Citations de Jeanne Benameur (2373)
La connaissance fine de notre malheur permet-elle une vie meilleure? Comme un vêtement qui s'ajuste bien sur notre corps et ne gêne plus nos mouvements? La nudité en-dessous. Enfin connue et protégée.
Quand on a ouvert le coffre, plus rien n'est à l'abri. Il le sait. Les souvenirs ont leur vie propre. Ils n'ont que faire de nos peurs. Il n'y a plus qu'à être à la hauteur. La liberté est à ce prix. La seule qui vaille.
C'est toujours difficile d'imaginer le plus grand des bonheurs, non? (...) Surtout quand quelqu'un trouve ce bonheur en vous quittant non?
Simon contemple cette pièce rare.
Dans son cabinet aussi des gens ont mis des mois des années à tisser longuement une histoire respirable dans laquelle loger leur vie.
Il va falloir désormais compter sur les autres, compter sur ce que la vie génère pour la vie. La vie des uns, la vie des autres. Après tout. La sienne dans le flot. Une petite vie de rien du tout dans le tourbillon. Un atome. Arrêter de ne compter que sur lui. Se laisser embarquer. Il y a du repos à penser ça. Ici, il sent qu'il peut se hasarder.
Il y a dans le monde d'invisibles liens. Ils n'opèrent que la nuit. Au matin on en garde une impression fugace, comme un trait de peinture qu'on remarque à peine dans un tableau mais qui lui donne toute son assise.
Le silence doit être bordé de paroles justes. Alors seulement il est habitable.
Il y a dans la vie des moments où l'esprit se déploie. Une voie s'ouvre, inconnue. La réalité familière cède la place. Ce qui est resté longtemps inconnu au fond de nous s'offre soudain.
Il regarde le vieil homme qui s'est remis au travail, contemple ses mains qui savent ce qu'elles ont à faire.
Il l'envie.
Il voudrait n'avoir jamais à prendre aucune décision .
Dans tout ce qui n'a pas été fait, il est beau.
Partager la mélancolie des regrets avec quelqu'un sans les raconter. Partager simplement l'atmosphère que créent les mots "Je regrette".
Dans les rêves les morts comme les vivants n'ont pas d'âge.
L'intrusion de cette petite empreinte dans son monde est bon signe. C'est le jour de la Raie Manta et de la trace d'une enfant sur la page. C'est le butin de la journée.
Toute sa vie passée à écouter les autres. Il n'écoute plus personne. Il y a là une paix profonde et une tristesse. Aussi profonde l'une que l'autre. Il vient de déposer l'habit.
Il cherche un livre, le remède éprouvé à tout. S'enfoncer dans le lecture. Oublier.
Une vie "désencombrée" c'est déjà beaucoup à défaut de "nouvelle".
Il y a des phrases qu'on entend un jour pour ce qu'elle sont. Vraiment. Elles sont restées au fond de notre mémoire, intactes. On les a prononcées un jour, sans bien savoir.
Elles attendaient.
Comme si notre propre parole nous attendait toujours.
C'est peut-être ça une analyse réussie après tout. Accepter, au plus profond de soi, qu'on est limité et que pourtant, il y a de l'infini. Inatteignable mais imaginable. I-ma-gi-nable. Elle est là, l'énigme. C'est celle du désir. Tout ce qu'on cache ne retourne qu'à ce mystère bien plus grand.
Tant d'années de sa vie à écouter le mystère de toute vie. A s'en approcher.
Tant d'années pour accepter qu'au fond de toute clarté, l'opaque subsiste. C'est le plus difficile. Pour l'analysant comme pour l'analyste.
On lève une à une les choses tues qui bordent chaque enfance, on traverse les secrets inutiles, on peut à nouveau caresser une cicatrice. Et pour autant on n'a rien résolu. On se retrouve toujours devant le même mystère, le même pour tous, on n'y échappe pas.
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Peu à peu, il a appris à écouter chacun de ses patients comme on écoute un chant.
Un long poème balbutiant.
Lui seul pour en saisir le rythme. Avec pour unique outil le silence. Peu à peu il a appris à entendre quand quelque chose cherchait à venir, d'une séance à l'autre. Il a aidé au miracle laborieux du lien qui s'élabore.
Sentir qu'un patient commence à se dépouiller des faux-semblants, ça c'est quelque chose.
On entre dans sa propre histoire pieds nus, toujours.
Lui, il a été là pour ça. Humblement.
Les pierres sur le chemin, il n'avait pas le pouvoir de les écarter. Juste d'être là et d'accompagner la joie l'inquiétude la souffrance... tout le panel. Garder courage.
Parfois guider d'un mot, rarement d'une phrase.
Il a assisté, encore plus rarement, à quelques épiphanies. Quand la parole devient vraiment un acte. Le Verbe. Très rare.
Et toujours de séance en séance, sa présence tenue, garante que tout cela a bien eu lieu.