Etonnant que ce bon roman nous arrive si tard ! On craint toujours avec les parutions tardives de se voir refiler un maillon faible. Que nenni ! Il peut figurer aux côtés de ses autres oeuvres. On y retrouve ses défauts et qualités qui font qu'il restera un auteur à part, intéressant et irritant à la fois par les chemins tordus qu'il prend, par ses dérives, ses circonvolutions pour retrouver ensuite de superbes envolées. On en redemande, s'il y a d'autres oeuvres de Richler en attente sur une étagère, je suis preneur ;)
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La tension entre l’unité et la déchirure est la grande affaire des sagas familiales. Dans "Fils d’un tout petit héros", [...] Mordecai Richler (1931-2001) l’exploite avec une force impressionnante pour en faire la loi des activités humaines – et son écriture.
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Pour se faire une idée juste de la beauté du printemps à Montréal, il faut savoir deux ou trois choses de l'hiver qui le précède. Les matins sont gris et glacés ; dans le ciel froid de midi, le soleil brille de tous ses feux sans dégager la moindre chaleur ; en début d'après-midi, les cieux s'assombrissent de nouveau, et commencent aussitôt d'interminables soirées glaciales balayées par un vent du nord mordant, impitoyable, qui fait trembler les fenêtres et emporte les promeneurs comme des bouts de papier, forme sur les neiges de la montagne des dunes et des crêtes qui brûlent les yeux au moindre regard, marque au fer rouge les joues des enfants et taillade comme un couteau la surface étale des étangs gelés.
Les Adler vivaient dans une cage, et cette cage, malgré ses défauts, leur procurait justice, sécurité et une sorte de félicité. Chaque homme connaissait sa place. Melech régnait. La nature des lois importait beaucoup moins que leur simple existence. Les Juifs, que Moïse avait libérés et entraînés hors du désert, ne rêvaient que d'une chose : redevenir esclaves en Egypte. Noah avait enfreint ces lois et n'avait pas été puni. Il avait ouvert toute grande la porte de la cage et, en somme, invité les autres à le suivre au royaume de la liberté. (Tout ce qu'avait compris Noah, à seize ans, c'est que ces lis n'étaient pas vraies, et cette révélation lui avait semblé capitale. Il ne savait pas encore que les lois, pour être vraies, n'avaient besoin que d'une chose : qu'on s'y conforme).
Le ghetto de Montréal n'a ni murs tangibles ni dimensions concrètes. Les murs sont le produit de l'atavisme, et les dimensions, une simple illusion. Mais le ghetto n'en existe pas moins. Les pères disent : Si je me tue à l'ouvrage, c'est pour que mes enfants aient une vie meilleure.
Il y en a toutefois quelques-uns, les dissidents, qui refusent de consacrer leurs journées entières au travail. À la place, ils boivent. Cela dit, le résultat est le même : ils s'échinent dans une usine de textile ou une fabrique de vêtements. Certains sont orthodoxes, d'autres vides.
Toute la semaine, les curieux, les désoeuvrés et le contingent plus restreint des sincèrement préoccupés passèrent d'étouffantes soirées à aller et à venir en s'épongeant le front, à se tortiller sur leur chaise moite et à servir à la louche une bouillie de regrets dans laquelle les platitudes flottaient comme des boulettes de pâte indigestes. Les honnêtes se contentaient pour l'essentiel d'observer le silence. Mais les autres, ceux qui vouaient un culte à tout ce qui est édifiant, jonglaient avec des bribes de conversation en ayant bien soin de ne laisser tomber aucune vérité. (p.234)
Fils d'un tout petit héros