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Biographie :

Michèle Duclos a consacré son enseignement et sa recherche à l’université Michel Montaigne de Bordeaux à la poésie britannique et irlandaise contemporaine. Sa recherche a porté essentiellement sur le poète Kenneth White à qui elle a consacré sa thèse et de nombreux articles. En 2006 les éditions universitaires ELLUG ont publié son essai Kenneth White, nomade intellectuel, poète du monde. Elle a dirigé pour les Presses universitaires de Bordeaux le volume Le Monde ouvert de Kenneth White et une Anthologie de la Poésie Britannique des années trente. En 2016 aux éditions de l’Harmattan son essai Un regard anglais sur le symbolisme français portait sur le poète Arthur Symons, incluant une traduction de son Mouvement Symboliste en Littérature (1899). Elle a participé collectivement à l’Anthologie de Poésie Irlandaise du 20ème siècle (ed. Verdier, 1996), à celle des Poètes d’Irlande du Nord (PU Caen, 1995) et à John Montague, Amours, marées (ed. William Blake& CO, 1988). Les éditions Caractères ont publié ses traductions de Charles Tomlinson et d’Eamon Grennan. Elle a traduit les poèmes de Shizue Ogawa (avec Jacqueline Starer) pour les éditions A Bouche Perdue puis Caractères ; pour les éditions Fédérop les poètes Ruth Fainlight et Thomas Kinsella et pour Le Poémier de Plein vent de Bergerac, la canadienne Patricia Keeney; pour Alidades, John Montague, Harry Clifton et Ruth Fainlight; pour les éditions Black Herald, de David Gascoyne : Night Thoughts/ Pensées Nocturnes et de Kathleen Raine, David Gascoyne et la fonction prophétique ; et pour les éditions Bilatéral (Athènes) quatre pièces de la dramaturge anglophone Lia Karavia Elle collabore régulièrement, par des articles et des traductions, aux revues Le Journal des Poètes et Poésie/Première, à la revue en ligne temporel.fr, et irrégulièrement à Po&sie, à Europe et à la Revue Européenne de Recherche sur la Poésie. Elle a reçu plusieurs prix pour ses travaux
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Citations et extraits (156) Voir plus Ajouter une citation
Le «celtisme » désigne pour White une mentalité, une culture, une attitude
anthropologique combattues, étouffées mais non détruites ni par les conquérants romains ni
par la métaphysique dualiste d’une civilisation « continentale » qui a dominé depuis deux
millénaires notre mode de vie occidental et notre vision du monde ; à cette vision
« continentale » massive, figée, il oppose un mode de vie et pensée « archipélagique »,
« océanique », non coupée du monde naturel.
Non seulement l'art mais aussi la pensée médiévale du Continent fut fécondée par la
vision ardente et claire du réel immédiat, entre autres par les moines celtes ermites ou
errants souvent des lettrés :
Et si la poésie européenne a su garder, malgré tout, de la vigueur et de la
vivacité, c'est grâce à la composante celte de la population et au fond celtique de la
culture.(AT, p.133).
P 69
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Michèle Duclos
3
La vraie question, c’est : Comment être là ? Comment habiter la terre ? Voilà la question primordiale pour nous êtres humains. Comment habiter là où nous sommes, comment habiter la terre ? Voilà la question que pose Heidegger. Pour lui la question est simplement ça : comment demeurer, quelle sorte de séjour avoir. De là, pour ouvrir une petite parenthèse concrète, je crois qu’on peut voir la qualité d’un esprit ou sa configuration à partir de l’ambiance de son milieu – on crée son milieu, j’essaie de créer mon milieu, pour parler en terme de Je. Pour anticiper d’autres questions, c’est une évidence pour moi qu’on écrit pour soi. Et ce n’est qu’en écrivant pour soi qu’on arrive peut-être à écrire pour les autres. Celui qui commence par écrire pour les autres ne fera jamais qu’une littérature tout à fait secondaire, de consommation publique. Non, il faut écrire pour soi essayer de trouver un espace vivable, un espace vis-à-vis d’une société généralement peu satisfaisante. Donc on prend ses distances, dans la solitude, dans le silence on essaie de se créer un autre espace. Si on arrive à créer cet autre espace, énergétique, clair, il va rayonner. Alors seulement on donne quelque chose aux autres, mais il faut d’abord créer son espace. Tout le reste est littérature secondaire, production artistique, de la culture au sens secondaire et tertiaire du mot.

Mes livres se situent en dehors de tout système symbolique établi. L’humanité, pour se sécuriser, a inventé des systèmes symboliques. Je ne m’attache pas plus aux systèmes symboliques orientaux tels que le yin yang, même s’ils ont pu m’attirer comme étant plus complexes que les nôtres. Je vise un au-delà de l’Orient et de l’Occident, d‘une séparation tout à fait artificielle historiquement.

Est-ce que je suis en train de créer de nouveaux symboles ? Je n’en sais rien, ce serait à discuter. Ce que j’appelle de temps en temps le monde blanc est un monde sans système symbolique, un monde tout à fait transparent – où un arbre est un arbre, et pas le symbole de la croix ou des planches possibles dans un système technologique.

Quand j’étais enfant, l’arbre qui me parlait le plus était le bouleau. C’était purement sensuel au début, sa gracilité, son tronc gracieux, son écorce blanc cassé, et aussi ces espèces de figures sur l’écorce, comme une écriture. Je dis bien une espèce d’écriture car je ne voudrais pas qu’on y voie un symbole de l’écriture. J’en ai parlé en termes sensuels et affectueux –comme me permettant une approche sensitive du monde, mais pas comme symbole de la Femme. Pas un archétype, mais représentation de quelque chose d’autre. Cet arbre était un concentré du monde à partir de détails concrets, pas une idée du monde. Je ne crois à aucune interprétation intellectuelle ni religieuse du monde, mais à une espèce de concentration d’énergie et d’expérience du monde.

L’écriture approfondit la sensation, permet de la vivre de manière plus méditative et donne une permanence. Quand on est désorienté, on peut toujours revenir et retrouver cette sensation. Que de fois il m’est arrivé, dans des moments plus creux, plus perdus, de retrouver quelque chose d’écrit et de me dire : oui, j’ai pu vivre ça, je peux le revivre.

Pour moi la mouette n’est pas le symbole de la poésie, c’est une mouette, un corps qui traverse le ciel, qui vogue sur les flots et qui fait des marques dans le sable. Mais je ne veux absolument pas faire de ce corps un symbole de la poésie.

Q : Mais s’ il se désigne naturellement comme un symbole pour des lecteurs…

KW : Alors leur lecture est entachée d’une logique qui n’est pas la mienne. Je ne suis pas contre mais je voudrais que leur lecture s’affine. Je crois qu’il y une lecture plus claire à faire. C’est une des raisons pour lesquelles j’enseigne : pour briser les logiques. Souvent les gens qui me disent qu’ils aiment la poésie me font frémir car je sais que nous ne parlons pas de la même chose. Enseigner, c’est essayer d’ouvrir un espace qui peut recevoir dans sa totalité cette expérience qui autrement est délayée, diluée, déformée par des approches, des logiques, des lectures symbolisantes qui manquent le vrai réel.

Q : On peut sentir le concret sensoriel et avoir du plaisir à pressentir quelque chose derrière, qui dépasse l’individu …

KW : Effectivement mon intérêt quand j’étais gosse, pour l’oiseau, pour l’arbre, pour le quartz…mais si je me suis attaché au quartz, au bouleau, et à la mouette, je n’en fais pas un système symbolique comme Blake par exemple, qui à partir de ces choses là aurait créé une structure. Je trouve cela sans intérêt. Je suis très brutal. Je préfère Thomas Hardy parce que chez lui le paysage est ressenti comme paysage. Le christianisme, la judéo-chrétienté en général, c’est ce qu’il y a de plus anti-nature. Moi, je cherche un naturalisme. Je ne suis pas païen non plus, parce que le paganisme a aussi ses dieux et ses structures. Mais si on entend par païen quelqu’un qui essaie de sentir le paysage, ça oui, mais il faut réduire le mot à ses racines étymologiques.

Q : Pas si facile pour qui enfant a été enfermé dans une ville, étouffé…

KW : Effectivement. J’ai eu une enfance assez naturelle j’ai certainement redécouvert naturellement le chamanisme Vingt ans après avoir fait certaines pratiques dans l’arrière-pays de mon village écossais, je me suis rendu compte que j’avais redécouvert certaines de ses pratiques. On peut me rattacher au grand courant du chamanisme. Le chamanisme est une structure sociale et intellectuelle qui m’intéresse. La vraie fonction du poète serait d’être le chaman de la tribu. Ce qui m’intéresse aussi ce sont les succédanées du chamanisme qui est le point de départ, l’aspiration et le terrain sur lequel ont poussé le yoga, le shinto et le zen. Il y a filiation. Nous y sommes déjà dans un terrain plus abstrait. Ce qui m’intéresse dans le chamanisme c’est cette concentration d’énergie et le voyage mental. De même pour le yoga. J’essaie de dégager les principes du yoga puis je fais une sorte de yoga ambulatoire, un yoga qui n’est pas du yoga. C’est ce qu’on trouve dans les textes les plus raffinés du yoga. Je ne suis pas contre ces disciplines ; loin de là. Mais je n’ai pas un esprit de disciple, et je n’ai pas de maitre. Ce qui me gêne c’est la systématisation, la sur-sécurisation que les gens cherchent en créant des systèmes.-Si je traduis le yoga dans ses termes les plus simples, le yoga dit simplement que l’être humain n’est pas séparé du monde. En se concentrant sur la respiration on s’en rend compte. Se concentrer sur l’acte simple de la respiration, c’est se rendre compte que l’on est en train de respirer le monde à chaque seconde. Ça me semble aller de soi. Ensuite je suis arrivé à des stades plus sophistiqués.

Je suis un chaman sans tribu, c’est un phénomène de longue haleine. Qui sait. Nous sommes à un tel tournant de la culture, que quelque chose de général pourrait arriver. Mais je n’y pense pas beaucoup, je suis mon élan, et je m‘occupe de suivre ma propre vie de la manière la plus pleine possible. Plutôt que de parler de social, il vaut mieux avoir une activité qui éventuellement pourrait se socialiser. C’est beaucoup plus important. J’ai une activité sociale, d’enseignant, et d’une manière souterraine ; cela fait des années que ça dure, il y a des gens chez qui cela a laissé quelques traces. Il ya un courant. Je m’active aussi autour de ce que je fais. J’essaie de créer un espace, disons poétique, un espace que j’essaie d’ouvrir avec mon travail. Je préfère parler de travail plutôt que d’œuvre . Mais je commence par moi bien sûr. Il fallait faire ça .Tu commences par créer ta propre île, ensuite tu crées un archipel et peut-être avec le temps l’archipel deviendra-t-il un univers, mais il faut laisser venir.

Le problème du mal… Bof ! le Mal ?je vois des gens mauvais. La souffrance ? Souvent ça dépend de la sottise. A peu près toute la tragédie est bête, c’est une connerie. Le Roi Lear par exemple. Au lieu de nous apitoyer sur la souffrance il vaut mieux essayer de rendre les choses un peu plus claires, et il y aura un peu moins des souffrance à ce moment-là. La maladie, on peut l’éviter en partie avec un peu d’intelligence, d’attention à ce qu’on mange, ce qu’on respire. Ce qu’on ne peut pas éviter, il vaut mieux un peu de stoïcisme ; de fatalisme.

Le Bien et le Mal, ce sont des projections, des interprétations du monde. Il vaut mieux s’occuper de mots et de santé, de chemin vers la santé.

Optimisme ? Je préfère parler de pessimisme actif.

Ecrire des poèmes satiriques, comme Yeats ? Non. On montre plus son jugement par la distance. J’ai une science, une distance vis-à-vis de beaucoup de choses Je préfère insister sur ce qui me parait valable.
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Tous les éléments constitutifs de la topographie whitienne (océan, rivage, île,
oiseaux, nord, blancheur), sont liés et appellent la même finalité ontologique, le « vide » que
traduit la prégnance de la lumière. Cette topographie réconcilie nature et culture, jouissance
sensorielle et intensité de la contemplation spirituelle.
Voyons de près les divers espaces de cette topographie, de cette topologie.
L'Océan, tel que le poète l'a vécu tout enfant, est une présence perpétuelle. Mais , à
part la partie de pêche dans « Fishing off Jura » (ETC), on voit peu le poète sur l'eau. Il
pratique plus volontiers la marche le long du rivage et sur l’estran. Depuis le rivage de sable
blond lavé par le vent et la pluie, le poète contemple les îles, abondamment peuplées
d’oiseaux de mer, plus chichement d’habitants humains frustes et taciturnes, et vues comme
des concentrations intenses d'énergie. A travers l'histoire, des moines celtes y ont fondé des
monastères, conservatoires de la culture écrite :
Rodel
Where the young men
Built the beautiful ship
That the sea coveted
And the « great cleric» lived
Who founded the grammar school in Paris
Rodel this evening
Is an empty harbour
A rusty iron wing
And a heap of red seaweed (M, p.54)
Rodel
Où les jeunes hommes
Bâtirent le beau navire
Que la mer convoita
Et où vivait le « grand clerc »
Qui fonda le Collège à Paris
Rodel ce soir
Est une jetée vide
Un anneau de fer rouillé
Un amas d’algues roses (M, p.55)

P 24
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Michèle Duclos
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Q : Intuition plutôt que raison pure ?

KW : Le mot intuition me gêne, parce qu’il a quelque chose de flou, alors que j’aime bien une pensée vigoureuse, claire, et quand je n’arrive pas à penser clairement et vigoureusement je préfère garder le silence jusqu’à ce que ça se clarifie. J’aime beaucoup un espace ouvert, ouvert et organisé à la fois mais organisé de manière inédite. Je crois que nous sommes arrivés aujourd’hui à un stade de la civilisation occidentale où cette autre manière de pensée, que j’appelle pensée poétique, peut vraiment venir au devant de la scène, après avoir été écartée par la métaphysique, les poètes pour Platon n’étant pas sérieux.

Q : Pourtant il pense par mythes, avec de la chair autour de la pensée…

KW : Oui, mais la poésie est quand même pour lui une espèce de délire, de la fantasmagorie, pas la lumière qui vient du dehors. C’était la philosophie qui comptait pour lui. Aujourd’hui chez nous le discours premier, le plus sérieux, c’est la science ; ensuite, un peu après, la philo ; ensuite la poésie, très loin en arrière. Je crois qu’il serait temps de renverser la vapeur, pour ainsi dire. Peut-être qu’ aujourd’hui la pensée primordiale c’est la poésie, ensuite ça se traduit logiquement en termes de philosophie ; et à mon avis, loin derrière, il y a la science –dans l’ordre de la vigueur et de la perception du monde, de l’expérience du monde.

Q : La poésie pourrait être la science plus quelque chose ?

KW : Pas si simple que ça, pas la science avec une espèce de petite aura poétique, et ça c’est Dieu. Je m’intéresse beaucoup à la science, j’aime aussi savoir jusqu’où peut aller la pensée analytique et puis j’aime bien avoir des détails concrets, la biologie etc .comme assise d’une pensée plus complexe, comme point de départ. Mais ce n’est pas la même chose que dire : science plus. De même ce dont je suis en train de parler n’est pas philosophie plus – c’est une pensée poétique, entre pensée et poésie. De même entre science et poésie je suis pour une sorte de cosmo-poésie. Je m’intéresse beaucoup à la cosmologie par exemple.

Q : Cela n’implique-t-il pas une autre approche du monde, de saisir le monde dans sa totalité, alors que la science ne le fait que d’une manière abstraite ?

KW : Il s’agit effectivement d’une appréhension de l’expérience du monde. L’appréhension première de la science et celle de la religion me semblent très proches : c’est l’angoisse. La science, le besoin de savoir comment ça fonctionne, c’est l’angoisse ; la religion vient de l’angoisse aussi parce que la question primordiale c’est : d’où venons-nous, Qui m’a créé ? Pour moi il ne s’agit pas de cela. Je n’ai pas d’angoisse devant le monde, pas de préoccupations ultra- mondaines, ni devant la mort. Ce sont des questions qui ne m’intéressent pas. Je serai vivant jusqu’à ce que je sois mort. J’aime beaucoup ce que disait Spinoza — un penseur occidental que j’aime beaucoup : un homme intelligent ne pense rien moins qu’à la mort. Cela fait sérieux de penser à la mort, mais ce n’est pas un problème. J’aime bien ce que dit Nietzsche dans son autobiographie intellectuelle : pourquoi est-ce que je suis si intelligent ? Parce que je ne perds pas mon temps à poser des questions qui n’en sont pas. Toute la métaphysique, toute la religion, toute la science sont en train de se poser des questions qui n’en sont pas.
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Michèle Duclos
Devant la chaine toute blanche des Pyrénées
Cette conversation à sauts et gambades fut enregistrée à Pau dans les premiers mois de 1983 peu avant le départ de Ken et Marie-Claude White pour Trébeurden en Bretagne, dans l’appartement qu’ils occupaient alors Résidence du col d’Aspin à Pau, tout en longueur face à la chaine des Pyrénées. L’appartement lui aussi était tout blanc, de la moquette aux sièges et à la tapisserie. On se déchaussait spontanément en entrant.

Kenneth White

En gros je peu dire que je travaille environ douze heures par jours. Je commence à peu près vers sept-heures et demie – huit heures du matin, et ça va jusque vers huit heures du soir. A huit heures je décroche. Ce travail consiste en quoi ? Si vous voyez l’organisation de ma chambre, il y a pas mal de livres, mais aussi des dossiers par terre, tout un archipel de dossiers et dans la journée il se peut que je travaille à un, à deux ou même à trois de ces dossiers, selon l’inspiration du moment, selon l’humeur – quand je dis travailler, c’est soit travailler à ces manuscrits en cours, soit des lectures tous azimuts. Plutôt que de me tenir au courant de la littérature disons contemporaine, ce qui se fait dans la production actuelle, mes lectures ont tendance à avoir lieu dans le japonais du treizième siècle, chez les Tibétains, des livres sur le chamanisme sibérien, des livres sur la géologie, l’ornithologie ou la botanique – c’est ce que j’entends par lectures tous azimuts et qui nourrit en fait mon propre travail. Quant aux manuscrits et aux lettres qu’on m’envoie, c’est ma mauvais conscience perpétuelle, en ce sens que si je répondais à toutes les lettes et lisais tous les manuscrits, je ne ferais que ça. Cela dit, j’essaie de faire le maximum. Pour ce qui est de l’université, je ne crois pas qu’il y ait un travail spécial, parce que, heureusement, il n’y aucune séparation entre le travail de fond et mon travail universitaire. Les deux sont liés et je trouve que c’est une très bonne chose. Voilà en gros pour le travail. Bien sûr je disais que je travaille à un, deux ou trois manuscrits mais à un moment donné il y a un manuscrit qui surgit et bien sûr c’est sur celui là que je vais me concentrer, disons pendant deux ou trois mois. Mais pendant.la journée il se peut qu’en lisant j’ai une idée – tiens, ça va dans ce manuscrit-là, une idée pour un essai, ou un titre – quelquefois je suis en train d’écrire et j’ai une idée de titre pour un livre, un bon titre et je sens que ça fera un livre un jour, je sors encore un dossier, une chemise, j’écris le titre et ça s’ajoute au tas. Des feuilles vont s‘insérer là-dedans, des feuilles avec des phrases, quatre, cinq pages d’écriture, des demi-pages d’écriture, quelquefois trois, et ça s’accumule ainsi. Et ça me semble l’idéal – une espèce d’organisation naturelle en mouvement. C’est ma conception même de la vie, c’est jouir de toute la mouvance de son esprit.

Q : Est-ce que vous menez de front l’écriture de poèmes, d’essais, d’autobiographie, est-ce que le même fait, incident … , peut donner naissance à un poème, à un récit, à un essai ?

KW : Dans ma tête ces trois sortes de livres que je trouve utile de pratiquer sont menées de front. Il peut arriver que je mêle faits, la même situation, le même climat donne lieu à un poème ou à trois quatre dix pages de prose où je mettrai plus de détails, plus de couleurs de même climat mais le poème sera quelque chose de plus diamantin, de plus épuré, encore que je n’aime pas le mot pur, j’aime une pureté un peu impure. Dans une journée je peux aller du poème à l’essai, de l’essai à la prose. J’aime bien, j’allais dire cette variété, mais ce n’est pas une variété – disons ce rythme triple.

Q : Comment s’écrit un poème ?

KW : Il faut distinguer le long poème du court poème. En général, le court poème – qui peut aller de trois lignes à vingt lignes – souvent ça vient d’un bloc. Il peut y avoir des changements dans la chaleur si je puis dire, ce ne sont pas des changements ou des transformations à froid. Dans le mouvement même de l’écriture, il se peut que je change pas mal, mais immédiatement. Quant au long poème, bien sûr, c’est un tout autre travail. Il m’est arrivé de travailler pendant des blocs assez énormes –trois ou quatre heures d’écriture presque continue. Un long poème est avant tout un travail d’organisation – je cherche des organisations assez complexes, une sorte de constellation ou d’archipel, c’est toujours le même principe d’organisation qui revient.

Q : Un mouvement binaire, d’un pôle à l’autre ?

KW : Non, j’aime le triple. Presque toute la pensée et l’histoire, malheureusement, marchent selon une logique binaire, tictac tictac. C’est un rythme qui me lasse.

Q : n’est-ce pas celui du yin yang ?

KW : La même chose, non. Ma première réaction est qu’il faut y regarder de plus près. C’est un rythme binaire beaucoup plus complexe. Le yin yang n’est pas mécaniquement séparé. Le mouvement est courbe, tout en courbe. Toute notre pensée occidentale est : si vous n’êtes pas ça, vous êtes ça. Non, on peut être autre chose.

Si je voulais parler très abstraitement je dirais que ce que j’essaie de réaliser aujourd’hui c’est une pensée, une manière de méditer le monde, qui ne soit ni métaphysique, ni dialectique, un au-delà de la métaphysique et de la dialectique. C’est ce cheminement de pensée qui m’intéresse aujourd’hui. Quelque chose … non d’absolument nouveau ; il n’y a rien d’absolument nouveau – mais quelque chose qui a été complètement écarté des systèmes. Autre chose. Quelquefois j’appelle cela une logique érotique, parce qu’il faut des mots, quelquefois une pensée érotique qui n’est pas de la philosophie. Un rythme triple différent, plus complexe que le système hégélien qui reste très systématique, thèse-antithèse-synthèse ; non, un archipel, une figuration, une configuration – j’aime beaucoup des mots comme ceux-là, où les correspondances sont moins évidentes, mais les correspondances sont là.
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Michèle Duclos
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Je ne vois pas mes livres comme une progression littéraire mais plutôt comme une constellation. Petit à petit je suis en train d’occuper un territoire un îlot après l’autre.

Ilot The Cold Wind of Dawn et En toute candeur ; îlot The Most Difficult Area; c’est alors le départ de l’Ecosse, peut-être faut-il placer là A Walk along the Shore [i] ensuite Terre de diamant et Mahamudra ; dans Mahamudra les poèmes sont plus longs, parfois de trois ou quatre pages ; il y a un désir de durée.

Les poèmes de Glasgow [repris par exemple dans en toute candeur] ne présentent pas de moquerie, ni de dérision du soleil mais une imagination familière, grotesque et presque affectueuse. Le soleil est rouge parce que je le voyais souvent soit en termes crépusculaires soit à travers la brume. Il n’y a jamais eu Laforgue chez moi ni de spleen, mais une force. Apollinaire « soleil cou coupé » c’est trop recherché, tandis que « beetroot in the mud » avec un ciel un peu brumeux et un rouge sombre, c’est le genre d’image vigoureuse qu’on pourrait trouver dans un vieux poème irlandais. Ce n’est pas décadent. Il y a peut-être une certaine nostalgie d’être en ville et l’aspiration d’un ailleurs mais cela a peu à voir avec Laforgue ou Apollinaire – ce qui ne veut pas dire que je ne les aime pas.

Il y a quatre couleurs chez moi : rouge, bleu blanc, noir. Le bleu pour moi, ce n’est pas l’azur mais un bleu gris. Ce n’est pas l’azur, ce n’est pas l’espoir mais une concentration d‘énergie, un dynamisme interne. Le rouge, c’est une pulsion, une confusion, le rouge du sang et de la terre rouge bouddhique. Le blanc, c’est là vers où tend le noir.

Le blanc c’est la clarté, coolness, clarity and coherence, c’est le dégagement, la respiration. C’est mon monde, un monde d’effort jouissif, sans souffrance. Pas un brin de souffrance dans ce que j’écris.il n’y pas d’image de confort, d’accord. Au jardin je préfère le rivage, la lande, la garrigue ; il y a des torrents mais pas de fontaines . Un paysage le mois humain possible. Un paysage dans lequel je peux entrer en contact avec des énergies vives.

*****
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Il a quitté les rives d'une civilisation où le verbe devenait trop bavard et inconséquent, signe d'une culture
en décadence, pour retrouver la fraîcheur, la verdeur, d'une pensée ni chrétienne ni païenne,
d'un paysage mental où les mots montaient lentement du paysage amoureusement
contemplé. Pour lui lac et montagne n'ont pas été le site de hauts-faits militaires mais des
lieux auxquels il a pleinement participé par son corps et son esprit puisqu'il s'est aussi agi ,
après avoir goûté au bien-être d'être au milieu d’eux, de les nommer, le plus adéquatement,
le plus physiquement possible. Même la mort ne saurait le couper d'eux puisque son corps
sera mêlé aux vagues. Son poème, gravé sur les rochers, dessin et verbe à la fois, lui
survivra.
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White ignore délibérément notre Grand Siècle littéraire, tant baroque que classique, mais s’arrête sur Descartes, dont il récuse la métaphysique, tout en respectant sa méthodologie.
Lui-même épris de lucidité, il se dit fasciné par la pensée claire, l’évidence incisive du
philosophe du XVIIe siècle - mais à Descartes il préfère « des cartes du territoire » :
« Depuis que je les avais rencontrées, à l’âge de dix-huit ans à Glasgow, les méditations de
prima philosophia de Descartes m’avaient fasciné. Mais après m’être posé de plus en plus
de questions sur la nature de l’ « essence » et de l’ « essentiel », j’en étais arrivé à l’idée
d’une prima poesia, peut-être plus élémentale qu’essentielle. » (LAH)
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Michèle Duclos
5
Q : Les éclats de Terre de diamant correspondent ils à ce que Joyce nommait des épiphanies ?

KW Oui, je me méfie des parallèles trop vite faits, mais là il y aurait un parallèle.

Pour moi Joyce a fait le dernier livre de l’humanisme occidental. C’est un thomiste pas catholique. Il fait une somme de la culture occidentale comme Thomas (d’Aquin) avait fait une somme de la théologie. Finnigan’s Wake est un immense pot-pourri. Je ne vois pas un au-delà de ça, mais plutôt une immense blague celte irlandaise, hilare. Ce serait désespéré pour quelqu’un qui a une croyance mais Joyce n’a pas de croyance, c’est un nihiliste. Dire que Joyce est catholique n’a pas de sens. Les Jésuites lui ont donné le sens de l’universel. Il a l’hilarité d’un nihiliste qui joue avec la totalité. Il ya quelque chose de diabolique là-dedans. Il n’y a pas d’espoir parce qu’il n’y a pas de désespoir. Joyce est un cérébral pur, sans trace d’affectivité, un esprit complètement détaché, complètement froid, avec de la sentimentalité. Il n’y avait que la langue pour lui, sa langue, du joycien. Tout est langue pour lui, le monde extérieur n‘existait pas beaucoup. Il ya avait sa famille, avec une sentimentalité familiale, et ensuite les mots et la musique. Il a donné lieu à toute une scolastique au sens médiéval du terme, il voulait ça. Il y avait en lui une ambition immense, un égoïsme terrible. Il ne fait pas découvrir le monde d’une autre manière, il fait admirer Joyce. Moi, je veux faire découvrir le monde d’une autre manière. Joyce, c’et le dernier monument ; moi je ne pense pas en terme de monument, je veux faire découvrir un paysage. Dans Finnegan’s Wake, le cosmos intervient purement par les mots. Joyce est uniquement lexical. C’est le dictionnaire, pas le monde.

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La ville, reflétée par le poète, révèle, à partir de fondements identiques, des images
qui se transforment radicalement au fil des ans en même temps que se manifestent des
apports culturels nouveaux. Ce n'est point tant le jugement qui change que le degré
d'implication, entre le jeune étudiant prisonnier de son présent individuel, de son « ego
psycho-social », et le penseur ouvert sur le monde. On passe des imprécations bibliques de
Wild Coal, des rougeoiements sataniques de En toute candeur, de la ville dantesque de
Dérives, à la notion de « monde flottant » que White, amoureux des estampes japonaises (il
a écrit un livre sur Hokusaï) reprend à la culture nippone. Il présente sa ville sous cet aspect
dans un essai, « Le Monde flottant de Glasgow », l’année (1989) où Glasgow (l’attitude de
White devant de tels « programmes culturels » est celle d’une distance ironique) était Cité
culturelle européenne :
Passer des pires taudis de l'Europe à une citadelle de la culture en l'espace de
quelques années, cela peut surprendre : que se passe-t-il ? Que s'est-il passé ?
Pour comprendre ce phénomène, il faut connaître un peu l'histoire intime de la
ville, il faut pénétrer derrière les images horripilantes qu'on a voulu donner d'elle
dans la presse à sensation, dans toute une série de mauvais romans, pour retrouver
le contact avec ses énergies primordiales, son espace premier. C'est qu'il y a toujours eu, non seulement « de la culture », à Glasgow, mais une culture qui a été seulement
un peu enfouie sous la crasse, un peu perdue dans les fumées des usines. Cette
culture se promenait sous la pluie en vieille gabardine (ou plutôt en vieux
mackintosh), vivait en ermite dans un deux pièces-cuisine, elle murmurait un poème,
chantonnait une chanson, quelquefois ce n'était qu'un sourire sur les lèvres, une
lueur dans les yeux. Elle fuyait à la fois la culture provinciale insipide (importée
d'Angleterre) et l'horrible Kitsch tartanisé du music-hall que l'on faisait passer pour
authentiquement « scotch » et joyeusement « populaire ».
Quand j'étais étudiant à Glasgow, à la fin des années cinquante, c’étaient ces
traces là que je cherchais. J'aimais le soir, en sortant de la bibliothèque universitaire
et avant d'errer dans les rues, me tenir sur les hauteurs de Gilmorehill à contempler
la ville étalée à mes pieds: le fleuve, les docks, les fumées, les grues... et, le jour,
j'interrompais souvent mes études pour aller faire une petite visite au musée de
Kelvingrove, dont le premier étage était consacré aux maquettes de bateaux et aux
machines, alors que les étages supérieurs abritaient une belle collection de peinture,
notamment de peinture française, rassemblée par un magnat de la marine
marchande, William Burrell, au cours des années qui suivirent la Première Guerre
mondiale. J'aimais aussi flâner dans le vieux centre de la ville, du côté du Trongate,
ou bien je traversais le fleuve par un pont ou sur un bac, et j'allais dans le quartier
sud, du côté des Gorbals. Logé chez un Polonais près des docks, je me prenais
parfois, les soirs d'hiver, pour Dostoïevski à Saint-Pétersbourg. Parfois, les jours de
pluie, pour Nagaï Kafu à Tokyo. Tout en emmagasinant des impressions de la vie
immédiate : la lumière du matin sur Great Western Road, un crépuscule violet sur le
Broomielaw, des mouettes un peu paf piaillant au-dessus de barils de whisky alignés
le long des quais, la fumée grise et rose d'un train quittant la gare de Saint-Enoch. Je
lisais tout ce que je pouvais trouver sur l'histoire de la ville dans les bibliothèques
(notamment la fameuse Mitchell, la plus grande bibliothèque municipale du monde)
ou sur les brouettes des bouquinistes de Renfield Street. Car, tout en cherchant à
savoir où l'on peut aller, il est bon de savoir aussi d'où l'on vient (...) (Atlas-Air
France, mars 1989)
P 44
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