Citations de Marie-Claude Roulet (30)
Avec John Fante
Louise n'écoutait plus, le rire la prenait, une phrase de " La Jument verte" lui revenait qui illustrait parfaitement le monde qu'évoquait sa fille:" Et le village sommeillait, perclus, ossifié était triste comme un dimanche au paradis". Marcel Aymé était un de leurs auteurs culte, jadis, elle en connaissait par coeur des pages entières et elle avait souvent pensé- et encore aujourd'hui- que ces premières lectures ironiques et lucides l'avaient marquée à vie.
( p.21 )0
Avec John Fante
" il était un chien pas un homme, un simple animal qui en temps voulu deviendrait mon ami, remplirait mon esprit de fierté, de drôlerie et d'absurdités. C'était un misfit et j'étais un misfit..."
Quelque chose l'étreignait; elle leva les yeux, aspira l'air poisseux d'humidité, profondément. Ce bouquin allait être son oxygène pour le week-end, elle le sentait.Partir.
Les beaux jours
L'enchantement avec cette peinture que je peux étendre à l'infini jusqu'à la teinte des rêves, celles affaiblies mais scintillantes du jour naissant et du soleil montant.
Moi Greta je peins, c'est un besoin comme de boire quand on s'est desséché au soleil, un besoin tellement impérieux qu'il m'effraye et me dessèche la bouche comme une vieille honte ou un désir obscur.
( p.92)
Les beaux jours
L'enchantement avec cette peinture que je peux étendre à l'infini jusqu'à la teinte des rêves, celles affaiblies mais scintillantes du jour naissant et du soleil montant.
Moi Greta je peins, c'est un besoin comme de boire quand on est desséché au soleil, un besoin tellement impérieux qu'il m'effraye et me dessèche la bouche comme une vieille honte ou un désir obscur.
(p.92)
Avec John Fante
Elle finit le bouquin de Fante dans la soirée. Elle lisait plus légèrement, comme si elle connaissait déjà l'histoire ou si son intérêt depuis midi avait faibli.Et c'était un peu ça, la fin la fit sourire et lui serra le cœur mais ne l'étonna pas et, sur la couverture du livre refermé, l'image pathétique de la tête du chien pourvu de lunettes rejoignait en correspondance celle des deux vieux hommes partis à la recherche de l'émerveillement.
( p.125)
Avec John Fante
Elle rêvassa jusque vers midi sans dépasser la première page du chapitre, les yeux errants sur les reproductions qui trahissaient le mur face à son lit. Hopper, Balthus, des peintres de la lumière et de la solitude.S'il devait ne rester que deux mots c'était ceux-là qu'elle garderait.
( p.23)
Gaspar et Georgina
" Toujours", c'est un mot terrifiant, le mot de toutes les obscurités, de toutes les fatalités.
Couleurs d'automne
- C'est en cette saison que j'ai commencé à dessiner, reprit-elle au bout d'un moment ; l'année où ma mère est morte.J'utilisais les crayons de couleurs, uniquement. Cette lumière d'automne...elle me bouleversait., creusait en moi un autre vide douloureux, insupportable. Il fallait que je m'en empare, que j'essaye d'en fixer des bribes pour qu'il ne m'aspire pas.Je me souviens si parfaitement de ça, de mon mal-être de petite fille qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait ni pourquoi elle n'éprouvait pas les mêmes émotions que les autres. Je dessinais des arbres ou des maisons ou mon père (...)
Je m'arrangeais comme je pouvais avec la réalité, en somme.
( p.137)
Et agripant le regard de sa fille, répétait qu'elle n'était pas folle et qu'elle devait la croire, elle qui vivait au milieu de ceux que l'on dit fous, fatiguée simplement, tellement fatiguée...Parfois elle pleurait et Lucie prenait les mains sans rien dire, elles restaient assises l'une contre l'autre, reliées par tous ces mots qu'elles ne disaient pas, qu'elles ne diraient jamais, infiniment et désespérément proches et étrangères.
(p. 67)
Maison au bord de la voie ferrée
- C'est vrai que tu es une artiste reconnue; après avoir été le fils de, je suis maintenant le frère de.
Elle rit, mais non, elle n'est connue que d'un petit cercle d'initiés, qui connaît les peintres aujourd'hui ?
D'autant qu'elle ne se montre jamais sauf pour ses vernissages; et puis il y a cette maison qui l' habite plus qu'elle ne l' habite, sait-il qu'en un an, elle n'a franchi que trois fois les limites du parc ?
( p.64)
Dans le champ de pommes de terre
Il y avait un petit groupe de lecteurs "exigeants" et certains discutaient volontiers de leurs passions.D' horizons divers.L'un d'eux, surtout, intriguait Nathalie par un côté qu'elle trouvait un peu baroque; il arrivait en tenue de travail, salopette et casquette en Jean usé, rendait trois ouvrages, en reprenait autant et c'étaient Tchekhov et Simenon, Faulkner et Brautigan.Très régulièrement, chaque quinzaine.Elle se demandait où il trouvait le temps de lire autant, un lecteur né sans doute, de ceux qui lisent comme on mange, pour vivre.
( p.71)
Maison au bord de la voie ferrée
Elle ne m'a fait aucun reproche, elle m'a juste dit qu'elle se sentait moins seule toute seule qu'avec moi.Moi, elle m'a manqué, elle me manque encore. De temps en temps, je passe au magasin, on finit la soirée ensemble
Elle n'a personne, enfin personne de fixe, moi non plus.Peut-être qu'on n'est pas faits pour le quotidien.
( p.55)
Les beaux jours
Folle, peut-être un peu, oui.Si c'est folie que de ne pas ressentir comme les autres, que de ne pas aimer ce qu'aiment ceux de mon âge.
Avec John Fante
C'est ainsi chaque fois ( p.20) qu'un livre, que l'univers d'un livre l'accaparait: après s'être jetée dedans, elle l'absorbait au compte-gouttes, parfois même ne le terminait pas et passait à autre chose. " Tu devrais écrire " avait dit Clotilde ( **sa fille) à laquelle elle avait, un jour, parlé de cette façon de lire et qu'elle s'appropriait ainsi le livre à sa façon et indéfiniment, la vraie lecture.( p.20)
Gaspard et Georgina
De l'autre côté de la route-fleuve-désert, une lumière brille à l'étage de la maison, Gaspard est en train d'écrire le livre d'où la vérité viendra, elle éclatera telle la foudre qui ouvre des palais scintillants dans le ciel vide.
(p. 31)
L'Obscur royaume
Pendant des années au domaine, en s'éveillant dans la haute chambre glaciale dont le plafond mouluré s'écaillait inexorablement, elle avait songé à une maison moderne en plein coeur du bourg de T. "Moderne" insistait-elle et ce mot évoquait une demeure à dimensions humaines avec " des tas de fenêtres et presque pas de murs" comme dans cette chanson de Brel qu'elle avait entendue un jour à la radio et qu'elle n'avait eu de cesse de réentendre parce qu'elle lui parlait d'elle et du profond de sa vie avec une économie qui lui convenait à elle, la silencieuse.
(p. 47)
Avec John Fante
" C'était janvier, il faisait froid et sombre, il pleuvait."Le livre de Fante commençait comme ça. Louise accrocha tout de suite à cause de cette première phrase, on était en janvier, il faisait un froid de cimetière et il tombait des cordes, c'était pareil dans sa tête, ce bouquin était pour elle.
Gaspar et Georgina
Le vide abyssal des dimanches.
(...) La semaine, souveraine sur son rocher, elle caresse la couverture glacée du livre.Non pas un manuel imposé qu'elle est obligée de lire mais un livre pour elle, seulement pour elle(....)
( p.23)
Les beaux jours
Si je n'étais pas allée chez l'acteur, Michel- " pas de cérémonie, appelez- moi, Michel", j'ignorais encore que je peux crayonner et peindre, que je dispose de ce pouvoir- là, capturer la lumière et le monde avec des crayons ou un pinceau.
( p.93)
L'Obscur royaume
C'était de bon augure et puis il fallait bien que Jean, à un moment ou à un autre de son histoire, trouve un peu de joie. Reine prononçait ce mot-là "joie" avec précaution, comme si de l'amener au jour de la parole eût risqué de le faire disparaître; c'est qu'exprimer tout contentement relevait de l'indécence et risquait d'attirer, outre le mauvais oeil, la jalousie du monde.
(p. 51)