Camille Goudeau a 30 ans et est bouquiniste. Elle signe son premier roman, "
Les chats éraflés » aux éditions Gallimard, dans lequel elle raconte l'histoire d'une jeune fille de 22 ans pleine d'énergie qui décide de changer de vie mais sans vraiment savoir ce qu'elle va faire.
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
Moi j’ai pas compris pourquoi les hommes recherchent toujours la plus jolie femme et la plus jeune, pendant que les femmes s’en foutent de sortir avec des hommes qui ressemblent à des poissons crevés.
J’arrive dans une petite boutique nommée L’Étoile Souvenirs, c’est un gros rectangle creux......
Les tours Eiffel sont de toutes les tailles et toutes les couleurs du monde, on trouve dans chaque recoin des cendriers de poche, miroirs de poche, accroches sac à main pour fixer à la table du bistrot, magnets, porte-clefs de tout et n’importe quoi, petits carnets pour écrire, sacs en tissu, dés à coudre, plaques en métal chat noir, marque-pages, T-shirts, macarons en plastique, fausses Jocondes, faux Van Gogh sans son oreille dans des petits cadres, bols pour le petit déjeuner, bavoirs tour Eiffel, briquets en forme de Notre-Dame… c’est écœurant, je veux sortir d’ici.
Mais je consulte la liste que mon cousin m’a dictée et je passe ma commande au vieux monsieur chinois derrière le comptoir. La règle d’or selon Bokné : plus c’est moche plus ça se vend, « donc si tu vois deux ou trois nouveautés moches qui pourraient faire de l’effet et qu’il te reste un peu de sous, tente le coup ».
Le vide-grenier parisien n'est pas le même qu'à la campagne, il n'y a pas de pelouse, pas d'enfants qui courent partout, à Paris les enfants sont tenus à la main ou dans les bras, j'ai aperçu l'autre jour un enfant de quatre ans à peu près au bout d'une laisse, les parents se la passaient et tiraient dessus quand le môme faisait mine de s'éparpiller. La circulation du quartier n'est pas bloquée et ce n'est pas jour de fête, il n'y a pas de terrasses improvisées et moins de points de ravitaillement avec des frites et du pâté qu'en Touraine, d'ailleurs, il n'y a pas de pâté du tout.
J’observe les fausses Jocondes à accrocher à l’envers au mur du salon pour dire au monde qu’on est original, ou à l’endroit dans les toilettes parce que ce sont des toilettes et qu’on y met toujours la Joconde à l’endroit.
« Faire sa demande » sur les quais de Seine, ça veut dire postuler pour devenir un vrai bouquiniste. C’est comme une demande en mariage, c’est se lier à la vie à la mort aux trottoirs et aux livres, jurer fidélité à la caste des marginaux, des indépendants, des individualistes, des solitaires, des ensevelis sous la foule, de ceux qui paient cher la liberté. Bouquiniste, c’est devenir un élément du décor. Immuable.
Bokné a dit qu'un an ça me laisserait le temps de savoir si je veux faire ma demande. "Faire sa demande" sur les quais de Seine, ça veut dire postuler pour devenir un vrai bouquiniste. C'est comme une demande en mariage, c'est se lier à la vie à la mort aux trottoirs et aux livres, jurer fidélité à la caste des marginaux, des indépendants, des individualistes, des solitaires, des ensevelis sous la foule, de ceux qui paient cher la liberté. Bouquiniste, c'est devenu un élément du décor. Immuable. (p. 239)
Bouquiniste. Ce matin, dans le brouillard de mon esprit, très loin, pour la première fois, quelque chose s’allume.
Un monsieur me fait comprendre avec une touche de mépris que Julien Gracq il ne le veut pas n'importe comment, "avec les pages non coupées", il dit, je l'ai. Corti ça s'appelle. Le client m'explique que quand tu es en ville et que la nature te manque, tu peux lire du Gracq, d'après lui ce type-là savait comment t'envoyer en pleine forêt avec tout ce que ça implique pour tes sens en deux paragraphes. je voudrais bien lire Julien Gracq. Mais je viens de le lui vendre. (p. 85)
C'est difficile à expliquer comme on perd parfois l'image des autres tant elle est mêlée de fictions lorsqu'on est enfant. (p. 53)
Je ne comprends pas pourquoi ma mère encombre toujours le paysage sans que jamais je l'aperçoive. (p. 19)