Citations de Marcel Mauss (77)
l'avare a toujours peur des cadeaux.
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Voilà donc ce que l'on trouverait au bout de ces recherches. Les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus, ont su stabiliser leur rapports, donner, recevoir, et enfin, rendre. Pour commencer, il fallut d'abord savoir poser les lances. C'est alors qu'on a réussi à échanger les biens et les personnes, non plus seulement de clans à clans, mais de tribus à tribus et de nations à nations et - surtout - d'individus à individus. C'est seulement ensuite que les gens ont su se créer, se satisfaire mutuellement des intérêts, et enfin, les défendre sans avoir à recourir aux armes. C'est ainsi que le clan, la tribu, les peuples ont su - et c'est ainsi que demain, dans notre monde dit civilisé, les classes et les nations et aussi les individus, doivent savoir - s'opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres. C'est là un des secrets permanents de leur sagesse et de leur solidarité.
« Quand une science naturelle fait des progrès, elle ne les fait jamais que dans le sens du concret, et toujours dans le sens de l’inconnu. Or l’inconnu se trouve aux frontières des sciences, là où les professeurs « se mangent entre eux », comme dit Goethe [...]. C'est généralement dans ces domaines mal partagés que gisent les problèmes urgents » ("Les techniques du corps", p. 365)
Une partie considérable de notre morale et de notre vie elle-même stationne toujours dans cette même atmosphère du don, de l’obligation et de la liberté mêlés. Heureusement, tout n’est pas encore classés exclusivement en termes d’achat et de vente. Les choses ont encore une valeur de sentiment en plus de leur valeur vénale, si tant est qu’il y ait des valeurs qui soient seulement de ce genre. Nous n’avons pas qu’une morale de marchands. Il nous reste des gens et des classes qui ont encore les moeurs d’autrefois et nous nous y plions presque tous, au moins à certaines époques de l’année ou à certaines occasions.
Et pourtant le droit de propriété "in abstracto" n'existe pas. Ce qui existe, c'est le droit de propriété tel qu'il est ou était organisé, dans la France contemporaine ou dans la Rome antique, avec la multitude des principes qui le déterminent.
La vie privée se passe ainsi :
on invite les gens de son clan, quand on a tué un phoque, quand on ouvre une caisse de baies ou de racines conservées ;
on invite tout le monde quand échoue une baleine.
"p. 57 : les trois lois dominantes de la magie :"Ce sont les lois de contiguïté, de similarité, de contraste : les choses en contact sont ou restent unies, le semblable produit le semblable, le contraire agit sur le contraire."
Ce qu'ils échangent n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des foires, dont le marché n'est qu'un des moments, et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes du contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent.
Si le don est sujet d'émulation, et s'il est motif d'opposition, il est aussi moyen d'association. Il exalte les vanités, mais cimente les amitiés. Donner et rendre engage les intérêts ; mais c'est aussi lier les volontés.
Ce sont justement les Romains et les Grecs qui, peut-être à la suite des Sémites du Nord et de l'Ouest, ont inventé la distinction des droits personnels et des droits réels, séparé la vente du don et de l'échange, isolé l'obligation morale, et surtout conçu la différence qu'il y a entre des rites, des droits et des intérêts.
p. 227 : "... on se donne en donnant et, si on se donne, c'est qu'on se "doit" - soi et son bien - aux autres."
p. 161 : "... cette chose donnée n'est pas chose inerte. Animée, souvent individualisée, elle tend à rentrer à son "foyer d'origine" ou à produire, pour le clan et le sol dont elle est issue, un équivalent qui la remplace."
L'effort conceptuel de Mauss tend à présenter les politiques sociales alors en cours de construction non pas comme des dons faits aux pauvres, mais comme des contre-dons rendus aux travailleurs en échange du don initial qu'ils ont fait de leur travail et dont le salaire ne représente pas un contre-don suffisant. Ni les patrons ni la société, dit Mauss, ne sont "quittes" envers eux après le versement du salaire. On parlerait aujourd'hui d'incomplétude du contrat de travail.
p. 14 : "Ces deux extrêmes forment, pour ainsi dire, les deux pôles de la magie et de la religion : pôle du maléfice, pôle du sacrifice."
"« J’ai donc eu pendant de nombreuses années cette notion de la nature sociale de l’ « habitus ». Je vous prie de remarquer que je dis en bon latin, compris en France, « habitus ». Le mot traduit, infiniment mieux qu’ « habitude », l’ « exis », l’ « acquis » et la « faculté » d’Aristote (qui était un psychologue). [...] Ces « habitudes » varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances et les modes, les prestiges. Il faut y voir des techniques et l’ouvrage de la raison pratique collective et individuelle, là où on ne voit d’ordinaire que l’âme et ses facultés de répétition.
Ainsi, tout se ramenait un peu à la position que nous sommes ici, dans notre Société, un certain nombre à avoir prise, à l’exemple de Comte [...]. Et je conclus que l’on ne pouvait avoir une vue claire de tous ces faits, de la course, de la nage, etc., si on ne faisait pas intervenir une triple considération au lieu d’une unique considération, qu’elle soit mécanique et physique, comme une théorie anatomique et physiologique de la marche, ou qu’elle soit au contraire psychologique ou sociologique. C'est le triple point de vue, celui de « l’homme total », qui est nécessaire." ("Les techniques du corps", p. 368)
p. 269 : "Donner, c'est manifester sa supériorité, ... ; accepter sans rendre ou sans rendre plus, c'est se subordonner..."
p. 117 : "... les croyances magiques particulières sont dominées par une croyance générale de la magie qui, elle, échappe aux prises de la psychologie individuelle. Or, c'est cette croyance qui permet d'objectiver les idées subjectives et de généraliser les illlusions individuelles."
La charité est encore blessante pour celui qui l’accepte, et tout l’effort de notre morale tend à supprimer le patronage inconscient et injurieux du riche « aumônier ».
Il n'y a pas d'autre échelle des valeurs, en matière de protection et de confort, que l'arbitraire social.
Il en est ainsi de celui
en qui tu n'as pas confiance
et dont tu suspectes les sentiments,
il faut lui sourire
mais parler contre coeur:
les cadeaux rendus doivent être semblables aux cadeaux reçus.
Les hommes généreux et valeureux
ont la meilleure vie;
ils n'ont point de craintes.
Mais un poltron a peur de tout;
L'avare a toujours peur des cadeaux.