Il y a quelques années, j'ai lu un livre sur le plan Fugu dont je n'avais vraiment jamais entendu parlé avant, livre publié aux éditions Pygmalion en 1980 : Histoire inconnue des juifs et des japonais pendant la seconde guerre mondiale. du plan Fugu il n'est pas question dans le témoignage de Yukiko Sugihara, mais des juifs et des japonais, oui.
On retrouve d'ailleurs la même photo de la famille Sugihara devant le consulat de Kaunas dans les deux ouvrages. La famille Sugihara a réussi miraculeusement à sauver des mains des autorités allemandes et russes quelques photos prises en Europe où elle séjourna de 1937 à 1947, date de son retour au Japon.
Yukiko épouse en 1935 Chiune Sugihara, reconnu au ministère des affaires étrangères où il travaille comme un expert de l'U.R.S.S.. Celui-ci a suivi un cursus de russe à l'Institut de Harbin (ville de Chine, où une communauté importante de russes blancs vit). Comme le permet de le comprendre le petit entretien qui clôt le livre, cet Institut a été créé par le ministère des affaires étrangères japonais en 1920. Les bases de cet institut étant une association russo-japonaise. Trois principes dit d'autonomie guident cet institut : 1 : ne pas être à la charge des autres. 2 : aider les autres. 3 : ne pas attendre des récompenses.
Si je me permets d'insister sur ce point, c'est parce que l'esprit de Sugihara, qu'on désigne aussi comme l' « Oskar Schindler nippon » est imprégné de ces principes. Aussi son choix de désobéir à son ministère et d'octroyer des visas aux juifs de Kaunas en été 1940, n'a en quelque sorte rien d'extraordinaire, « je n'ai fait que ce que doit faire un homme », disait-il.
Pendant un mois, en août 1940, Sugihara va rédiger des visas qui permettront à des réfugiés juifs de quitter l'Europe.
Ces juifs ont fui la Pologne qui vient d'être envahi par les allemands. Ils ont fui vers la Lituanie. Leur seule chance de survie, c'est de passer par l'Union soviétique et le Japon, puis de gagner un troisième pays, les Etats-Unis notamment. Pour cela il leur faut un visa.
Contre l'avis de son ministère, Sugihara, attaché au consulat de Kaunas, va délivrer ces visas. Pendant un mois, du soir au matin il rédige à la main ces indispensables documents, jusqu'à ce qu'il soit expulsé par les soviétiques qui viennent d'annexer le pays.
Le livre de Yukiko Sugihara ne se limite pas à raconter cette histoire, ni les honneurs que son époux a connus lorsque son geste a été enfin reconnu (il a même été « réhabilité » puisqu'à son retour au Japon en 1947 il a été mis à la porte de son ministère). Elle raconte simplement dix ans de vie diplomatique et familiale en Europe, de Finlande en Lituanie, puis Berlin, Prague, Königsberg et Bucarest. Elle s'attarde notamment sur la guerre en Roumanie où elle faillit perdre la vie. Puis lors de la reddition japonaise, l'internement, presqu'un an et demi, avant la libération et le retour au pays. Ce retour est assez amer, mais Sugihara trouvera à se reconvertir pour travailler dans les relations commerciales pendant quinze ans à Moscou jusqu'à sa retraite en 1975.
Yukiko Sugihara raconte chronologiquement cette vie en insérant quelques tankas (forme de poésie japonaise) à l'intérieur du texte. La fin du récit permet de voir les honneurs rendus à son époux, notamment par l'état d'Israel, ainsi que quelques récits de juifs sauvés en 1940 et qui ont retrouvé leur trace des décennies plus tard, ceux-ci ayant pour beaucoup conservé comme une relique le visa qui leur avait été donné.
Chiume Sugiharai meurt en 1986 à l'âge 86 ans. Ce témoignage a été rédigé par sa femme et publié en 1993.