AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,36

sur 500 notes
5
25 avis
4
9 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Alexandre Soljénitsyne, avant qu'il ne devienne le grand auteur russe qu'il est devenu, a passé quelques années au goulag. Cette expérience l'a amené à écrire Une journée dans la vie d'Ivan Denisovitch, oui, mais aussi une autre oeuvre et c'est de ce pavé dont il sera question dans cette critique : L'archipel du goulag. Il ne s'agit pas d'un roman à proprement parler. On n'y suit pas une trame narrative unique. Plutôt, plusieurs histoires individuelles, un long fleuve de témoignanges, d'histoires. C'est l'histoire d'un père, d'un frère, d'un voisin, de n'importe qui. de tout le monde et de personne à la fois. D'une foule anonyme. du peuple russe. Car c'étaient rarement des criminels au sens où nous l'entendons, non. C'étaient des prisonniers politiques pour la plupart, des gens qui étaient jugés ennemis du régime en place, dangereux pour l'ordre communiste établi, c'est-à-dire des intellectuels qui étaient capables de jeter un regard critique sur les actions des dirigeants.

Ce pavé est divisé en plusieurs parties. Dans la première, « l'industrie pénitentiaire », l'auteur explique qui on arrêtait, pourquoi et comment. Il dresse l'état de la situation concernant les bagnes, fait des comparaisons avec l'époque tsariste, mentionne des lois, livre le nombre de victimes, etc. On y retrouve une quantité ahurissante de faits, de chiffres, de statistiques. Un peu long à la longue mais utile, je suppose, pour bien comprendre l'étendu du problème. Visiblement, Soljénitsyne s'est bien documenté. Et, s'il adopte un point de vue subjectif (peut-il en être autrement?), on le lui pardonne.

Étrangement, au début de son récit, je croyais que l'auteur avait été envoyé en Sibérie. Je croyais que c'était là-bas que tous les camps étaient situés. Mais non, de tels camps se trouvaient partout, et le goulag dont il est question ici se trouve au nord-ouest ! C'est en plein de la mer Blanche, sur une des îles de l'archipel Solovki. J'ai trouvé fascinante l'histoire de ces îles. Pas la partie goulag, quoique… Mais non, à la fin du Moyen-Âge, des moines y ont fondé un monastère réputé qui a grandement contribué à l'essor de cette partie de la Russie. Bon, en parralèlle à ma lecture de ce pavé, je me suis documenté sur cette région… Dans tous les cas, je trouve un peu dommage qu'un si beau lieu, avec une si belle histoire, ait été utilisé en tant que goulag, un si laide activité.

Pour revenir à la division du roman, les autres parties sont « le mouvement perpétuel », qui traite parfois long voyage (en train et dans des conditions difficiles) qui mène jusqu'au camp et « l'extermination », qui explique comment on se débarrassait des condamnés. le travail difficile, surhumain qui était exigé n'était parfois pas suffisant. Les gardes devaient se montrer imaginatifs et, surtout, brutaux. Heureusement, l'auteur a su y insérer plusieurs anecdotes qui rendent la lecture moins pénible. Que ce soit le sort réservé aux mouchards, les relations avec les leks (indigènes de l'ile), le quotidien tout simplement.

On continue avec « l'âme et les barbelés » et « le bagne ». Personnellement, je commençais un peu à m'ennuyer. Lire encore et encore sur le sort des pauvres bagnards devenait un peu répétitif, lassant et, surtout, lourd. Tourner les pages et ne découvrir que de nouvelles façons de rendre des gens misérables, ouf ! Toute cette lithanie de faits plus horribles les uns que les autres, qui finissaient par se ressembler ou, du moins, finir au même résultat, peu pour moi. Je n'avais qu'une envie, c'était de crier « Ça va, j'ai compris ! Les prisonniers vivent dans des conditions de vie plus que difficiles ! On passe à autre chose ! » Ceci dit, je n'ai pas pu m'arrêter de lire. Je devais savoir. Tout comme Soljénitsyne devait écrire. Il ne pouvait pas omettre une seule partie de cette pénible expérience.

Les dernières parties, « relégation » et « Staline n'est plus » ont réussi à me réintéresser à cette oeuvre. On y traite de la relocalisation des prisonniers politiques en Sibérie, une pratique historique, qui a contribué au peuplement de cette région de la Russie. Il traitait également de la façon dont la mort du grand dictateur a permis à l'information de mieux circuler. Les goulags, ce n'était qu'une rumeur (certains ont même cru qu'ils avaient été inventés par l'Ouest pour discréditer l'URSS) jusqu'à ce que les témoignages commencent à pleuvoir. Puis les faits et les statistiques ont été dévoilés petit à petit. Un long processus…

Bref, L'archipel du goulag est une brique d'informations d'une précision inouïe sur une page sombre de l'histoire de la Russie/URSS. C'est long, parfois pénible, mais toujours instructif. Quiconque aime l'histoire, ou ce pays ou même le régime soviétique y trouvera son compte.
Commenter  J’apprécie          803
Goulag est l'acronyme de l'administration d'Etat créée en Union Soviétique pour gérer les camps de travail forcé : Главное управление лагерей.
L'Archipel, ce sont les îles Solovki (dans la mer Blanche au nord-ouest de la Russie). Elles furent un lieu d'exil forcé d'opposants au Tsar dès le XVIIe siècle. Le régime soviétique y expédia et y soumit au travail obligatoire des millions de personnes. Ce fut un lieu de répression soviétique parmi tant d'autres (à l'image du célèbre territoire de la Kolyma des récits de Varlam Chalamov, souvent cité par Soljénitsyne).
'L'Archipel du Goulag' décrit et dénonce l'univers concentrationnaire soviétique de 1918 à 1956, cherchant à en expliquer la genèse et le mode de fonctionnement.

■ Première Partie : L'industrie pénitentiaire.

• "L'arrestation" (chapitre 1er) est le point de départ du parcours dans le Goulag. Soljénitsyne (1918-2008, Nobel de littérature en 1970) liste des variantes de l'exercice : de nuit, de jour, au domicile, au travail, dans la rue, lors d'une convocation au poste,… Généralement, la victime demande "moi ? pourquoi ?", et reste sans réponse. Les méthodes d'arrestation expliquent en partie l'étonnante passivité des personnes arrêtées. Lors de son arrestation en 1945, l'auteur guida lui-même les personnes venues le chercher vers la prison de la Loubianka ! Soljénitsyne fut libéré en 1953, après 8 ans purgés pour avoir critiqué la stratégie de Staline durant la seconde guerre mondiale (dans une lettre à un ami). Il fût à nouveau arrêté en février 1974, deux mois après la parution de cet ouvrage, cette fois pour être expulsé d'URSS.

• "Histoire de nos canalisations" (chapitre 2) : le terme Goulag est apparu dans les années 1930 mais les exécutions et les déportations commencèrent dès la guerre civile. Il s'agissait d'abord d'éliminer les opposants (non bolchevik), puis : les membres des "classes exploiteuses" (dont les "koulakisants"), les personnes pratiquant ou prônant une religion (dont les juifs dans les années 1950), celles dénoncées, des membres de nationalités, les "organisateurs de la famine" (famine dont Staline fût l'un des principaux responsables), des ingénieurs (dont les "plafonnistes" qui alertaient de la surcharge de trains par rapport aux capacités des infrastructures ferroviaires), les prétendus membres d'un inexistant Parti paysan du travail, ou encore le premier qui cesse d'applaudir un discours sur Staline… En résumé : n'importe qui pouvait être arrêté, chacun pouvant être un ennemi du peuple. L'article 58 du code pénal, ouvrait la porte à toutes les interprétations et devait conférer un vernis de légalité au processus. Un paroxysme fût atteint lors des grandes purges de Staline (procès de Moscou en 1936), mais assassinats et déportations de masse ne résultent pas de la seule paranoïa du dictateur ou de son "Egocratie". Dès 1917, Vladimir Illich Oulianov (Lénine) voulait « nettoyer la terre russe des tous les insectes nuisibles » (dont les ivrognes). Il ne s'agissait pas seulement d'assurer la survie d'un régime par la terreur mais aussi de fournir de la main d'oeuvre pour de grands travaux.

• "L'instruction" (chapitre 3) est toujours à charge contre le prévenu ; ses aveux ainsi que des témoignages contre d'autres sont activement recherchés. Tortures physiques et/ou morales sont de mise : le catalogue qu'en dresse Soljénitsyne est effrayant. Celui qui s'en sort en n'incriminant que lui-même peut partir la conscience tranquille.

• "Les liserés bleus" (chapitre 4) : La couleur bleu est l'insigne des personnes qui participaient à ce système. Quels furent leurs motivations ? Cupidité et soif de pouvoir constituent souvent les premiers mobiles, tandis que la défense d'idéaux n'est qu'un prétexte. Soljénitsyne se demande aussi ce qu'il aurait fait s'il avait été en position d'être à leur place : sa réponse est nuancée...

• "Première cellule - premier amour" (chapitre 5) : La vie en prison est régie par de nombreuses règles, implicites ou non, réglementaires ou pas (qu'importe, ici la raison de l'Administration est toujours le meilleure...). L'arrivée d'un nouveau dans la cellule est un événement : l'occasion pour les prisonniers d'avoir des nouvelles de l'extérieur et de découvrir un parcours. le nouveau venu doit éviter les confidences hâtives : le "mouton" (mouchard placé là incognito pour surveiller les autres) peut donner des éléments aux instructeurs du Goulag (contre le nouvel arrivant, ou contre d'autres personnes à inculper).

• "Ce printemps-là" (chapitre 6), celui de 1945, fut le printemps de la victoire contre les troupes allemandes. Une victoire du peuple, mais pas pour le peuple. Ce printemps-là aurait dû être celui de la libération, mais il marqua le passage d'un joug sous un autre, et pour les russes prisonniers des allemands, d'une prison à une autre.

• "La chambre des machines" (chapitre 7) : Voici quelques caractéristiques du système judiciaire à cette époque :
- la condamnation n'est pas une question de culpabilité mais une question de danger social,
- les articles du code pénal et la diversité de leurs interprétations permettait de condamner des personnes en raison de sa seule origine sociale (appartenance à un milieu social dangereux) ou pour ses relations avec un individu dangereux,
- toutes les étapes de la procédure se déroulent souvent en huis clos, sauf en cas de volonté politique de publiciser l'affaire.

• "La loi-enfant", "la loi devient adulte", et "la loi dans la force de l'âge " (chapitres 8, 9 et 10) : de grands procès publics, il y en eut en effet (Boukharine, Zinoviev…), dont on peut encore se souvenir. Mais la mémoire des individus et des peuples fonctionne en pointillés et les historiens doivent contribuer à éviter l'oubli. Ces chapitres reprennent et analysent quelques affaires dans un ordre chronologique et en les resituant dans leur contexte.

• "La mesure suprême" (chapitre 11), c'est la peine de mort. Utilisée ponctuellement sous certains tsar (et alors pas toujours judiciarisée), l'usage de l'exécution devint massif sous le régime soviétique (souvent par balle) puisqu'elle frappât alors plusieurs centaines de milliers de personnes.

• "Tiourzak : la réclusion" (chapitre 13) : ici l'auteur compare surtout les conditions de détention des prisonniers politique entre les périodes pré et post révolutionnaire. Sans surprise, la période soviétique est la plus cruelle.

■ Deuxième Partie : le mouvement perpétuel.

"Les vaisseaux de l'Archipel" représentent les moyens de transport vers les camps. Promiscuité, manque d'eau, et manque de nourriture, sont souvent du voyage. Des wagons spéciaux sont affrétés, appelés ironiquement "stolypine" (en référence à un ancien Premier Ministre de Nicolas II, assassiné en 1911 et qui alliait répression et mesures libérales, pour tuer dans l'oeuf les projets révolutionnaires). Pour les condamnés au titre de l'article 58 du code pénal, la rencontre avec les condamnés de droit commun est un choc. A la confrontation physique s'ajoute la compréhension de la moindre considération accordée au condamné politique par les autorités qu'à un délinquant/criminel, ainsi qu'un traitement plus sévère (« au moment de la fouille, d'être pris avec un couteau ne vous vaudra pas le même traitement qu'à un truand : entre les mains d'un truand, un couteau c'est une espièglerie, la tradition, un signe d'inconscience ; entre vos mains, c'est du terrorisme. » (…)). Gardiens et condamnés de droit commun s'entendent d'ailleurs souvent pour voler et réprimer les condamnés politiques ("possédez le moins de choses possibles pour ne pas avoir à trembler pour elles !" (…) "si vous donnez tout sans combattre l'humiliation empoisonnera votre coeur. Mais si vous résistez vous resterez pour tout bien avec la bouche sanglante" (…) que votre mémoire soit votre unique sac de voyage").
___

Mon avis :
Cet ouvrage a marqué un tournant dans la connaissance à l'étranger du fonctionnement de la société et de l'économie soviétique jusqu'à l'assouplissement de son appareil coercitif après le « Rapport sur le culte de la personnalité » (dit « Rapport Krouchtchev », présenté en février 1956 aux seuls délégués du XXe congrès du Parti Communiste d'Union soviétique). A la fin de l'année 1973, ce livre venant d'arriver en France, Bernard Pivot lui consacra une émission dans « Ouvrez les guillemets ». Une partie de la gauche française, en particulier le Parti Communiste Français, dénigra l'auteur et son ouvrage, avec une mauvaise foi qui caractérisa ce parti politique jusqu'à la chute du mur de Berlin dès qu'il s'agissait d'observer la situation à l'est du continent (et encore plus longtemps ailleurs, s'agissant du régime castriste ; André Glucksman - adhérent du PC dans les années 50 mais défenseur des dissidents dans les années 70 - évoque à ce sujet un phénomène « d'auto-conviction, d'auto-intoxication »…).
Il est vrai qu'il est difficile de vérifier des chiffres avancés par Soljénytsine (il l'admet d'ailleurs, faute de sources). Ses fréquentes comparaisons entre régimes soviétique et tsaristes prennent parfois l'allure d'une défense de ces derniers ; ces comparaisons sont rétrospectivement possibles, mais pas nécessairement constructives. La description des dérives de l'après révolution se suffit.
La dénonciation par Soljénytsine du système soviétique de répression et d'exploitation de la main d'oeuvre est convaincante, avec des témoignages directs ou indirects très révélateurs. Ce livre présente un intérêt particulier pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Russie. Je recommande aussi à tous ceux qui se revendiquent révolutionnaires. En effet, des leçons sont à tirer de cette expérience, malheureusement pas tout à fait unique. Pour produire des résultats favorables à l'intérêt général, la suppression d'un système politique et de ses institutions nécessite un projet politique cohérent et en phase avec la maturité des sociétés concernées. En d'autres termes, ceux qui promettent de renverser la table ne doivent pas nous écraser tous dessous…

Pour poursuivre la réflexion sur ce thème, je recommande aussi l'oeuvre d'Arthur Koestler : 'Le zéro et l'infini' (sur les procès de Staline), 'Spartacus', ainsi que ses essais historiques ('Le Yogi et le Commissaire'…).
Cet auteur - communiste de la première heure, ensuite repenti - s'interroge sur l'équilibre entre la fin (une société meilleure) et les moyens (ceux à mettre en oeuvre pour préserver des idéaux révolutionnaires).
Commenter  J’apprécie          291
Une lecture intéressante et éprouvante à la fois.

On croit savoir mais dans le détail des exemples et des explications, on ignore tout et on reste stupéfait et horrifié. Je n'ai d'ailleurs pas pu lire ce livre d'une traite. J'avais besoin de pauses, de respirations, de me plonger dans d'autres lectures moins lourdes pour parvenir à continuer celle-ci.

L'écriture n'est pas en cause, uniquement le sujet développé sur plusieurs centaines de pages. Je reste fascinée par la masse d'informations recueillies. Certains passages furent émotionnent pénibles. J'ai dû m'accrocher.

Mais je ne regrette pas une seconde de m'être plongée dans ce texte dense qui fourmille de détails, un texte historique sur la Russie et l'exercice du pouvoir, de la politique, de la peur, de l'arbitraire et de l'esclavagisme au 20ème siècle. Et bien sûr, sur le fonctionnement du Goulag et l'organisation des camps. Les témoignages sont nombreux, tout comme les chiffres qui donnent le tournis. On a peine à y croire, et pourtant.

Oui, et pourtant on sait que tout cela a eu lieu, que tout cela est vrai et que d'une certaine façon, cela se poursuit. Cette lecture ne laisse pas indemne.
Commenter  J’apprécie          240
Après avoir lu bon nombre de pourfendeurs du capitalisme débridé et de son avatar théorique, le libéralisme. Il me faut découvrir le modèle qui s'est voulu alternatif, le cimetière des espérances, le nouveau Vatican de tout un siècle. Un pèlerinage obligatoire je suppose, pour voir comment le rêve du paradis des ouvriers s'est transformé en enfer glacial sibérien. L'URSS, ce si beau pays, un succès industriel, politique, militaire... En France et dans le monde, bien des intellectuels ont chanté ses louanges. Des louanges un peu trop belles...

C'est un travail à la fois romanesque mais aussi journalistique que nous fournit Soljenitsyne, un travail méthodique, classifié en 7 parties, somme de 227 témoignages.. Tout commence par l'arrestation, tout un art que celui ci, puis le procès, moment fatidique, une industrie judiciaire bien rodé, n'espérait pas de la loi une quelconque aide, ensuite, le trajet, tout un monde ces liens entre les archipels, et enfin, la nation zek, l'archipel en lui même, le début du cauchemar.

Mais cet ouvrage est une fresque bien plus imposante, elle souhaite étudier dans sa globalité l'arbitraire du régime soviétique. Des débuts répressifs des victorieux de la guerre civile russe, puis, l'ère stalinienne, summum d'un l'univers concentrationnaire sans limite et qui se termine par l'ère réformiste (mais pas trop...) de Khrouchtchev. La fresque va même plus loin dans le temps, elle voyage même dans la Russie tsariste, elle retrace tout un univers judiciaire, politique et géographique...

Une fresque briseuse d'illusion.. Au régime des Soviets, vous n'êtes pas coupable de l'acte commis mais coupable de la probabilité que vous avez de la commettre. Magnifiques, magistrales que ces folles interprétations marxistes, il faut renforcer l'état pour qu'il dépérisse, les criminels de droit commun sont des victimes du capitalisme mais pour nous, ils sont "socialement proche", des alliés du monde ouvrier, il faut que chaque homme aime son mortel travail forcé et sa bien faible ration, il faut rééduquer culturellement... enfin plutôt éduquer durement, etc et etc..

Et comme toujours, il y a ceux qui triment à en crever et ceux qui profitent. Les gardiens des camps, les organes(MVD, Tchéka, NKVD...), l'intelligentsia des bien-pensants, la nouvelle aristocratie russe... Paresseux, despotique, arrogant, cupide, les détenus sont pour eux des esclaves personnels, femmes et peintres sont très prisés... Il y a aussi les petits préférés, les planqués, les informateurs, les socialement proches, les bien-pensants condamnés (au cas où je sois le prochain..). L'archipel est devenu une immense mosaïque, une féodalité de petits chefs et de cité esclavagiste.

Mais à quoi sert toute cette pieuvre, ce grand retour en arrière, cela sert bien évidemment le futur, la société sans classe, une industrialisation à marche forcée pour rattraper l'Occident. La France s'est industrialisée en 20 ans, eh bah nous, ça sera en 10... Des plans quinquennaux inapplicable, une russification totale, nation agraire, c'était avant, maintenant, c'est société INDUSTRIELLE. Un bond dans l'avenir avec les moyens du passé... succès garanti:

Le prix, des millions de morts dans l'hiver glacial, souvent innocent, aucune entraide, aucun sentiment positif dans ces camps, une faim constante, un climat de peur et de méfiance total. Pour survivre, il faut collaborer, trahir, ruser... Sinon, c'est la mort par le travail qui vous attend. Puis la libération, la plupart préfèrent oublier, c'est du passé tout ca, une autre époque... Mais Soljenitsyne n'a, lui, rien oublié de cet univers concentrationnaire.

Il y a quand même certaines choses qui m'ont dérangé, la réhabilitation du régime tsariste, aucune mention des tendances criminelles, idem pour Vlassov et la collaboration, aucune mention des juifs, tziganes livrés par eux... Enfin, il ne fait pas une bonne presse à Khrouchtchev, il décrit la période poststalinienne comme étant pire ou du pareil au même, ce qui est factuellement faux. Les chiffres sont aussi problématiques...

Mais j'abrège et termine au vu de la longueur, c'est une épopée concentrationnaire au coeur des rouages du système stalinien qui vous tiendra bien au froid, pendant un certain temps, avec vos amis communistes. Jamais ennuyante mais palpitante, elle ne l'est que peu. C'est une description d'une horreur qui n'aurait pas dû exister. Soljenitsyne n'a pas pu s'empêcher de l'écrire, si vous le commencer, il y a de forte probabilité que vous ne pourrez pas vous empêcher de le terminer, car la vérité ne peut pas être lu qu'à moitié.
Commenter  J’apprécie          204
"L'Archipel du Goulag" est à la mesure de l'immensité russe. L'entreprise de restitution et de témoignage du système concentrationnaire soviétique réalisé par Soljenitsyne est phénoménale. Plus que sa qualité littéraire, c'est cette démesure, cette obstination à ne pas laisser la moindre parcelle d'injustice et d'atrocité tomber à jamais dans le néant qui fait de cet ensemble (même en édition abrégée) un document historique et littéraire inoubliable.
Dans une veine satirique et ironique faisant écho au style tranchant et moqueur d'Albert Londres, Soljenitsyne dévoile l'absurdité d'un système uniquement basé sur une croyance, celle de la Vérité du communisme, seule capable de faire régner prospérité, ordre, justice et paix dans le monde. Mais si les principes marxistes sont louables, comme le sont ceux des Évangiles, le problème réside dans l'incapacité des sociétés humaines à les appliquer. Les dogmes n'étant jamais universels, ils produisent inévitablement exclusion et intolérance. Soljenitsyne a d'ailleurs tendance à ne pas comprendre la ferveur bornée des communistes les plus radicaux tout en trouvant naturelle et morale celle des chrétiens orthodoxes.
Enfin, lire L' Archipel aujourd'hui, alors que le tyran Poutine envoie son plus célèbre opposant, Navalny, dans une prison secrète comme pour l'effacer de la carte, nous avons l'impression que l'histoire se rejoue, certes à une bien moindre échelle, et que le temps des peines arbitraires revient comme une peste toujours ardente.
Commenter  J’apprécie          163
Relecture du chapitre 11 « Les bien-pensants », pour un complément d'éclairage sur les Essais sur le monde du crime de Chalamov. Chalamov opposait les truands (article 35) et les caves (article 58). Soljenitsyne oppose les bien-pensants et les autres. Il reprend d'Anna Skripnikova le critère du détenu politique : « Le détenu politique est celui qui a des convictions dont la répudiation pourrait lui valoir de la liberté. Ceux qui ne possèdent pas de pareilles convictions sont de la racaille politique ». Soljenitsyne interroge aussitôt : « Où sont donc les convictions qu'on les incite à répudier ? », question qui ramène à l'amont de la condamnation. Les bien-pensants — par conviction et par calcul — restent fidèles à la pensée totalitaire. Avant leur relégation au Goulag, ils ont approuvé la coresponsabilité, et donc la complicité, des orthodoxes : « Plus on coffrera, plus vite, dans les hautes sphères, on comprendra l'erreur ! donc : s'efforcer de citer le plus de noms possible ! de faire le plus possible de dépositions fantastiques contre des innocents ! » « Chaque arrestation d'un membre du Comité central doit avoir la sanction de tous les autres membres ! Telle avait été l'invention du tigre badin » (p 250). Leur principe est de refuser le combat, ce qui se décline en cinq attitudes de collaboration : A) Respecter au camp l'esprit du régime ; B) Témoigner du respect aux autorités du camp ; C) Approuver le travail forcé, avec une exception en leur faveur : « Eux-mêmes, ce serait une erreur de les utiliser au travail général du camp, car dans ce cas il leur serait difficile de se conserver pour le futur et fécond travail de direction du peuple soviétique, sans compter que, tout au long de ces années de camp, il leur serait difficile de penser, c'est-à-dire, à la queue leu leu, de répéter à tour de rôle que le camarade Staline, le camarade Molotov, le camarade Beria ont raison » [p 262] ; D) Dénoncer les tentatives d'évasion ; E) Pratiquer le mouchardage : « Que ce soit les honnêtes gens qui se fassent mouchards, cela vaut mieux que si c'étaient les salopards » (p 265). On retrouve ici les thèmes de la Servitude volontaire du bon La Boétie.

Noter la différence de ton : témoin résigné chez Chalamov, procureur sarcastique chez Soljenitsyne.

Commenter  J’apprécie          160
Dans ma quête de compréhension de « l'âme russe », j'ai enfin entrepris de lire ce témoignage qui valut la notoriété en Occident à Soljenitsyne. Je n'avais qu'une douzaine d'années lorsque sa parution fit grand bruit en France.

C'est d'abord l'histoire vécue de l'intérieur, avec un petit « h », dans la chair des hommes, du système concentrationnaire soviétique. Car il s'agit bien d'un système, mécanique et implacable, organisé et hiérarchisé à l'extrême, Staline seul à sa tête. Un système poussé jusqu'à l'absurde. Un système basé sur la terreur, elle-même fondée sur la délation du peuple par le peuple. le peuple inquisiteur, le peuple gardien, le peuple prisonnier.
« Ce serait trop simple si tout se réduisait à de sombres personnages qui se livreraient dans un coin à de noires machinations et qu'il suffirait d'identifier et de supprimer. Non. La ligne qui sépare le bien du mal passe par le coeur de chaque homme ».
Les nazis n'ont rien inventé du point de vue du système concentrationnaire.
A travers l'histoire des prisons et des camps, des témoignages effarants glanés parmi les zeks, ce sont des pans entiers de l'histoire soviétique et de la condition humaine, entre la révolution de 17 et les années Khrouchtchev, qui se livrent à nous.
Chez les zeks « la conception du monde la plus répandue est le fatalisme…Il s'explique par leur position d'esclaves, par leur ignorance absolue de ce qui va leur arriver dans le proche avenir et par l'incapacité de fait où ils sont d'influer sur les évènements. »
Alors dans les camps, il s'agit de tenir.
Au fil du récit, on croit tenir une lueur d'espoir avec la solidarité et l'entraide entre condamnés. Mais justement, là est le prix à payer.
« Tout bonnement tenir ne signifie pas « à tout prix ». Cet « à tout prix », cela veut dire au prix d'autrui. ».
C'est un récit poignant et exigeant, la lecture n'est pas toujours aisée. Mais c'est un récit majeur et éclairant sur une des facettes de la dictature stalinienne.
Commenter  J’apprécie          110
A la découverte de l''univers carcéral soviétique, un choc pour l'occident. Ne pas oublier ce qu'est un gouvernement totalitaire.
Commenter  J’apprécie          80
un monument de la littérature russe que cet ouvrage dans lequel Soljenytsyne décrite l'univers des camps d'internement soviétiques sous l'ère stalinienne. le récit, publié en 1974 est criant de vérité puisque l'auteur, dissident du régime soviétique, y a séjourné pendant 8 ans à la suite de l'interception de sa correspondance avec un ami d'enfance à qui il confiait son avis sur l'orientation que prenait son pays sous l'ère stalinienne. Il n'en fallut pas plus pour qu'il soit condamné au titre de l'article 58 du code pénal (activité contre-révolutionnaire). Il nous décrit tant la vie dans les camps que les faits qui pouvaient vous y mener mais également à l'absence d'avenir qui touchait les prisonniers à leur sortie, la plupart du temps condamnés à la relégation perpétuelle au fin fond des steppes du Kazakhstan, l'auteur y restera pendant 6 années avant d'être réhabilité en 1956.

Le traitement des « Zek », les détenus, est absolument sidérant. Au final, si l'objectif affiché de Staline n'était pas l'éradication directe des détenus à l'instar d'Hitler, dans les faits, le traitement qu'il leur était réservé permettait d'arriver à la même fin. Alimentation limitée, travaux forcés effectués dans des conditions météorologiques épouvantables, lumière du jour permanente dans les dortoirs etc… Peu en revinrent…

La version que j'ai lue est une version résumée, allégée de tout de même près de 900 pages. Je dois avouer qu'au-delà de l'intérêt pour un sujet bien peu abordé, je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu parler des goulags au lycée ou alors « comme ça en passant », la lecture est compliquée notamment par un lexique spécifique qui a tendance à perdre le lecteur. Il m'aura fallu près d'un mois et demi pour en venir à bout mais je le conseille, il s'agit d'un témoignage assez extraordinaire.

 

Commenter  J’apprécie          60


Lecteurs (2189) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
439 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *}