C'est l'histoire d'un gars, barbe et cheveux hirsutes, qui part à l'aventure dans le grand Nord. Une meute de chiens, un traineau, une chapka et quelques milliers de kilomètres à faire. Dans le froid. -55°C, de quoi supporter ses moufles. Mais le con, il a oublié les bouteilles de vodka. Quand je pense que c'est le premier geste de survie pour se dérider un peu la vie. Parce que le gars, il n'a pas l'air très souriant et se réchauffer à la vodka lui aurait certainement donné un plus ample sourire à son exploit sportif. En plus, les chiens connaissent la route, c'est tout droit, sauf si un élan passe dans les parages…
Le départ est donné dans le territoire du Yukon. Destination finale, la province du Québec et sa brasserie Unibroue. Tabarnak, j'ai hâte d'y arriver. Une course contre le temps, les secondes qui s'égrènent et les nuages qui défilent. Et puis des noms qui laissent rêveur l'aventurier du canapé que je suis : Saskatchewan, Manitoba… Il y a de quoi boire quelques pintes de whisky frelaté avec les indiens, les vrais ceux avec les plumes, le tomahawk et la blanche attachée au poteau central en guise d'offrandes aux dieux de la neige.
Mais voilà, ce gars que j'appellerai Nicolas V., préservant son patronyme pour ne pas le dénoncer trop fort, n'est jamais content. Il passe son temps à râler, à houspiller, à grognasser. Ce n'est pas un
loup, mais un vieux ours ronchon que l'on aurait pu croiser sur la banquise de
Churchill. Il râle quand il fait trop froid, il râle quand il fait trop chaud, il râle quand ses coéquipiers sont en retard, il râle parce que les indiens sont toujours en retard et n'ont pas la même notion du temps occidentaliste que lui. Bref il a passé les trois cents pages de son bouquin à être mécontent, de lui, des autres, du temps. Seuls ses chiens méritent le respect – et en cela il a raison. Mais bordel de merde, hostie de câlisse, prends-ton temps mec. Regarde autour de toi, la vie n'est pas belle là-bas. Regarde le soleil, regarde la banquise, regarde tes chiens, les
loups, le soleil. Bois une vodka et fais-moi pas chier avec tes emmerdes et ta galère. Après tout, c'est toi qui a voulu y aller, tabarnak !
Non mais c'est vrai ! Tabarnak, il m'a foutu en rogne. C'est le genre de type qui voit une belle blonde en train de pelleter en mini-jupe sa terrasse enneigée et à ne pas prendre le temps de lui proposer son aide. Au moins, moi je me serais arrêté pour la reluquer quelques minutes. Les beaux paysages, ça se mérite et faut prendre le temps de les observer, comme un vol de lagopèdes à queue blanche.
En plus, il a l'air de ne pas se rendre compte de la chance qu'il a à voyager aussi loin, dans cette blancheur si immaculée, loin de toute civilisation néfaste, juste quelques igloos désaffectés qui attendent le retour des trappeurs à la bonne saison. Imagine de boire un verre là-bas. S'asseoir nu sur cette neige blanche, regarder le soleil rougeoyer au fin fond de l'horizon et profiter de ce calme de ce silence, de ces lacs si tranquilles et si gelés. Quiet Lake. Rien que son nom me donne envie de poser mon cul dans un igloo et apprécier sa tranquillité, ce moment un peu zen complètement silencieux où je me retrouve avec soi-même et avec ses chiens.
Et pour dire qu'il m'a encore plus énervé, c'est que quand il s'énerve, même pas un putain de Tabarnak qui sort de sa bouche ou de sa plume. Il râle simplement, en restant à demi-poli. Alors que cela semble si jubilatoire de hurler aux
loups et au vent un gros TABARNAK en pissant sur la neige fraîche juste pour marquer son territoire et se sentir plus fort que les
loups ou les ours. L'aventure est belle, traverser d'Ouest en Est le Canada en flirtant avec le grand Nord, les étendues de glace, passer sur les premières traces de
Jack London du temps de la ruée vers l'or du Klondike et s'imaginer boire un verre en sa compagnie dans un bar délabré, l'âge d'or de la ruée vers l'or ayant vu son cours chuté depuis, faire un feu de camp seul au milieu du blanc juste pour tenir en respect la meute de
loup qui guette. Alors pourquoi en avoir voulu faire juste un exploit sportif et de fait ne pas prendre son temps de vivre à minima cette expérience, cet exploit qui réchauffe les coeurs même à -55°C ?
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L'Odyssée Blanche », tabarnak il ne ferait pas un peu froid aux couilles…