Après avoir lu bon nombre de pourfendeurs du capitalisme débridé et de son avatar théorique, le libéralisme. Il me faut découvrir le modèle qui s'est voulu alternatif, le cimetière des espérances, le nouveau Vatican de tout un siècle. Un pèlerinage obligatoire je suppose, pour voir comment le rêve du paradis des ouvriers s'est transformé en enfer glacial sibérien. L'URSS, ce si beau pays, un succès industriel, politique, militaire... En France et dans le monde, bien des intellectuels ont chanté ses louanges. Des louanges un peu trop belles...
C'est un travail à la fois romanesque mais aussi journalistique que nous fournit
Soljenitsyne, un travail méthodique, classifié en 7 parties, somme de 227 témoignages.. Tout commence par l'arrestation, tout un art que celui ci, puis le procès, moment fatidique, une industrie judiciaire bien rodé, n'espérait pas de la loi une quelconque aide, ensuite, le trajet, tout un monde ces liens entre les archipels, et enfin, la nation zek, l'archipel en lui même, le début du cauchemar.
Mais cet ouvrage est une fresque bien plus imposante, elle souhaite étudier dans sa globalité l'arbitraire du régime soviétique. Des débuts répressifs des victorieux de la guerre civile russe, puis, l'ère stalinienne, summum d'un l'univers concentrationnaire sans limite et qui se termine par l'ère réformiste (mais pas trop...) de Khrouchtchev. La fresque va même plus loin dans le temps, elle voyage même dans la Russie tsariste, elle retrace tout un univers judiciaire, politique et géographique...
Une fresque briseuse d'illusion.. Au régime des Soviets, vous n'êtes pas coupable de l'acte commis mais coupable de la probabilité que vous avez de la commettre. Magnifiques, magistrales que ces folles interprétations marxistes, il faut renforcer l'état pour qu'il dépérisse, les criminels de droit commun sont des victimes du capitalisme mais pour nous, ils sont "socialement proche", des alliés du monde ouvrier, il faut que chaque homme aime son mortel travail forcé et sa bien faible ration, il faut rééduquer culturellement... enfin plutôt éduquer durement, etc et etc..
Et comme toujours, il y a ceux qui triment à en crever et ceux qui profitent. Les gardiens des camps, les organes(MVD, Tchéka, NKVD...), l'intelligentsia des bien-pensants, la nouvelle aristocratie russe... Paresseux, despotique, arrogant, cupide, les détenus sont pour eux des esclaves personnels, femmes et peintres sont très prisés... Il y a aussi les petits préférés, les planqués, les informateurs, les socialement proches, les bien-pensants condamnés (au cas où je sois le prochain..). L'archipel est devenu une immense mosaïque, une féodalité de petits chefs et de cité esclavagiste.
Mais à quoi sert toute cette pieuvre, ce grand retour en arrière, cela sert bien évidemment le futur, la société sans classe, une industrialisation à marche forcée pour rattraper l'Occident. La France s'est industrialisée en 20 ans, eh bah nous, ça sera en 10... Des plans quinquennaux inapplicable, une russification totale, nation agraire, c'était avant, maintenant, c'est société INDUSTRIELLE. Un bond dans l'avenir avec les moyens du passé... succès garanti:
Le prix, des millions de morts dans l'hiver glacial, souvent innocent, aucune entraide, aucun sentiment positif dans ces camps, une faim constante, un climat de peur et de méfiance total. Pour survivre, il faut collaborer, trahir, ruser... Sinon, c'est la mort par le travail qui vous attend. Puis la libération, la plupart préfèrent oublier, c'est du passé tout ca, une autre époque... Mais
Soljenitsyne n'a, lui, rien oublié de cet univers concentrationnaire.
Il y a quand même certaines choses qui m'ont dérangé, la réhabilitation du régime tsariste, aucune mention des tendances criminelles, idem pour Vlassov et la collaboration, aucune mention des juifs, tziganes livrés par eux... Enfin, il ne fait pas une bonne presse à Khrouchtchev, il décrit la période poststalinienne comme étant pire ou du pareil au même, ce qui est factuellement faux. Les chiffres sont aussi problématiques...
Mais j'abrège et termine au vu de la longueur, c'est une épopée concentrationnaire au coeur des rouages du système stalinien qui vous tiendra bien au froid, pendant un certain temps, avec vos amis communistes. Jamais ennuyante mais palpitante, elle ne l'est que peu. C'est une description d'une horreur qui n'aurait pas dû exister.
Soljenitsyne n'a pas pu s'empêcher de l'écrire, si vous le commencer, il y a de forte probabilité que vous ne pourrez pas vous empêcher de le terminer, car la vérité ne peut pas être lu qu'à moitié.