Pilote de guerre, comme
Terre des hommes est moins un roman qu'un recueil de retours d'expérience, de souvenirs, de méditations où l'auteur dévoile sa vision particulière du monde. Si
Terre des hommes, écrit en temps de paix, démontre un humanisme profond et somme toute optimiste malgré la "machine à emboutir" du dernier chapitre,
Pilote de guerre, écrit en temps de guerre, se révèle plus sombre, plus désespéré.
C'est que les temps ont changé. Saint-Ex n'est plus l'écrivain adulé, l'auteur de
Courrier Sud, Vol de nuit et
Terre des hommes, il n'est plus le héros de l'Aéropostale, l'ami de Guillaumet et de Mermoz (qui sont morts tous les deux en vol, avant même l'écriture de
Pilote de guerre), sa femme ne l'a pas suivi en Amérique et ne le rejoindra que l'année suivante, et surtout il y a la guerre.
En 1939, il est capitaine dans l'armée de l'air Pendant la drôle de guerre, il effectue mission sur mission au dessus d'une France qui commence à être occupée, et qui n'est déjà plus la France qu'il a connue. Sous ses ailes, c'est un pays meurtri par les bombardements, c'est surtout l'exode, les files ininterrompues de naufragés de la route qui se dirigent vers le Sud comme vers une Terre promise. Saint-Ex ne comprend pas. Il condamne les Allemands, responsables de cette catastrophe, il condamne aussi les généraux français qui n'ont pas su l'empêcher (c'est là la cause de la grande méfiance qu'il gardera envers
De Gaulle). Démobilisé, il part aux Etats-Unis où il ne peut partager son désir de voir les Français se réconcilier. Perçu comme pétainiste par les gaullistes, il a du mal à faire entendre sa voix.
C'est dans cet état d'esprit qu'il écrit
Pilote de guerre. Il s'inspire pour la trame de son récit de deux missions au-dessus de la France occupée (le titre de la version originale en américain est Flight on Arras), qu'il entremêle de réflexions sur la guerre, de souvenirs, pour finir par une vaste méditation : "Ma civilisation, héritière de Dieu…"
Ses thèmes habituels ne sont pas oubliés : la solidarité des combattants, le lien entre les êtres humains, le rapport à l'enfance, le regard compatissant envers les victimes…
Pas un roman, donc, mais une oeuvre forte, qui est en même temps un témoignage sur un fait de guerre, un manifeste pour un monde libre et ouvert à tous, une réflexion profonde sur le sens de l'engagement et plus généralement sur le sens de la vie.