parler en terme de Je. Pour anticiper d’autres questions, c’est une évidence pour moi qu’on écrit pour soi. Et ce n’est qu’en écrivant pour soi qu’on arrive peut-être à écrire pour les autres. Celui qui commence par écrire pour les autres ne fera jamais qu’une littérature tout à fait secondaire, de consommation publique. Non, il faut écrire pour soi essayer de trouver un espace vivable, un espace vis-à-vis d’une société généralement peu satisfaisante. Donc on prend ses distances, dans la solitude, dans le silence on essaie de se créer un autre espace. Si on arrive à créer cet autre espace, énergétique, clair, il va rayonner. Alors seulement on donne quelque chose aux autres, mais il faut d’abord créer son espace. Tout le reste est littérature secondaire, production artistique, de la culture au sens secondaire et tertiaire du mot.

Mes livres se situent en dehors de tout système symbolique établi. L’humanité, pour se sécuriser, a inventé des systèmes symboliques. Je ne m’attache pas plus aux systèmes symboliques orientaux tels que le yin yang, même s’ils ont pu m’attirer comme étant plus complexes que les nôtres. Je vise un au-delà de l’Orient et de l’Occident, d‘une séparation tout à fait artificielle historiquement.

Est-ce que je suis en train de créer de nouveaux symboles ? Je n’en sais rien, ce serait à discuter. Ce que j’appelle de temps en temps le monde blanc est un monde sans système symbolique, un monde tout à fait transparent – où un arbre est un arbre, et pas le symbole de la croix ou des planches possibles dans un système technologique.

Quand j’étais enfant, l’arbre qui me parlait le plus était le bouleau. C’était purement sensuel au début, sa gracilité, son tronc gracieux, son écorce blanc cassé, et aussi ces espèces de figures sur l’écorce, comme une écriture. Je dis bien une espèce d’écriture car je ne voudrais pas qu’on y voie un symbole de l’écriture. J’en ai parlé en termes sensuels et affectueux –comme me permettant une approche sensitive du monde, mais pas comme symbole de la Femme. Pas un archétype, mais représentation de quelque chose d’autre. Cet arbre était un concentré du monde à partir de détails concrets, pas une idée du monde. Je ne crois à aucune interprétation intellectuelle ni religieuse du monde, mais à une espèce de concentration d’énergie et d’expérience du monde.

L’écriture approfondit la sensation, permet de la vivre de manière plus méditative et donne une permanence. Quand on est désorienté, on peut toujours revenir et retrouver cette sensation. Que de fois il m’est arrivé, dans des moments plus creux, plus perdus, de retrouver quelque chose d’écrit et de me dire : oui, j’ai pu vivre ça, je peux le revivre.

Pour moi la mouette n’est pas le symbole de la poésie, c’est une mouette, un corps qui traverse le ciel, qui vogue sur les flots et qui fait des marques dans le sable. Mais je ne veux absolument pas faire de ce corps un symbole de la poésie.

Q : Mais s’ il se désigne naturellement comme un symbole pour des lecteurs…

KW : Alors leur lecture est entachée d’une logique qui n’est pas la mienne. Je ne suis pas contre mais je voudrais que leur lecture s’affine. Je crois qu’il y une lecture plus claire à faire. C’est une des raisons pour lesquelles j’enseigne : pour briser les logiques. Souvent les gens qui me disent qu’ils aiment la poésie me font frémir car je sais que nous ne parlons pas de la même chose. Enseigner, c’est essayer d’ouvrir un espace qui peut recevoir dans sa totalité cette expérience qui autrement est délayée, diluée, déformée par des approches, des logiques, des lectures symbolisantes qui manquent le vrai réel.

Q : On peut sentir le concret sensoriel et avoir du plaisir à pressentir quelque chose derrière, qui dépasse l’individu …

KW : Effectivement mon intérêt quand j’étais gosse, pour l’oiseau, pour l’arbre, pour le quartz…mais si je me suis attaché au quartz, au bouleau, et à la mouette, je n’en fais pas un système symbolique comme Blake par exemple, qui à partir de ces choses là aurait créé une structure. Je trouve cela sans intérêt. Je suis très brutal. Je préfère Thomas Hardy parce que chez lui le paysage est ressenti comme paysage. Le christianisme, la judéo-chrétienté en général, c’est ce qu’il y a de plus anti-nature. Moi, je cherche un naturalisme. Je ne suis pas païen non plus, parce que le paganisme a aussi ses dieux et ses structures. Mais si on entend par païen quelqu’un qui essaie de sentir le paysage, ça oui, mais il faut réduire le mot à ses racines étymologiques.

Q : Pas si facile pour qui enfant a été enfermé dans une ville, étouffé…

KW : Effectivement. J’ai eu une enfance assez naturelle j’ai certainement redécouvert naturellement le chamanisme Vingt ans après avoir fait certaines pratiques dans l’arrière-pays de mon village écossais, je me suis rendu compte que j’avais redécouvert certaines de ses pratiques. On peut me rattacher au grand courant du chamanisme. Le chamanisme est une structure sociale et intellectuelle qui m’intéresse. La vraie fonction du poète serait d’être le chaman de la tribu. Ce qui m’intéresse aussi ce sont les succédanées du chamanisme qui est le point de départ, l’aspiration et le terrain sur lequel ont poussé le yoga, le shinto et le zen. Il y a filiation. Nous y sommes déjà dans un terrain plus abstrait. Ce qui m’intéresse dans le chamanisme c’est cette concentration d’énergie et le voyage mental. De même pour le yoga. J’essaie de dégager les principes du yoga puis je fais une sorte de yoga ambulatoire, un yoga qui n’est pas du yoga. C’est ce qu’on trouve dans les textes les plus raffinés du yoga. Je ne suis pas contre ces disciplines ; loin de là. Mais je n’ai pas un esprit de disciple, et je n’ai pas de maitre. Ce qui me gêne c’est la systématisation, la sur-sécurisation que les gens cherchent en créant des systèmes.-Si je traduis le yoga dans ses termes les plus simples, le yoga dit simplement que l’être humain n’est pas séparé du monde. En se concentrant sur la respiration on s’en rend compte. Se concentrer sur l’acte simple de la respiration, c’est se rendre compte que l’on est en train de respirer le monde à chaque seconde. Ça me semble aller de soi. Ensuite je suis arrivé à des stades plus sophistiqués.

Je suis un chaman sans tribu, c’est un phénomène de longue haleine. Qui sait. Nous sommes à un tel tournant de la culture, que quelque chose de général pourrait arriver. Mais je n’y pense pas beaucoup, je suis mon élan, et je m‘occupe de suivre ma propre vie de la manière la plus pleine possible. Plutôt que de parler de social, il vaut mieux avoir une activité qui éventuellement pourrait se socialiser. C’est beaucoup plus important. J’ai une activité sociale, d’enseignant, et d’une manière souterraine ; cela fait des années que ça dure, il y a des gens chez qui cela a laissé quelques traces. Il ya un courant. Je m’active aussi autour de ce que je fais. J’essaie de créer un espace, disons poétique, un espace que j’essaie d’ouvrir avec mon travail. Je préfère parler de travail plutôt que d’œuvre . Mais je commence par moi bien sûr. Il fallait faire ça .Tu commences par créer ta propre île, ensuite tu crées un archipel et peut-être avec le temps l’archipel deviendra-t-il un univers, mais il faut laisser venir.

Le problème du mal… Bof ! le Mal ?je vois des gens mauvais. La souffrance ? Souvent ça dépend de la sottise. A peu près toute la tragédie est bête, c’est une connerie. Le Roi Lear par exemple. Au lieu de nous apitoyer sur la souffrance il vaut mieux essayer de rendre les choses un peu plus claires, et il y aura un peu moins des souffrance à ce moment-là. La maladie, on peut l’éviter en partie avec un peu d’intelligence, d’attention à ce qu’on mange, ce qu’on respire. Ce qu’on ne peut pas éviter, il vaut mieux un peu de stoïcisme ; de fatalisme.

Le Bien et le Mal, ce sont des projections, des interprétations du monde. Il vaut mieux s’occuper de mots et de santé, de chemin vers la santé.

Optimisme ? Je préfère parler de pessimisme actif.

Ecrire des poèmes satiriques, comme Yeats ? Non. On montre plus son jugement par la distance. J’ai une science, une distance vis-à-vis de beaucoup de choses Je préfère insister sur ce qui me parait valable.
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Michèle Duclos
2
Q : Intuition plutôt que raison pure ?

KW : Le mot intuition me gêne, parce qu’il a quelque chose de flou, alors que j’aime bien une pensée vigoureuse, claire, et quand je n’arrive pas à penser clairement et vigoureusement je préfère garder le silence jusqu’à ce que ça se clarifie. J’aime beaucoup un espace ouvert, ouvert et organisé à la fois mais organisé de manière inédite. Je crois que nous sommes arrivés aujourd’hui à un stade de la civilisation occidentale où cette autre manière de pensée, que j’appelle pensée poétique, peut vraiment venir au devant de la scène, après avoir été écartée par la métaphysique, les poètes pour Platon n’étant pas sérieux.

Q : Pourtant il pense par mythes, avec de la chair autour de la pensée…

KW : Oui, mais la poésie est quand même pour lui une espèce de délire, de la fantasmagorie, pas la lumière qui vient du dehors. C’était la philosophie qui comptait pour lui. Aujourd’hui chez nous le discours premier, le plus sérieux, c’est la science ; ensuite, un peu après, la philo ; ensuite la poésie, très loin en arrière. Je crois qu’il serait temps de renverser la vapeur, pour ainsi dire. Peut-être qu’ aujourd’hui la pensée primordiale c’est la poésie, ensuite ça se traduit logiquement en termes de philosophie ; et à mon avis, loin derrière, il y a la science –dans l’ordre de la vigueur et de la perception du monde, de l’expérience du monde.

Q : La poésie pourrait être la science plus quelque chose ?

KW : Pas si simple que ça, pas la science avec une espèce de petite aura poétique, et ça c’est Dieu. Je m’intéresse beaucoup à la science, j’aime aussi savoir jusqu’où peut aller la pensée analytique et puis j’aime bien avoir des détails concrets, la biologie etc .comme assise d’une pensée plus complexe, comme point de départ. Mais ce n’est pas la même chose que dire : science plus. De même ce dont je suis en train de parler n’est pas philosophie plus – c’est une pensée poétique, entre pensée et poésie. De même entre science et poésie je suis pour une sorte de cosmo-poésie. Je m’intéresse beaucoup à la cosmologie par exemple.

Q : Cela n’implique-t-il pas une autre approche du monde, de saisir le monde dans sa totalité, alors que la science ne le fait que d’une manière abstraite ?

KW : Il s’agit effectivement d’une appréhension de l’expérience du monde. L’appréhension première de la science et celle de la religion me semblent très proches : c’est l’angoisse. La science, le besoin de savoir comment ça fonctionne, c’est l’angoisse ; la religion vient de l’angoisse aussi parce que la question primordiale c’est : d’où venons-nous, Qui m’a créé ? Pour moi il ne s’agit pas de cela. Je n’ai pas d’angoisse devant le monde, pas de préoccupations ultra- mondaines, ni devant la mort. Ce sont des questions qui ne m’intéressent pas. Je serai vivant jusqu’à ce que je sois mort. J’aime beaucoup ce que disait Spinoza — un penseur occidental que j’aime beaucoup : un homme intelligent ne pense rien moins qu’à la mort. Cela fait sérieux de penser à la mort, mais ce n’est pas un problème. J’aime bien ce que dit Nietzsche dans son autobiographie intellectuelle : pourquoi est-ce que je suis si intelligent ? Parce que je ne perds pas mon temps à poser des questions qui n’en sont pas. Toute la métaphysique, toute la religion, toute la science sont en train de se poser des questions qui n’en sont pas.
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Il faut commencer par
« se défaire » : « J’ai fait beaucoup de rêves ces derniers temps. Rêve après rêve. Comme si
quelque chose d’enfoui au fond de mon cerveau essayait de faire surface. » (RB, p.257). Il
suit jusqu’au bout « le chemin des oiseaux » (RB, p.202). « Dans l’espace acquis au terme
du voyage personnel, les identités, comme les temps s’entremêlent ». (RB, p.210) « Ici,
dans ma chambre, sur la côte Nord de l’être » (RB, p.81) il ne s’agit plus que de « rester
tranquille, attentif, s’ouvrir à l’univers ». (RB, p.179)
« Retour au commencement » (RB, p.195), à l'enfance d'un monde encore non-humain :
J'ai passé une nuit, une longue nuit, à marcher dans la grande paix arctique.
Dans ce sanctuaire d'oiseaux. A essayer de capter les ondes les plus
anciennes. (RB, p. 201)
Il épingle une carte sur le mur de sa chambre d’hôtel, se promène sur le plateau, écrit
des textes. Il perçoit le paysage avec un œil et un cerveau lavés de toute rhétorique.
L'esthétique s'accorde au paysage :
Les bois que nous avons traversés étaient gorgés de couleurs : rouge, jaune,
orange, rouge orangé, rouge-jaune sombre. Un pur délice pour les yeux, là-bas, dans
le soleil et le vent. Des érables, oui, mais aussi des bouleaux, des mélèzes, des
sapins. Comment se fait-il que les bouleaux paraissent tellement plus blancs ici ?
Comme si même le nom scientifique, Bettulla alba, devait se transcender pour
devenir l'extatique Betulla albissima albissima. Sans doute l'influence du Labrador,
déversant sa blancheur sur le monde. (RB, p.31).
P135
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« Retour au commencement » (RB, p.195), à l'enfance d'un monde encore non-humain :
J'ai passé une nuit, une longue nuit, à marcher dans la grande paix arctique.
Dans ce sanctuaire d'oiseaux. A essayer de capter les ondes les plus
anciennes. (RB, p. 201)
P135
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Si l’étudiant de Glasgow allait s’enflammer à la lecture de Nietzsche, l’écolier et le lycéen
de Fairlie baignait dans le transcendantalisme américain. Il y trouvait un esprit et un espace
qui lui convenaient et qu’il n’a jamais cessé d’approfondir :
« Toute la littérature européenne, dit Michaux dans Un barbare en Asie, est de
souffrance, jamais de sagesse. Il faut attendre les Américains Walt Whitman et
l'auteur de Walden pour entendre un autre accent ». Walden ou la Vie dans les bois
paraît en 1854 ; les Feuilles d'herbe en 1855 – c'est le moment, à peu de chose près,
des Fleurs du mal, et la comparaison des titres est significative. Whitman et Thoreau
sont justement dégagés de cette civilisation du Mal et de la mauvaise conscience qui
a marqué Baudelaire et Rimbaud. « Entendu aujourd'hui un gars parler de Dieu,
écrit Thoreau dans son Journal, lui ai suggéré que c'était sans doute Dieu qui faisait
pourrir les pommes de terre ». (FD, p.62)
P124
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Le poète français duquel White se dit le plus proche est Saint-John Perse, par
excellence le poète « pour qui l’Atlantique était l’ouvert, espace de déploiement d’énergie ».
White lui consacre un court essai, « L’oiseau migrateur », dans La Figure du dehors. Il y dit
sa réticence devant une certaine « inflation verbale » et une certaine rhétorique classique qui
empêchent le poète d’Anabase d’aller « jusqu’au bout du néant, là où le néant devient
nudité, et la nudité nouvelle idée (au-delà de la dialectique de l’exil et du royaume » (FD,
p.120). « Et pourtant (...), combien tous ces textes donnent envie de poésie, éveillent le désir
de poésie, font vibrer dans toute leur force les plus hautes énergies poétiques.» (FD, p.124)
P102
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White se trouve donc amené à rapprocher les deux nomades, Rimbaud et Segalen,
pourtant si différents dans leur refus d’une situation « assise ». « J’ai interrogé Segalen un
peu de la même manière que Segalen a interrogé Rimbaud » (FE, p.10). Creusant sans
relâche la pensée de ces deux créateurs tôt disparus, il s’efforce de penser une continuité de
leur projet ontologique à l’intérieur du champ géopoétique.
Segalen apparaît comme un alter ego le plus proche de Kenneth White. Il est le
créateur sur qui White a le plus écrit à ce jour avec Thoreau. Dans les différents essais qu’il
lui consacre, allant vers un approfondissement, White suit toujours la même progression
biographique qui a mené le Breton de la Polynésie à la Chine, et jusqu’aux portes du Tibet :
un parcours marqué par trois livres: les Immémoriaux, Simon Leys, Stèles, et où le voyage
géographique correspond à l’ évolution existentielle et spirituelle de celui qui vécut ce
double parcours, intérieur et extérieur, consciemment voire délibérément ; « le voyage au
loin sera (...) un voyage à l’intérieur de soi-même ».(AT, p.78) « Il sait allier une vie de
sensation (dans son itinéraire, c’est Tahiti) à l’activité de l’esprit (c’est la Chine ), et aux
envolées de l’imaginaire (c’est le Tibet).» (PC, p.188)
Segalen annonce aussi le projet géopoétique par « une physique de l’écriture » (AT, p.79) :
Il pousse sa vie et sa pensée jusqu’aux limites. Et il dit tout cela au moyen
d’une parole dense, d’une écriture à la fois souple et tendue dont il a continué à
développer la pratique jusqu’à la fin de sa vie. Il cherche aussi d’autres formes de
littérature. C’est un des premiers à vouloir sortir de ce qu’il appelle « la forme
puérile du roman » et à cheminer, écrivant et pensant, d’une manière tout à fait
différente. Equipée, notamment, va dans ce sens. (PC, p.188)
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Le français ne fait pas problème à ce brillant étudiant en langues vivantes : la
pratique de deux langues à la fois proches et pourtant différentes dans leur approche du réel
immédiat lui apparaît comme une source d’enrichissement pour la pensée même.
S’exprimant tantôt en anglais, tantôt en français, White dit expérimenter un entre-deux
linguistique stimulant :
Le fait de me mouvoir entre deux langues me conduit à leur prêter plus
d’attention. Etre (un peu) étranger aiguise la vue, comme cela affine l’ouie. Et c’est
dans la distance, extérieure et intérieure, que l’on arrive, petit à petit, à élaborer un
style et une vision à soi, qui font voir le monde d’une façon nouvelle. (Réponse à une
enquête du journal Le Monde, « Eloge de l’Exil » , 11 mars 1983)
P 89
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Je me sens absolument chez moi en France, peut-être surtout en ce moment
(je parle de la deuxième moitié du XXe siècle) où les modèles flanchent. J’ai trouvé
ici le terrain culturel et intellectuel qu’il me fallait, et que je ne trouvais pas en
Grande-Bretagne (PC, p 165).
P 89
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Le territoire celte n'ayant jamais connu de système étatique, il était plus
ouvert, plus « sauvage» que beaucoup d'autres. Or, on ne greffe que sur le
sauvageon.
Ce territoire n'a jamais connu de système ontologique, si je puis dire. Comme
nous avons pu le constater, l'esprit celte perçoit surtout des mouvements rapides et
momentanés, son monde est un monde en mouvance, sans nature morte. Il est
instantanéiste, comme la logique bouddhiste. (FD, p.233-234)
« Comme les Japonais, les Celtes étaient toujours prompts à saisir le détail
révélateur. Ils évitent le lieu commun, et ils n'insistent jamais. Un indice leur suffit, et
la chose dite à moitié leur est la plus précieuse ». (Kuno Meyer, cité FD, p.213).
P 68
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Ce que j’aime, c’est un style ferme, vigoureux, ouvert. Peut-être trouve-t-on
dans le mien une rudesse anglo-saxonne alliée à une extravagance celte (jeux de langage, néologismes, combinaisons variables de consonnes et de voyelles etc.). (LP,
p.134)

P 60 61
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c’est l’éclair jailli
des pierres entrechoquées
c’est
le croissant de lumière bleue
de la hache qui fend l’air
c’est la vague
qui se gonfle et se courbe
et s’écrase en écume (GR, p.109)

Pour qualifier cette relation dynamique où la pensée se garde bien de dicter sa loi et ses lois
au monde extérieur, mais se met à son écoute, et à celle de ses rythmes profonds, le poète emploie,
en français comme en anglais, un terme, « pattern », qui n'a pas son correspondant en français
précisément parce qu'il suggère une relation vivante, propre à la psyché celte, que fige notre vocable
«structure » : « selon un spécialiste britannique du cerveau/ que j’ai lu étudiant/ cette notion ne peut
se concevoir/ à Paris ou à Rome// ne pouvait surgir/ que d’un contexte océanique (…) rythmes
incalculables/ mais signifiants (…) (RS, p.277-279)
J’ai passé, je passe encore, beaucoup de temps dans le paysage, sur le rivage,
à écouter les rythmes, à observer les dessins, les patterns : recueil et orchestration d’
éléments. (LP, p.134)
P 57
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A commencer par le « poète
national » de l'Ecosse, Robert Burns :
C'est au moment où Edimbourg allait vers sa Gloire rationaliste, critique et
scientifique, qu'arriva dans la ville, par la porte de l'Ouest, un génie sorti de la glèbe
et qui allait devenir le « poète national »: Robert Burns. Si Burns est devenu une
référence symbolique en Ecosse, même pour des gens qui connaissent à peine son
œuvre, c'est qu'il incarne des énergies physiques et mentales que l'embourgeoisement
et l’« anglification » progressifs de la culture écossaise allaient petit à petit étouffer.
Burns [...] est loin d'être tout d'une pièce. L'Ecosse n'a pas le monopole de ce que
Baudelaire appelait Homo Duplex (l'homme double), mais nous avons déjà noté la
présence fréquente de ce thème dans la littérature du pays. Burns est non seulement
prisonnier de tendances intérieures contraires, mais il se tient en quelque sorte à la
ligne de partage des eaux de deux cultures : d'un côté une culture indigène forte,
mais de plus en plus réduite ; de l'autre une culture raffinée, mais tendant à
l'artificiel et à la fausse élégance, qui lui venait de ses lectures d'auteurs anglais néoclassiques (...) Il écrit aussi trois langues: un écossais du terroir, un anglais biblique,
et un anglais du Sud et des salons. Toute une problématique culturelle écossaise se
concentre dans la personne de ce « paysan inspiré » (Ec, p.34).
Exubérance, donc, esprit satirique féroce, don de la caricature, goût de la
grotesquerie. Et pourtant quelle tendresse aussi chez Burns ! Une tendresse qui frise
quelquefois la sentimentalité la plus banale, mais qui sait aussi toucher la note la
plus juste, la plus rare (...)
« Quel esprit antithétique ! », s'exclame Lord Byron (lui-même « à moitié
Ecossais par la naissance, entièrement Ecossais par l'éducation », comme il disait),
tendresse, rudesse, délicatesse, brutalité, sentiment, sensualité, pureté et paillardise,
vision et vulgarité – tout cela à l'état de mélange dans une seule motte de glaise
inspirée!
Antithétique, c'est-à-dire Ecossais. Je crois avoir assez insisté là-dessus tout
au long de ce livre.(EKW, p.165-166).
Mais si White lui-même dresse un portrait sympathique du « barde national », d’autres
figures l’intéressent davantage, et il évolue lui-même dans un plus large espace :
Le Celte, tel que je le vois, est un être des lointains. Il ne s'enferme pas dans
un état de choses, il suit son élan. Pour trouver sa véritable identité, il faut aller à
l'autre bout de soi, à l'autre bout du monde, se risquer au-dehors. (PC, p.77).
Il revient à plusieurs reprises sur cette originalité et cette puissance de la vision celte :
« Studieux philologues », « hardis philosophes », « maîtres en grammaire et
en littérature pour tout l'Occident », dit Renan (La Poésie des races celtiques) – qui
allaient sillonner toute l'Europe pendant tout le Moyen Age. On les trouvait dans les
universités, dans les monastères et sur les routes. Si l'on a pu parler, malgré tout
l'obscurantisme, de la « grande clarté » du Moyen Age, il faut reconnaître que cette
clarté fut en grande partie due à des Scot Erigène, à des Richard de Saint Victor et
autres intelligences de la même envergure, au même rayonnement, sorties de la
tradition celte ». (3ème mill, 3, p.29)
P 49
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