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Citations de Henri Barbusse (308)


Je joue des coudes tout en suivant la marche, jusqu'à l'escouade de Marchal, la plus éprouvée : sur onze compagnons qu'ils étaient et qui ne s'étaient jamais quittés depuis un an et demi, il ne reste que trois hommes avec le caporal Marchal.
[…]
— Alors, mon pauvre vieux, ça s'est mal passé.
Il s'assombrit subitement, prend un air grave.
— Eh oui, mon pauv' vieux, que veux-tu, ça a été affreux, cette fois-ci… Barbier a été tué.
— On le disait… Barbier !
— C'est samedi, à onze heures du soir. Il avait le dessus du dos enlevé par l'obus, dit Marchal, et comme coupé par un rasoir. Besse a eu un morceau d'obus qui lui a traversé le ventre et l'estomac. Barthélémy et Baubex ont été atteints à la tête et au cou. On a passé la nuit à cavaler au galop dans la tranchée d'un sens à l'autre, pour éviter les rafales. Le petit Godefroy, tu le connais ? le milieu du corps emporté ; il s'est vidé de sang sur place, en un instant, comme un baquet qu'on renverse : petit comme il était, c'était extraordinaire tout le sang qu'il avait ; il a fait un ruisseau d'au moins cinquante mètres dans la tranchée. Gougnard a eu les jambes hachées par des éclats. On l'a ramassé pas tout à fait mort. Ça, c'était au poste d'écoute. Moi, j'y étais de garde avec eux. Mais quand c't obus est tombé, j'étais allé dans la tranchée demander l'heure. J'ai retrouvé mon fusil, que j'avais laissé à ma place, plié en deux comme avec une main, le canon en tire-bouchon, et la moitié du fût en sciure. Ça sentait le sang frais à vous soulever le cœur.
— Et Mondain, lui aussi, n'est-ce pas ?…
— Lui, c'était le lendemain matin — hier par conséquent — dans la guitoune qu'une marmite a fait s'écrouler. Il était couché et sa poitrine a été défoncée. T'a-t-on parlé de Franco, qui était à côté de Mondain ? L'éboulement lui a cassé la colonne vertébrale ; il a parlé après qu'on l'a eu dégagé et assis par terre ; il a dit, en penchant la tête sur le côté : « Je vais mourir », et il est mort. Il y avait aussi Vigile avec eux ; lui son corps n'avait rien, mais sa tête s'est trouvée complètement aplatie, aplatie comme une galette, et énorme : large comme ça. À le voir étendu sur le sol, noir et changé de forme, on aurait dit que c'était son ombre, l'ombre qu'on a quelquefois par terre quand on marche la nuit au falot.

Chapitre 3 : La descente.
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Il en fait à présent une autre où il y aura du cuivre. Il travaille avec ardeur. C'est son cœur qui veut s'exprimer le mieux possible et s'acharne à une sorte de calligraphie.
Dans ces trous dénudés de la terre, ces hommes inclinés avec respect sur ces bijoux légers, élémentaires, si petits que la grosse main durcie les tient difficilement et les laisse couler, ont l'air encore plus sauvages, plus primitifs, et plus humains, que sous tout autre aspect.
On pense au premier inventeur, père des artistes, qui tâcha de donner à des choses durables la forme de ce qu'il voyait et l'âme de ce qu'il ressentait.
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A une époque, je croyais que le pire enfer de la guerre ce sont les flammes des obus, puis j'ai pensé longtemps que c'était l'étouffement des souterrains qui se rétrécissent éternellement sur nous. Mais non, l'enfer, c'est l'eau.
P 352
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C'est maintenant un surnaturel champ de repos. Le terrain est partout taché d'êtres qui dorment, ou qui, s'agitant doucement, levant un bras, levant la tête, se mettent à revivre, ou sont en train de mourir.
P 351
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Ah ! vous avez raison, pauvres ouvriers innombrables des batailles, vous qui aurez fait toute la grande guerre avec vos mains, toute-puissance qui ne sert pas encore à faire le bien, foule terrestre dont chaque face est un monde de douleurs — et qui, sous le ciel où de longs nuages noirs se déchirent et s’éploient échevelés comme de mauvais anges, rêvez, courbés sous le joug d’une pensée ! – oui, vous avez raison. Il y a tout cela contre vous. Contre vous et votre grand intérêt général, qui se confond en effet exactement, vous l’avez entrevu, avec la justice — il n’y a pas que les brandisseurs de sabres, les profiteurs et les tripoteurs.

Il n’y a pas que les monstrueux intéressés, financiers, grands et petits faiseurs d’affaires, cuirassés dans leurs banques ou leurs maisons, qui vivent de la guerre, et en vivent en paix pendant la guerre, avec leurs fronts butés d’une sourde doctrine, leurs figures fermées comme un coffre-fort.

Il y a ceux qui admirent l’échange étincelant des coups, qui rêvent et qui crient comme des femmes devant les couleurs vivantes des uniformes. Ceux qui s’enivrent avec la musique militaire ou avec les chansons versées au peuple comme des petits verres, les éblouis, les faibles d’esprit, les fétichistes, les sauvages.

Ceux qui s’enfoncent dans le passé, et qui n’ont que le mot d’autrefois à la bouche, les traditionalistes pour lesquels un abus a force de loi parce qu’il s’est éternisé, et qui aspirent à être guidés par les morts, et qui s’efforcent de soumettre l’avenir et le progrès palpitant et passionné au règne des revenants et des contes de nourrice.

Il y a avec eux tous les prêtres, qui cherchent à vous exciter et à vous endormir, pour que rien ne change, avec la morphine de leur paradis. Il y a des avocats – économistes, historiens, est-ce que je sais ! – qui vous embrouillent de phrases théoriques, qui proclament l’antagonisme des races nationales entre elles, alors que chaque nation moderne n’a qu’une unité géographique arbitraire dans les lignes abstraites de ses frontières, et est peuplée d’un artificiel amalgame de races ; et qui, généalogistes véreux, fabriquent, aux ambitions de conquête et de dépouillement, de faux certificats philosophiques et d’imaginaires titres de noblesse. La courte vue est la maladie de l’esprit humain. Les savants sont en bien des cas des espèces d’ignorants qui perdent de vue la simplicité des choses et l’éteignent et la noircissent avec des formules et des détails. On apprend dans les livres les petites choses, non les grandes. (pp. 373-374)
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On est des machines à oublier. Les hommes, c'est des choses qui pensent un peu, et qui, surtout, oublient. [...]
-Ah ! si on se rappelait ! s'écria l'un.
-Si on s'rappelait, dit l'autre, y aurait plus d'guerre !
Un troisième ajouta magnifiquement :
-Oui, si on s'rappelait, la guerre serait moins inutile qu'elle ne l'est.
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- Oui, dit Bertrand. Il y a des moments où le devoir et le danger c'est exactement la même chose. Quand le pays, quand la justice et la liberté sont en danger, ce n'est pas en se mettant à l'abri qu'on les défend.
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Honte à la gloire militaire, honte aux armées, honte au métier de soldat, qui change les hommes tour à tour en stupides victimes et en ignobles bourreaux.
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Quand nous les voyons, nous disons : " Ils sont morts tous les quatre. " Mais ils sont trop déformés pour que nous pensions vraiment : " Ce sont eux. " Et il faut se détourner de ces monstres immobiles pour éprouver le vide qu'ils laissent entre nous et les choses communes qui sont déchirées.
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Pauvres semblables, pauvres inconnus, c'est votre tour de donner ! Une autre fois, ce sera le nôtre. A nous demain, peut-être, de sentir les cieux éclater sur nos têtes ou la terre s'ouvrir sous nos pieds, d'être assaillis par l'armée prodigieuse des projectiles, et d'être balayés par des souffles d'ouragan cent mille fois plus forts que l'ouragan.
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Plus loin, on a transporté un cadavre dans un état tel qu'on a dû, pour ne pas le perdre en chemin, l'entasser dans un grillage de fil de fer qu'on a fixé ensuite aux deux extrémités d'un pieu.
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Le fait est qu'elle est fantastique, la route de chaque coté de laquelle deux armées se sont tapies et cramponnées, et sur qui se sont mêlés leur coups pendant un an et demi. Elle est la grande voie échevelée parcourue seulement par les balles et par des rangs et des files d'obus, qui l'ont sillonnée, soulevée, recouverte de la terre des champs, creusée et retournée jusqu'aux os. Elle semble un passage maudit, sans couleur, écorchée et vieille, sinistre et grandiose à voir.
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On voyait que cette idée les tourmentait : qu'essayer de vivre sa vie sur la terre et d'être heureux, ce n'est pas seulement un droit, mais un devoir – et même un idéal et une vertu ; que la vie sociale n'est faite que pour donner plus de facilité à chaque vie intérieure.
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Ils se cachent à tous après s’être appelés ; ils roulent dans les ténèbres comme dans des draps ou des linceuls ; ils s’emprisonnent ; ils détestent et fuient le jour ainsi qu’un châtiment d’honnêteté et de paix. « Si on savait ! » ont-ils crié, pleuré et ri ; ils se glorifient de leur solitude, ils s’en flagellent, ils s’en caressent. Ils sont jetés hors la loi, hors la nature, hors la vie normale faite de sacrifice et de néant. Ils tâchent de se joindre ; leurs fronts de marbre s’entrechoquent. Chacun est occupé de son corps, chacun se sent étreindre un corps sans pensée. Oh ! qu’importe le sexe de leurs mains cherchant à tâtons la volupté dormante, de leurs deux bouches qui se saisissent, de leurs deux coeurs si aveugles et si muets.
Tous les amants du monde sont pareils : ils s’éprennent par hasard ; ils se voient et sont attachés l’un à l’autre par les traits de leurs figures ; ils s’illuminent l’un l’autre par l’âpre préférence qui est comparable à la folie ; ils affirment la réalité des illusions ; ils changent pendant un moment le mensonge en vérité.
Et, à ce moment, j’ai entendu quelques mots déchirés de leurs confidences :
– Tu es à moi, tu es à moi. Je te possède, je te prends…
– Oui, je suis à toi !…
Voici l’amour tout entier, le voici près de moi qui m’envoie à la figure, comme un encens, avec son va-et-vient, l’odeur et la chaleur de la vie, et qui accomplit son labeur de démence et de stérilité.
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On se demandera, dit l'un: "Après tout, pourquoi faire la guerre?" Pourquoi, on n'en sait rien ; mais pour qui, on peut le dire. On sera bien forcé de voir que si chaque nation apporte à l'idole de la guerre la chair fraîche de quinze cents jeunes gens à déchirer chaque jour, c'est pour le plaisir de quelques meneurs qu'on pourrait compter ; que les peuples entiers vont à la boucherie, rangés en troupeaux d'armées, pour qu'une caste galonnée d'or écrive ses noms de princes dans l'histoire ; pour que des gens dorés aussi, qui font partie de la même gradaille, brassent plus d'affaires - pour des questions de personnes et des questions de boutiques. Et on verra, dès qu'on ouvrira les yeux, que les séparations qui sont entre les hommes ne sont pas celles qu'on croit, et que celles qu'on croit ne sont pas.
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- Ça va recommencer comme l'année dernière !... Les mouches à l'extérieur, les poux à l'intérieur...
- Et les microbes encore plus à l'intérieur.
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Il y a dans la terre beaucoup plus de morts qu’il n’y a de vivants à sa surface ; et nous, nous avons beaucoup plus de mort que de vie.
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Il faut vouloir la révolution puisque c’est un bien, et que d’ailleurs le régime social actuel n’est plus viable. Elle se préparera par la diffusion des idées justes, par la vulgarisation des faits réels, par l’explication, par la vérité. Elle naîtra dans les choses comme sa nécessité est déjà née dans les pensées claires. Elle s’imposera pour toujours, non pas quand nous le voudrons, mais quand nous l’aurons voulu. Mais, latente ou réalisée, elle n’a été et ne sera jamais que le cri et que la puissance de la pensée.
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L'idée de propriété personnelle s'atrophiera d'elle-même au profit de l'idée de propriété harmonieuse.
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Ne l'oubliez pas, il s'agit – et il ne doit s'agir – de rien d'autre que d'une science appliquée, et il ne peut y avoir des espèces disparates de lois scientifiques relatives à un même ordre de phénomènes.
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