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Citation de Partemps


Michèle Duclos
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La vraie question, c’est : Comment être là ? Comment habiter la terre ? Voilà la question primordiale pour nous êtres humains. Comment habiter là où nous sommes, comment habiter la terre ? Voilà la question que pose Heidegger. Pour lui la question est simplement ça : comment demeurer, quelle sorte de séjour avoir. De là, pour ouvrir une petite parenthèse concrète, je crois qu’on peut voir la qualité d’un esprit ou sa configuration à partir de l’ambiance de son milieu – on crée son milieu, j’essaie de créer mon milieu, pour parler en terme de Je. Pour anticiper d’autres questions, c’est une évidence pour moi qu’on écrit pour soi. Et ce n’est qu’en écrivant pour soi qu’on arrive peut-être à écrire pour les autres. Celui qui commence par écrire pour les autres ne fera jamais qu’une littérature tout à fait secondaire, de consommation publique. Non, il faut écrire pour soi essayer de trouver un espace vivable, un espace vis-à-vis d’une société généralement peu satisfaisante. Donc on prend ses distances, dans la solitude, dans le silence on essaie de se créer un autre espace. Si on arrive à créer cet autre espace, énergétique, clair, il va rayonner. Alors seulement on donne quelque chose aux autres, mais il faut d’abord créer son espace. Tout le reste est littérature secondaire, production artistique, de la culture au sens secondaire et tertiaire du mot.

Mes livres se situent en dehors de tout système symbolique établi. L’humanité, pour se sécuriser, a inventé des systèmes symboliques. Je ne m’attache pas plus aux systèmes symboliques orientaux tels que le yin yang, même s’ils ont pu m’attirer comme étant plus complexes que les nôtres. Je vise un au-delà de l’Orient et de l’Occident, d‘une séparation tout à fait artificielle historiquement.

Est-ce que je suis en train de créer de nouveaux symboles ? Je n’en sais rien, ce serait à discuter. Ce que j’appelle de temps en temps le monde blanc est un monde sans système symbolique, un monde tout à fait transparent – où un arbre est un arbre, et pas le symbole de la croix ou des planches possibles dans un système technologique.

Quand j’étais enfant, l’arbre qui me parlait le plus était le bouleau. C’était purement sensuel au début, sa gracilité, son tronc gracieux, son écorce blanc cassé, et aussi ces espèces de figures sur l’écorce, comme une écriture. Je dis bien une espèce d’écriture car je ne voudrais pas qu’on y voie un symbole de l’écriture. J’en ai parlé en termes sensuels et affectueux –comme me permettant une approche sensitive du monde, mais pas comme symbole de la Femme. Pas un archétype, mais représentation de quelque chose d’autre. Cet arbre était un concentré du monde à partir de détails concrets, pas une idée du monde. Je ne crois à aucune interprétation intellectuelle ni religieuse du monde, mais à une espèce de concentration d’énergie et d’expérience du monde.

L’écriture approfondit la sensation, permet de la vivre de manière plus méditative et donne une permanence. Quand on est désorienté, on peut toujours revenir et retrouver cette sensation. Que de fois il m’est arrivé, dans des moments plus creux, plus perdus, de retrouver quelque chose d’écrit et de me dire : oui, j’ai pu vivre ça, je peux le revivre.

Pour moi la mouette n’est pas le symbole de la poésie, c’est une mouette, un corps qui traverse le ciel, qui vogue sur les flots et qui fait des marques dans le sable. Mais je ne veux absolument pas faire de ce corps un symbole de la poésie.

Q : Mais s’ il se désigne naturellement comme un symbole pour des lecteurs…

KW : Alors leur lecture est entachée d’une logique qui n’est pas la mienne. Je ne suis pas contre mais je voudrais que leur lecture s’affine. Je crois qu’il y une lecture plus claire à faire. C’est une des raisons pour lesquelles j’enseigne : pour briser les logiques. Souvent les gens qui me disent qu’ils aiment la poésie me font frémir car je sais que nous ne parlons pas de la même chose. Enseigner, c’est essayer d’ouvrir un espace qui peut recevoir dans sa totalité cette expérience qui autrement est délayée, diluée, déformée par des approches, des logiques, des lectures symbolisantes qui manquent le vrai réel.

Q : On peut sentir le concret sensoriel et avoir du plaisir à pressentir quelque chose derrière, qui dépasse l’individu …

KW : Effectivement mon intérêt quand j’étais gosse, pour l’oiseau, pour l’arbre, pour le quartz…mais si je me suis attaché au quartz, au bouleau, et à la mouette, je n’en fais pas un système symbolique comme Blake par exemple, qui à partir de ces choses là aurait créé une structure. Je trouve cela sans intérêt. Je suis très brutal. Je préfère Thomas Hardy parce que chez lui le paysage est ressenti comme paysage. Le christianisme, la judéo-chrétienté en général, c’est ce qu’il y a de plus anti-nature. Moi, je cherche un naturalisme. Je ne suis pas païen non plus, parce que le paganisme a aussi ses dieux et ses structures. Mais si on entend par païen quelqu’un qui essaie de sentir le paysage, ça oui, mais il faut réduire le mot à ses racines étymologiques.

Q : Pas si facile pour qui enfant a été enfermé dans une ville, étouffé…

KW : Effectivement. J’ai eu une enfance assez naturelle j’ai certainement redécouvert naturellement le chamanisme Vingt ans après avoir fait certaines pratiques dans l’arrière-pays de mon village écossais, je me suis rendu compte que j’avais redécouvert certaines de ses pratiques. On peut me rattacher au grand courant du chamanisme. Le chamanisme est une structure sociale et intellectuelle qui m’intéresse. La vraie fonction du poète serait d’être le chaman de la tribu. Ce qui m’intéresse aussi ce sont les succédanées du chamanisme qui est le point de départ, l’aspiration et le terrain sur lequel ont poussé le yoga, le shinto et le zen. Il y a filiation. Nous y sommes déjà dans un terrain plus abstrait. Ce qui m’intéresse dans le chamanisme c’est cette concentration d’énergie et le voyage mental. De même pour le yoga. J’essaie de dégager les principes du yoga puis je fais une sorte de yoga ambulatoire, un yoga qui n’est pas du yoga. C’est ce qu’on trouve dans les textes les plus raffinés du yoga. Je ne suis pas contre ces disciplines ; loin de là. Mais je n’ai pas un esprit de disciple, et je n’ai pas de maitre. Ce qui me gêne c’est la systématisation, la sur-sécurisation que les gens cherchent en créant des systèmes.-Si je traduis le yoga dans ses termes les plus simples, le yoga dit simplement que l’être humain n’est pas séparé du monde. En se concentrant sur la respiration on s’en rend compte. Se concentrer sur l’acte simple de la respiration, c’est se rendre compte que l’on est en train de respirer le monde à chaque seconde. Ça me semble aller de soi. Ensuite je suis arrivé à des stades plus sophistiqués.

Je suis un chaman sans tribu, c’est un phénomène de longue haleine. Qui sait. Nous sommes à un tel tournant de la culture, que quelque chose de général pourrait arriver. Mais je n’y pense pas beaucoup, je suis mon élan, et je m‘occupe de suivre ma propre vie de la manière la plus pleine possible. Plutôt que de parler de social, il vaut mieux avoir une activité qui éventuellement pourrait se socialiser. C’est beaucoup plus important. J’ai une activité sociale, d’enseignant, et d’une manière souterraine ; cela fait des années que ça dure, il y a des gens chez qui cela a laissé quelques traces. Il ya un courant. Je m’active aussi autour de ce que je fais. J’essaie de créer un espace, disons poétique, un espace que j’essaie d’ouvrir avec mon travail. Je préfère parler de travail plutôt que d’œuvre . Mais je commence par moi bien sûr. Il fallait faire ça .Tu commences par créer ta propre île, ensuite tu crées un archipel et peut-être avec le temps l’archipel deviendra-t-il un univers, mais il faut laisser venir.

Le problème du mal… Bof ! le Mal ?je vois des gens mauvais. La souffrance ? Souvent ça dépend de la sottise. A peu près toute la tragédie est bête, c’est une connerie. Le Roi Lear par exemple. Au lieu de nous apitoyer sur la souffrance il vaut mieux essayer de rendre les choses un peu plus claires, et il y aura un peu moins des souffrance à ce moment-là. La maladie, on peut l’éviter en partie avec un peu d’intelligence, d’attention à ce qu’on mange, ce qu’on respire. Ce qu’on ne peut pas éviter, il vaut mieux un peu de stoïcisme ; de fatalisme.

Le Bien et le Mal, ce sont des projections, des interprétations du monde. Il vaut mieux s’occuper de mots et de santé, de chemin vers la santé.

Optimisme ? Je préfère parler de pessimisme actif.

Ecrire des poèmes satiriques, comme Yeats ? Non. On montre plus son jugement par la distance. J’ai une science, une distance vis-à-vis de beaucoup de choses Je préfère insister sur ce qui me parait valable.
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