Citations sur La tête en friche (314)
Se mettre à réfléchir, ça revient à donner des lunettes à un myope. Tout semblait bien sympa, tout autour: facile, c'était flou. Et tout d'un coup on voit les fissures, la rouille, les défauts, tout ce qui part en couille. On voit la mort, le fait qu'on va devoir quitter tout ça et même pas forcément d'une façon marrante. On comprend que le temps, ça fait pas que passer: ça nous pousse à crever un peu plus tous les jours, des deux mains dans le dos. Il n'y a pas de pompon à choper pour faire un tour gratuit, sur le manège. On fait son tour de piste et point barre: on s'en va.
Franchement, pour certains, la vie, c'est une belle arnaque.
Je repense à ce mot, inculte – Qui n’est pas cultivé. Voir : friche – qui m’était venu dans la tête, un jour, pendant que je parlais avec Margueritte. Et au rapport qu’il y a entre la culture des livres et l’autre, des topinambours. C’est pas parce qu’on ne cultive pas un terrain qu’il n’est pas bon pour les patates ou autres. Faut pas croire, c’est pas de bêcher qui rend le sol meilleur : ça le prépare seulement à bien recevoir les semis. Ça l’aère. Parce que si le terrain est trop acide, trop calcaire, ou trop pauvre, il prendra pas n’importe quoi, de toutes les façons.[…]
Ce qui me fait aller vers cette conclusion que pour les gens, c’est du pareil au même : c’est pas parce qu’on est inculte qu’on n’est pas cultivable. Il suffit de tomber sur un bon jardinier. Si c’est un mauvais, qui n’a pas le doigté, il vous gâche.
L'affection, ça grandit sous cape, ça prend racine malgré soi et puis ça envahit pire que du chiendent. Ensuite c'est trop tard : le coeur, on ne peut pas le passer au Roundup pour lui désherber la tendresse .p 158
Et puis les taloches, ça n'a jamais "remis les idées en place". Pour personne. Des idées, on en a, ou pas. Les beignes, ça fait mal, c'est tout ce que ça sait faire.
Quand j'étais gamin, ma mère m'appelait l'imbécile heureux. Mais ce n'était pas vrai, je n'étais pas heureux. Imbécile, ça je veux bien. Mais heureux, pas du tout.
Les mots ce sont des boîtes qui servent à ranger les pensées, pour mieux les présenter aux autres et leur faire l'article. Par exemple, les jours où on aurait l'envie de frapper sur tout ce qui bouge, on peut juste faire la gueule. Mais du coup, les autres peuvent croire qu'on est malade, ou malheureux. Alors que si on dit d'une façon verbale, Faites pas chier, c'est pas le jour! ça évite les confusions.
Mais il ne faut jamais rien regretter, dans la vie, ce qui est passé doit rester en arrière.
Quand on aime quelqu'un, il nous fait plus de peine à lui tout seul en étant malheureux , que tous ceux qu'on déteste s'ils se mettaient ensemble à nous pourrir la vie.
Margueritte, elle se tasse, par contre. Elle se tient de guingois, pliée sur ses genoux. Va falloir que j'en prenne soin, si je veux vraiment qu'elle me dure. Elle a beau faire sa maligne, elle est fragile. Elle a des petits os de piaf, je pourrais les casser entre deux doigts, facile. Je dis ça comme ça, c'est pour dire. Bien sûr, je ne le ferai pas. Casser les os de sa grand-mère, faudrait être taré ! C'est seulement pour montrer comme elle est délicate. Elle me fait penser aux petits animaux en verre filé qu'ils vendent chez Granjean, à la papeterie. Une biche, surtout, dans la vitrine. Elle est minuscule, avec des pattes fines, fines ! Pas plus épaisses que des cils. Margueritte, elle est comme ça.
Cette fille elle me rend dingue, à croire qu'elle se badigeonne en entier à la glu : je la touche, je suis foutu ! C'est pire qu'un aimant.
Aimant, ça doit venir du verbe aimer, peut-être.