Lionel Duroy,
Christine Angot ont balancé. Ils sont cités dans cet ouvrage. Pascal jardin,
Yann Moix et d'autres encore sans aucun doute ont livré leur tourmenteur au verdict des lecteurs. Verdict en forme de vindicte. Avec les conséquences que l'on sait. Qu'attendent ces auteurs de ce genre de diatribe offerte au voyeurisme du consommateur impénitent de pareille littérature que je viens d'être en refermant cet ouvrage. Qu'attendent-ils à me convier autour du lavoir à linge sale ? Une libération ou un succès littéraire ? Une libération sans doute d'autant plus accomplie que le succès en librairie sera au rendez-vous ?
Il y a certes toujours à la base une souffrance, un traumatisme que la parole ne parviendrait pas à juguler. La parole pouvant être contredite dans l'instant et le déballage salvateur étouffé dans l'oeuf. Alors que l'écriture, lorsqu'elle a franchi l'obstacle du véto éditorial, qu'elle a donc trouvé sa perspective commerciale, grave la voix, le cri, la plainte, la colère dans l'esprit du lecteur compatissant. Les paroles s'envolent, les écrits restent. Pour un temps au moins. le temps se comptant en durée de rémanence, laquelle est proportionnelle à la qualité de l'écriture. Alors que tout a été dit depuis des siècles, c'est le style qui sauve une oeuvre et lui fait franchir les générations. Que vaut le style de
Rien ne s'oppose à la nuit ? Lui fera-t-il franchir les générations ?
Reste que dans les relations entre personnes, il y a les acteurs et les témoins immédiats. Et quand on publie, s'y ajoutent les témoins conviés : les lecteurs. Lecteurs dont on attend quoi ? En quoi l'inconnu que je suis participe à la rédemption d'une affaire familiale qui a tourné au drame ? En quoi ma connaissance des faits relatés est-elle une libération pour leur auteur, un apaisement de sa douleur ? Pareille lecture m'interroge sur sa finalité.
Alors pourquoi l'ai-je lu ? Parce que sur la couverture il était mentionné roman. le roman en sa qualité d'oeuvre d'imagination autorise toutes les fantasmagories et n'attend rien d'autre du lecteur que l'admiration d'une performance intellectuelle portée par un style. Un récit autobiographique attend autre chose du lecteur. Une prise de position, une compassion, un engagement, une condamnation, un enseignement pour que plus-jamais-ça.
Delphine de Vigan connaissait l'écueil de pareille entreprise à écrire sur elle et sa famille, sa mère en particulier. Elle justifie son acte dans le corps du texte : "J'écris ce livre parce que j'ai la force aujourd'hui de m'arrêter sur ce qui me traverse et parfois m'envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d'avoir peur qu'il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l'emprise d'une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra dans l'ombre."
On comprend surtout qu'elle écrit comme on se reproche toujours derrière un cercueil de n'avoir su dire au cher disparu à quel point on l'aimait et l'aime encore dans le souvenir. L'amour dans une famille se nourrit de gestes quotidiens, de présence silencieuse. Rarement de je t'aime papa, je t'aime maman comme les assène Tanguy à ses parents dans le film qui porte son nom. Une pudeur imbécile retient les paroles que l'écrit clamera haut et fort aussi longtemps que son support ne finira pas dans les flammes. Mais quand il est trop tard pour faire sa déclaration à l'être aimé, il faut alors un public pour en recevoir le témoignage. Sinon c'est un cri dans le désert.
J'ai donc été cette oreille dans le désert pour capter l'écho d'un cri d'amour qui y résonne encore et regrette mon impuissance à soulager une peine. Je reste sur ma faim d'un roman qui ne m'aurait pas impliqué au-delà du plaisir de lire et apprécier le talent de son auteur.