J'ai reçu cet ouvrage dans le cadre de la dernière Masse Critique et j'en remercie Babelio ainsi que les éditions "des femmes -
Antoinette Fouque". J'avoue ne pas avoir très bien su à quoi m'attendre mais le titre m'avait bien appâtée : "Le chaudron militaire turc". Peut-être s'agit-il d'une incursion dans les rouages de l'armée et de son rapport avec le pouvoir d'Erdogan, me suis-je dit ?
Eh bien, pas du tout.
Il s'agit dans cet ouvrage du rôle de la masculinité dans l'organisation de la violence politique, ce qui passe par l'analyse du service militaire tel qu'il est pratiqué en Turquie, à savoir comment faire "d'un bébé un assassin". Et dans un pays fréquemment en guerre : guerre de Chypre en 1974, de Somalie en 1990 et conflits armés dans la région kurde en Turquie, la chose revêt toute son importance !
Service militaire obligatoire, bien sûr, seuls en sont écartés ceux qui ne sont pas considérés médicalement comme aptes, ainsi que les homosexuels ; ceux-là reçoivent une attestation d'invalidité indiquant que la personne est "pourrie" ! (sic).
Et l'auteur de nous conter par le détail comment faire d'un Mehmetçik, c'est à dire un bleu, un Mehmet, donc un homme, un vrai, un mâle alpha au sein de sa famille, mais surtout un homme au service du pouvoir, prêt à tout sur l'ordre d'un supérieur.
La recette éprouvée passe par les humiliations, la violence, les brimades de tout poil, la punition du groupe pour une défaillance commise par un seul, l'apprentissage de l'obéissance aveugle quelle que soit l'imbécillité de l'ordre donné, ... enfin tout un ensemble de procédés où, en se fondant dans "le chaudron de l'armée" on se met au service du nationalisme turc, au service de l'Etat, "le plus grand des papas", car infantilisation et militarisation vont de pair !
En toute fin de l'ouvrage seulement,
Pinar Selek évoque la banalité du mal, telle que conçue par
Hannah Arendt expliquant qu'il est aisé de transformer des individus ordinaires en assassins, en pointant "l'absence de pensée, la totale indifférence à autrui, la perte de l'autonomie de jugement chez les auteurs de violence", tous comportements favorisés par le formatage des jeunes appelés au service militaire en Turquie !
Ainsi en est-il des "Loups gris" cette organisation d'extrême droite turque, proche du pouvoir, dont les meneurs sont responsables des assassinats commis sur les intellectuels, journalistes, etc. et responsables également des atrocités commises contre les populations arménienne, grecque ou kurde.
Il est dommage que
Pinar Selek n'ait pas développé plus longuement ces aspects et les conséquences sur la société turque actuelle de cette militarisation de la population mâle.
Pinar Selek, sociologue, conteuse, autrice et militante antimilitariste turque est victime dans son pays, où elle a passé plusieurs années en prison, d'un acharnement politico-judiciaire. Son travail d'enquête auprès de la diaspora politique kurde lui a valu d'être arrêtée en 1998, puis torturée afin d'obtenir le nom des personnes qu'elle avait contactées.
Libérée, elle continue pourtant à être inquiétée par une justice qui annule régulièrement son acquittement. Elle vit en France depuis 2011 et a obtenu la nationalité française en 2017.