Citations sur J'ai tant vu le soleil (18)
Il y a du plaisir à reprendre ses vieux livres. On renoue avec des amis d'enfance.
Il [stendhal ] m'en apprend évidemment beaucoup sur les époques qu'il a connues et auxquelles je m'intéresse, la Révolution, Napoléon, les monarchies "à deux chambres", comme il le disait lui-même. Sur la société, ses codes, les hommes, l'ambition, la vanité, la réussite, sur l'argent qui vous change.
il m'en dit plus encore parce qu'il est un formidable spécimen de notre humanité, de ceux qui se sont regardés dans la glace et y vont tant de reflets qu'ils se sont tour à tour aimés et détestés, de ceux qui ont osé dire des choses qu'on ose à peine s'avouer. (p. 20)
L'hiver, on lit, l'été on relit ce qu'on a aimé autrefois. Parfois cela tourne court, le plus souvent, le plaisir qu'on a éprouvé à la lecture de certains auteurs est comme décuplé, vingt ou trente ans plus tard. Donc , je relis Stendhal. Pas seulement ses romans, mais ses lettres, son journal, La Vie de Henri Brulard, Les Souvenirs d'égotisme. (...) Il y a du plaisir à reprendre ses vieux livres. On renoue avec des amis d'enfance. (p. 13)
Le prestige français est tel en Europe à l'époque de la domination napoléonienne qu'il s'y laisse presque prendre. L'ami de Germaine de Staël, Prosper de Barante, qui occupait à peu près les mêmes fonctions [que Stendhal ] à l'autre bout de l'Allemagne, le dit très bien : " C'était alors une position en Europe que d'être français et c'en était une grande que de représenter l'Empereur quelque part [...] (p. 65)
Beyle n'est pas tombé avec l'Empire en 1814. Au contraire, la chute de Napoléon a été sa chance. Napoléon quitte la scène et Stendhal y entre en tapinois. Peut-être n'aurait-il jamais été l'écrivain qu'il a été si Napoléon était mort sur son trône en 1835;
Le 20 juillet 1814, Beyle s'en va, il s'en va tout seul, silencieusement, sans angoisse ni chagrin, comme délivré. Il quitte Paris pour Milan. Il y restera sept ans. Comme Stefan Zweig à Salsbourg, en 1931, il ne veut pas "pactiser avec ces gens". Il ne sera pas un "coquin". [...] Un homme libre. Son exil milanais de sept ans n'en sera pas un. C'est à Paris qu'il se sentait en exil. (p. 92)
Dans l'une de ses lettres à sa soeur Pauline, il raconte une conversation entre jeunes gens, tous heureux, aimables et riches. Quel ennui ! Personne n'ose rien se permettre qui ne soit avoué par les convenances, on joue les sentiments et on finit par ne dire que des choses parfaitement communes. Il n'y a d'intéressant que ce qui est extraordinaire. " En rapprochant la digue de la source du torrent, elle l'empêche de couler." (p. 82)
Nota Bene
(...) j'envie les romanciers. Ils n'ont besoin de rien pour voyager. L'historien est à la tortue ce que le poète est au faon. Il porte sa maison sur son dos et n'a pas la démarche légère. Je l'ai donc écrit par surprise, en maraudeur. J'étais animé à ce moment-là de cet "état de grâce" particulier, de cette disposition passagère à la légèreté et au bonheur sans laquelle on ne peut aimer Henri Beyle. Je l'ai écrit parce que je le lis depuis trente ans. (p. 11)
Avec lui, la vie est ailleurs." Je préfère le plaisir d'écrire des folies à celui de porter un habit brodé à 800 francs". Les héros stendhaliens ont en commun d'avoir tous rêvé le monde plutôt que de l'avoir vécu. C'est en cela qu'ils sont un peu révolutionnaires. (p. 17)
Il disait drôlement en parlant de ses livres: « Je mets un billet à la loterie dont le gros lot se réduit à ceci: être lu en 1935. » Ou encore: « S’il y a succès, je cours la chance d’être lu en 1900 par les âmes que j’aime. » Il écrivait comme on prendrait une assurance sur la mort. Il savait bien qu’il survivrait à tous ceux qui autour de lui ne firent de leur vie qu’une carrière et une ambition. Ses livres veillent sur lui comme ceux de Bergotte, le jour de son enterrement, dans la Recherche du petit Marcel.
Personne ne meurt jamais dans les paradis enchantés de l’imaginaire.
Son expérience de la Russie est le point d'orgue d'une longue suite d'hésitations, de désirs contradictoires qui l'ont occupé une bonne partie de sa vie. On cherche le bonheur parmi les hommes et en même temps on éprouve le désir impérieux de vivre sans eux parce que, précisément, on doute que le bonheur puisse jamais exister. On disparaît pour mieux se reconnaître. On s'invente un autre. C'est peut-être ça, la littérature. (p. 77)