Citations de Edgar Hilsenrath (401)
Il m'aidait pour les devoirs, il m'entrainait au calcul mental et m'expliquait pourquoi il faut une majuscule après le point: parce qu'un point, ce n'est pas une virgule, le point, c'est la fin, et celui qui veut rebondir après la fin ferait mieux de voir les choses en grand. Car qui a envie de commencer petit?
« Alors, Monsieur Bronsky », dit le fondé de pouvoir Steinberg, « qu’en dites-vous ?» Il me montre le journal de la veille. « Croyez-vous vraiment qu’on aboutira à l’armistice en Corée ? »
« J’y croirai une fois que ce sera fait », je dis.
« Au fait, qu’en dit Staline ? », demande Goldberg, le joailler à moitié aveugle.
« Staline est mort il y a quelques mois déjà », dit le fondé de pouvoir Steinberg, « le 5 mars 1953. Vous n’étiez pas au courant, Monsieur Goldberg ? »
« Non. Je n’étais pas au courant. »
« Vous vivez dans quel monde ? Sur la lune ? »
« Je ne lis pas les journaux, parce que je n’y vois pas bien. »
« Mais nous en avons déjà parlé. »
« J’ai dû oublier. »
« Ce qui m’inquiète le plus », dit le fondé de pouvoir Steinberg, « ce n’est pas tant la guerre de Corée, mais cette peur exagérée du communisme ici, chez nous, en Amérique. »
« Les Américains sont tout à fait inaptes au communisme », dit le germaniste Rosenberg.
– N'ayez pas peur, dit le gardien. Le nouveau parti n'a pas d'Hitler à sa tête, Hitler est mort.
– Son esprit est vivant et il occupe bien des têtes.
p. 214 L’homme est une créature dotée d’imagination, ou devrait l’être contrairement à l’animal qui est dépourvu. La force de l’amour donne des ailes à l’imagination et elle et capable de transfigurer toute chose terrestre jusqu’un doigt ne soit plus un doigt, une langue plus une langue, des orteils plus des orteils, un nez plus un nez, un pénis plus un pénis (…) et ainsi de suite.
RFB : Croyez-vous que les Allemands ont changé ?
Lesche : Les Allemands me traitent aussi délicatement qu'un œuf. La plupart se montrent exagérément aimables dès qu'ils apprennent que je suis juif. J'ai l'impression qu'ils se sentent tous coupables. Les plus jeunes me font particulièrement peur, disons la génération des petits-enfants. Ils semblent particulièrement réceptifs aux idées de droite. Et en fin de compte, ces jeunes sont l'avenir.
- À quoi je pense ? Je pense qu'il n'y avait pas que des Juifs parmi les victimes d'Hitler, parce qu'au fond, il haïssait tout le monde. Mais je pense aussi à mon vieil ulcère à l'estomac qui s'est rouvert aux dernières élections.
- C'est bizarre.
- Le résultat des élections ! Ils sont de retour et ils font parler d'eux.
- Je déteste l'Amérique comme je déteste les nazis, bien que ce ne soit pas une bonne comparaison, dit Lesche. Je crois que les nazis m'ont refusé le droit à l'existence parce que j'étais juif. En Amérique, le droit à l'existence m'a été refusé parce que je n'avais pas de succès.
Frau Lehrscher dit encore beaucoup de choses positives sur les Juifs, mais Lesche avait l'impression que rien n'était sincère et qu'au fond, elle était restée antisémite : nazi un jour, nazi toujours. Peut-être n'avait-elle fait que suivre l'air du temps en devenant philosémite après la guerre - ce qui n'était en fait que de l'antisémitisme inversé.
- Dès 1929, après avoir vu Adolf Hitler au Palais des Sports, j'étais comme étourdie par le rayonnement de cet homme. Lorsque Hitler est venu au pouvoir en 1933, je me trouvais dans la foule en liesse dans les rues de Berlin, et quand les SA ont défilé avec leurs flambeaux, je criais "Sieg Heil" à pleins poumons. Aujourd'hui, je ne puis que secouer la tête en pensant à quel point nous étions tous aveugles à l'époque.
Et puis il y avait eu l'histoire du fouet. Anneliese lui avait avoué qu'elle ne pouvait jouir qu'après avoir été fouettée par un homme. Son autre amant le faisait. Mais lorsque Anneliese demanda à Lesche d'essayer, il sut qu'il devait rompre, car rien ne lui répugnait plus que le sadisme.
Elle est belle, mais ce n’est pas une jeunette. Je suis tombé amoureux d’elle quand j’avais neuf ans, en Pologne. Nous avons été séparés, mais je lui suis resté fidèle toute ma vie.
J’ai dansé avec une femme d’environ soixante-cinq ans. Je me suis dit: Un trou, c’est un trou. Dans le besoin, même le diable bouffe des mouches. Et si jamais tu devais coucher avec elle ce soir, dis-lui de ne pas enlever son dentier. Tu vas y arriver. Tu vas bander, sûr. Tu en as tellement besoin. Nom d’un chien.
Les gares sont la porte qui ouvre sur le monde, dit l'épouvantail. On y arrive de loin. Mais les gens en partent aussi, et certains reviennent, d'autres ne reviennent jamais. (P. 304)
Seuls les morts sont incapables d’aimer.
Une rue étrange. Tandis que partout ailleurs la ville n’était plus que décombres et désolation, ici la vie continuait de battre son plein comme si de rien n’était. Il y avait des gens qui, rien que pour cette raison, quittaient leurs ruelles silencieuses et désertes pour venir ici réentendre les bruits d’une rue passante, les bruits familiers qui n’étaient pas encore totalement tombés dans l’oubli. Certains venaient aussi pour une autre raison : la rue avait un nom. Et tant qu’il y avait des symboles, il y avait de l’espoir. Preuve que la guerre n’avait pas encore tout effacé.
La rue était déserte. La pluie et le crépuscule avaient chassé les gens... À moins que ce ne fût la peur? Sûrement la peur, pensa-t-il. Le rictus disparut aussi vite qu'il était apparu, ses lèvres se refermèrent et son visage se durcit.
J'étais fasciné par le pas cadencé des bottes de soldats, j'ignorais que le monde pût compter autant de bottes. p29
Je m'imagine que je suis retourné en Allemagne, bien que je n'ai pas oublié.
[...]
Le secrétaire général de l'association Crime et Châtiment, qui avait une tête de nazi sans uniforme, pleura lorsqu'il me vit.
« Nous sommes heureux, Monsieur Bronsky, que vous soyez revenu parmi nous. »
« J'en suis flatté. »
« L’Amérique ne vous a pas plu ? »
« Non. »
« Voulez-vous rester ici ? »
« Oui. »
« Avez-vous oublié les six millions ? »
« Non. »
[..]
« Puis, j'aime lire aussi », dis-je, « Je pourrais aller en bibliothèque, mais je préférerais posséder les livres. »
« Cela ne nous pose pas de problème non plus. Donnez-nous la liste des livres de votre choix et nous vous les enverrons."
« J'ai besoin de femmes aussi », dis-je, « Car en Amérique, c'était un gros problème. »
« Des femmes, nous en avons plus qu'il n'en faut », dit le secrétaire de l'association Crime et Châtiment, « Il s'agit de femmes d'anciens SS, mais nous avons aussi des femmes sans culpabilité personnelle mais qui croient à la culpabilité collective et souhaitent faire réparation au nom de nous tous. »
« J'en suis sincèrement ravi. »
- Si Lopp fait chier, dit Jacky-le-Surin, je lui fais sauter le caisson
- Taratata, dit Joey-le-Blafard. Nino Pepperoni a dit : « Ne touchez pas à un seul de ses cheveux ! »
- Quel job à la con, dit Jacky-le-Surin. Jamais eu à faire quelque chose d’aussi con.
- Il faut que ça ait l’air d’un cambriolage, dit Joey-le-Blafard.
- T’as le whisky ? demanda Jacky-le-Surin.
- Deux bouteilles, dit Joey-le-Blafard.
- Il faut que Lopp les boive, qu’il en écrase vingt-quatre heures d’affilée.
- Et s’il rechigne ?
- Il boira, crois-moi. Lopp fait tout ce qu’on lui demande quand on lui chatouille le bout du nez avec un flingue.
- T’as l’air bien au courant.
- Je suis bien au courant, dit Joey-le-Blafard. Demain, Lopp sera castré. Quand il aura fini de cuver l’affaire sera dans le sac.
- Quel sac ?
- Il se réveillera sans couilles, dit Joey-le-Blafard.
Jacky-le-Surin hocha la tête et dit : « J’ai déjà cuvé vingt-quatre heures d’affilée, mais je ne me suis encore jamais réveillé sans couilles ».
- Et la guerre, Mehmed Effendi, elle se présente comment ? demande le fils du cheikh.
- Elle se présente bien, dit le mendiant. La question est seulement de savoir pour qui.