J’ai longtemps rêvé des retrouvailles avec ma sœur.
Imaginé qu’elle m’appelait à l’improviste, qu’elle répondait enfin à mes
lettres. Ou que je la croisais dans la rue, qu’elle me souriait avec chaleur et que
nous nous précipitions dans la pâtisserie la plus proche pour nous gaver de
yatsuhashi, nos gâteaux préférés à la douce saveur de cannelle.
Comme avant.
Que les années, ces presque trente années de silence, avaient effacé ma faute.
Jamais je n’aurais pensé que nos retrouvailles auraient lieu au service
d’hématologie de l’hôpital central de Kyoto, alors que j’ouvre la porte de mon
bureau pour appeler le premier patient de la journée.
La nuit est tombée depuis longtemps et pourtant tout est blanc.
Blanc comme le sol tapissé de neige durcie dont les cristaux luisent de
manière surnaturelle.
Blanc comme l’épaisse fumée qui s’élance au-dessus des murailles pour
tourbillonner dans les airs.
Blanc comme les projecteurs exposant cruellement le bétail humain que les
Japonais rabattent à coups de cravache vers le centre de la cour.
Et surtout, Hiromi comprenait à présent pourquoi il était si facile de se procurer de l’opium au Mandchoukouo, pourvu qu’on eût quelque chose de valeur à échanger. L’opium était une politique d’État. Les autorités nippones avaient tout intérêt à abrutir les peuples occupés, étouffant ainsi toute velléité d’esprit critique en eux.
Nous investiguons ici les secrets les plus intimes du vivant.
À la place du chef suprême en tenue d’apparat, pro leur descendant direct de la déesse du soleil Amaterasu, elle ne voyait plus qu’un gnome surgi des enfers.
J’oublie cette révolte qui bouillonne en moi et qu hurle que je ne veux pas, que je ne veux plus de cette vie.
Reine de quelques heures, elle se laissait cajoler, réchauffer par l’amour qui irradiait de chacune des cellules de sa grand-mère.
Progressiste et avant-gardiste, ma sœur s’attachait à capturer le quotidien des laissés pour compte du miracle économique japonais. Bien sûr, elle avait pris fait et cause pour les burakumin. Ces équivalents des intouchables indiens continuaient de faire l’objet de toutes les discriminations possibles, malgré l’abolition officielle du système des castes à la fin du dix-neuvième siècle.