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Critique de MarcelineBodier


Ton frère est un livre absolument magnifique.⠀

C'est une mère qui s'adresse à son fils, Serge, qui n'a pas trois ans, pour lui parler de « son frère » de dix ans, Paul, autiste sévère. Cette mère, c'est l'autrice : elle n'en est pas à son premier livre, elle a publié de la fiction mêlée d'éléments tirés de son histoire familiale, et un témoignage avec un premier livre qui parlait de Paul, Un enfant sans histoire.⠀

Ton frère, c'est la lettre que Serge lira quand il sera grand, pour comprendre ce qu'il est encore trop petit pour comprendre ; et c'est aussi le livre que Paul ne lira jamais.⠀

C'est un témoignage : celui d'un quotidien pour lequel l'autrice trouve des trésors de mots qui nous font comprendre que quand elle dit que sa famille a été « essorée », l'image électroménagère que le terme fait surgir est la bonne. Ce témoignage anticipe les questions que posera Serge le moment venu : car pour l'instant, lorsque Paul est en crise, Serge insiste pour le rejoindre en disant « c'est Polo, c'est mon frère ! ».⠀

Mais c'est aussi une réflexion. Celle d'une femme qui est l'héritière d'une lignée venue du Vietnam, dont la famille a survécu à des horreurs, auprès desquelles devoir se faire discrète dans une société qui regarde de haut des immigrés transfuges de classe, ce n'est rien. Ce n'est rien ? Oui, mais un enfant comme Paul pulvérise toute velléité de discrétion : alors est-ce l'enfant que cette lignée attendait pour pouvoir enfin se défaire du carcan de la transmission intergénérationnelle de traumatismes que l'autrice décode très finement ? Pour pouvoir accueillir Serge sans lui faire porter le poids de ces traumatismes, mais en lui rappelant : « Il me semble que toi et Paul constituez tous deux à parts égales ce mélange qui nous offre aujourd'hui de tenir ensemble, de tenir debout, de tenir bon ». Paul et lui, et pas juste lui, et pas juste Paul.

Et ce livre est enfin un message qui nous concerne toutes et tous. Non, un enfant handicapé ne devrait jamais être considéré comme un malheur qui frappe une famille en permettant aux autres, au passage, de se féliciter de ne pas avoir été touchées. Nous sommes toutes et tous concernés, c'est une partie de notre commune humanité, et nous devons considérer qu'en prendre soin relève de la solidarité collective. « Paul est un révélateur du monde dans lequel nous vivons, mon Serge. Il m'a révélée à moi-même, comme il révèle à eux-mêmes tous ceux qui croisent son chemin, pour le meilleur et pour le pire ».⠀

Je suis pétrifiée d'admiration à l'idée que certaines familles trouvent des trésors de force pour faire face à l'arrivée d'un enfant qui balaye toutes les certitudes, dans un monde où il faut chercher l'aide qui est loin de venir spontanément et y consacrer toute son énergie. Je suis encore plus pétrifiée d'admiration à l'idée que ces familles trouvent aussi le temps de partager et de nous montrer que nous aussi, nous sommes tous concernés. Minh Tran Huy, à quelle source puisez-vous donc la force et le temps d'écrire ? Plus encore, d'écrire avec autant de finesse et de recul ?⠀

« On juge du degré de civilisation d'une société à la façon dont elle traite ses fous », m'a-t-on appris pendant mes études de psycho. Ses fous, ou disons, ceux qui « n'entrent pas dans les cases », dit Minh Tran Huy. Et pourtant... je lui laisse le merveilleux mot de la fin :⠀

« le monde n'aime pas Polo, mon Serge ; il le juge au pire monstrueux, au mieux pitoyable, méritant tout juste d'être parqué dans un coin avec ses semblables, ceux dont on ne peut rien faire, ceux qui ne sont littéralement bons à rien. Polo est improductif, donc inutile, de même que les vieillards, les malades, les démunis. de même que les nuages et les étoiles, la musique, l'art, la beauté, la poésie ».⠀

Minh : merci, tellement.⠀
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