Anna Bailey

Il était devenu très silencieux, leur père. Très silencieux, mais les veines de ses bras et de son cou grossissaient, hideuses, et tout à coup il s'était mis à pousser un hurlement.

On est en Avril, avant la disparition, et la neige se retire enfin en haut des flancs de la montagne, révélant des bancs d'ancolies d'un bleu intense et des plaques rêches d'herbe incolore. Les journées sont douces, mais une odeur âcre surnage dans l'air quand vient le soir, dérivant des profondeurs de la forêt tel un avertissement. Le pollen des pins sera dense cette année, tout le monde le dit. Ils font des stocks d'antihistaminiques et de décongestionnants comme s'ils se préparaient à une guerre bactériologique.

Abigail Blake a dix-sept ans et, comme toutes les filles de son âge, elle croit qu’elle vivra éternellement. Au fond d’elle, Emma le croit aussi, et c’est pour cette raison qu’elle laisse son amie là, à l’endroit où l’herbe piétinée cède la place aux arbres et qu’elle repart, dos voûté, jusqu’à sa voiture, derrière les Tall Bones. […]Emma ne se retourne pas. Si elle l’avait fait, elle aurait pu voir Abigail hésiter, la main tendue, comme si peut-être, en fin de compte, elle ne s’était pas vraiment attendue à ce qu’Emma s’en aille

La loi de cet État protège le droit d’un homme à punir ses enfants comme il l’entend.

"Tu crois que c'est comme ça qu'on répare le monde ? dit-il. Tout le monde se met en colère et reste en colère ? Je sais qu'on a tous le fantasme de dire aux gens qui nous ont souffrir à quel point ils nous ont fait souffrir, mais la plupart du temps, ils ne le regrettent même pas, alors c'est quoi, la solution ? Tu comptes juste rester en rogne pour le restant de tes jours ?

- Bah, tu vois le genre, Boulder, quoi. J'ai essayé de commander un muffin, non seulement y avait pas de gluten dedans, mais y avait pas de sucre non plus. Un muffin sans sucre. Comme si le monde était pas suffisamment décevant comme ça.