Ecrite par Malika Ferdjoukh, la série « Quatre soeurs » a marqué toute une génération de lectrices. Depuis 2011, l’illustratrice Cati Baur s’est attelée avec brio à l’adaptation de la saga, développant depuis deux albums déjà les tribulations des soeurs Verdelaine. Après l’intrépide Enid et la réservée Hortense, la dessinatrice, fidèle à la chronologie de la saga d’origine, consacre ce troisième tome à la coquette Bettina, âgée de 14 ans.
Après la disparition brutale de leurs parents dans un accident de voiture, les filles Verdelaine se retrouvent orphelines et livrées à elles-mêmes. Charlie, l’ainée des cinq soeurs, a mis fin à ses études pour prendre soin de la fratrie et s’occuper de la grande demeure familiale. Mais deux ans après le décès de leurs parents, les économies sur lesquelles vivait la tribu ont fondu. Et ce n’est pas le maigre chèque de l’excentrique Tante Lucrèce (la cotutrice légale des filles qui leur rend visite tous les 36 du mois) qui leur permettra de s’en sortir. Pour faire face, l’ainée ne voit donc d’autre solution que de mettre en location la chambre parentale. La proposition de Charlie sème aussitôt un vent d’effroi chez les soeurs Verdeleine. Passée l’onde de choc, les filles se résignent pourtant à l’idée de louer une partie de la Vill’Hervé.
C’est ainsi qu’après l’arrivée de Désirée et Harry, les deux turbulents cousins venus passer quelques jours dans la villa, l’irruption du beau Tancrède au sein du microcosme formée par les soeurs Verdelaine va semer le plus grand trouble dans leurs vies (et dans le coeur de Charlie)…
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Tome après tome et au rythme des saisons, Cati Baur nous fait pénétrer dans l’intimité de cette fratrie haute en couleurs dont elle croque le quotidien avec une infinie tendresse. Mais en filigrane de ces petits affres et bonheurs qui rythment le quotidien, se devine toujours l’ombre fugace du drame vécu par les cinq soeurs deux ans auparavant. Un discret souffle de nostalgie plane inexorablement sur la Vill’Hervé et ses habitantes. En dépit de leurs apparitions sous forme d’ectoplasme, l’absence pesante des parents Verdelaine dans les moments importants de la vie de leurs filles ne manque jamais de serrer douloureusement le coeur du lecteur.
Cati Baur a su restituer avec brio tous les ingrédients qui ont fait le succès des romans de Malika Ferdjoukh. Son dessin, faussement désinvolte et typé jeunesse, s’accorde parfaitement au ton des romans de Malika Ferdjoukh tout en leur offrant un remarquable écrin ! On retrouve avec bonheur ce mélange subtil entre spontanéité, espièglerie et émotions ainsi que les thèmes conducteurs de la saga, tels que le difficile travail de deuil ou le délicat passage de l’enfance à l’âge adulte. Tome charnière placé sous le signe du printemps, ce troisième opus cristallise en outre tous les bouleversements qui accompagnent le passage de l’enfance à l’âge adulte. Entre candeur et désir de s’affirmer, peur de l’inconnu et quête de nouvelles expériences, Cati Baur nous livre avec ce nouvel opus un florilège d’émotions qui nous fait passer du rire aux larmes en un instant. L’innocence et l’espièglerie incarnées par les deux petits cousins se confrontant ici à l’explosion des sentiments amoureux et aux épreuves de la maladie.
A côté des nouveaux venus, on retrouve aussi bon nombre de personnages déjà croisés dans les précédents tomes, tels l’insupportable Tante Lucrèce, le dévoué Basile, le facétieux Merlin (qui en dépit de son physique ingrat a tout d’un enchanteur !), ou encore la frêle Muguette, laquelle, quoique physiquement absente, occupe un rôle de premier plan dans cet opus.
Rehaussées par des couleurs pastels et harmonieuses, les illustrations à la plume et l’aquarelle de Cati Baur dégagent une douceur enfantine réconfortante. On se laisse happer avec délice par ces cases lumineuses et fourmillant de détails qui s’animent sous nos yeux et nous emportent dans une bulle où le temps semble avoir suspendu son vol. Le choix des couleurs, le découpage parfaitement rythmé et la mise en page astucieuse et inventive (à l’instar de la double page p.94-95) participent en outre activement au ressenti des émotions. La dessinatrice joue habilement sur les teintes et les effets de cadre pour rendre compte de l’estompage des repères et de l’exacerbation des sentiments qui accompagnent le passage à l’âge adulte.
Dans la lignée des tomes précédents, Cati Baur signe une adaptation à la fois tendre, sensible et très réussie où le charme opère dès les premières planches ! C’est avec bonheur que l’on s’immisce dans la vie trépidante et mouvementée des cinq soeurs Verdelaine. Personnage à part entière, la Vill’Hervé est une ruche vibrante d’amour et de rires que l’on voudrait ne jamais quitter. On se languit ainsi d’ores et déjà de découvrir le quatrième et ultime volet de la saga, tout en ayant un pincement au coeur à l’idée de quitter définitivement les soeurs Verdelaine…
De par sa grande originalité et l’universalité des sujets qu’elle aborde, la saga Quatre soeurs, a priori estampillée jeunesse, s’adresse en réalité à un public bien plus large que celui des pré-adolescentes. Enchevêtrant les considérations sur l’amitié, l’amour, ou le deuil, les adultes confirmés tomberont à coup sûr eux aussi sous le charme de ce mélange subtil de poésie, d’humour et de parfum d’enfance.
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