Dans le creux de cet été, Margrit et ma sœur parties, ma mère encore plus accaparée par son nouveau poste que par le précédent, je fus donc tout à fait livré à moi-même au cœur de cette léthargie pavillonnaire. J'eus devant moi des heures entières pour m'avachir dans toutes les pièces, nourrir mes vies parallèles et perdre mon temps en toute quiétude. J'avais encore le cœur brisé par le départ de Margrit, mais je ne comprenais aussi ce que l'absence d'un être aimé pouvait permettre d'accomplissement solitaire ; la tristesse était une formidable excuse pour ne rien entreprendre. Le goût exaltant de la liberté de ne rien faire s'offrit à moi tout au long de ces écrasantes journées estivales, sans entraves ni personne pour me contraindre et j'en profitai jusqu'à l'extase. J'avais dix ans et des horizons infinis de paresse s'ouvraient devant moi.
Comme pour atteindre n'importe quel but, tout était d'abord affaire de discipline mais il s'agissait ici de n'en démontrer aucune. Mon art consistait à insister dans le relâchement, à me laisser subtilement glisser et à ne jamais m'en inquiéter. Je limitais mes sorties au strict nécessaire et, pendant des mois, je transformai mon studio parisien en une forteresse où mon imaginaire et mes obsessions me mettaient à l'abri de tout le reste.
Je n'étais que le résultat d'une somme de déterminismes sociaux et familiaux et je traversais ces années d'école comme une valise sur un tapis roulant, porté par une autre force que la mienne et sans aucune idée de l'endroit où on voulait me mener.
Les objets s'étaient tant imprégnés des habitudes des habitants de cette maison qu'ils avaient renoncé à dicter leur propre atmosphère et poussaient parfois le zèle jusqu'à chasser leur propre poussière.
Du côté de mon grand-père, tout n'était qu'ordre, calme et officiers.
Je dérangeais. Et si je dérangeais c’est bien parce que ma voix surpassait celle des autres