AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,3

sur 2073 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
C'est un uppercut que j'ai pris en pleine poitrine, ce récit autobiographique m'a laissée KO.
Je suis au sol, fatiguée, épuisée, haletante, saturée, en sueur, sentant le sang et la peur.
Je suis boxée de tous côtés, je savais un peu, pas autant, cela se passe dans les usines.
Je soupçonnais les douleurs, l'abrutissement dû au rythme, aux cadences infernales
Je me doutais de l'odeur du sang qui coagule le cerveau, neurone après neurone.

Poissons, crevettes, puis un cran au-dessus, les abattoirs, ou aucun salaire.
Le salaire de la douleur, le salaire parfois de l'horreur, le salaire de l'honneur.

C'est un témoignage fort, qui inspire le respect, pour tous ces ouvriers.
Qui chaque jour se lèvent, parfois à une heure inhumaine, pour nous.
Pour que le pays marche, coure, se nourrisse… voici livrées les coulisses.

Je comprends que ce livre écrit à la sueur de l'usine ait reçu un prix,
Le prix de l'effort inhumain qui est demandé à ceux qui ont peur d'avoir faim.

Je n'ajouterai pas une seule ligne. Chapeau bas, monsieur PONTHUS.
Commenter  J’apprécie          11413
Une lecture introspective en raison du sujet traité et de la façon dont il est abordé.
Et une lecture étonnante en raison du style bien sûr, aucune ponctuation, des petites phrases, parfois seulement un mot, le tout mis à la ligne.
Des chapitres courts, parfois une page ou deux, des scénettes, de simples réflexions ou dialogues intérieurs.
Il y a des façons de "gagner" sa vie qui sont plus dures que d'autres, c'est un fait, et si on ne le sait pas, ou qu'on ne s'est jamais posé la question, ce témoignage va combler une lacune.
Ce livre m'a beaucoup parlé, il m'a ramené à mes premières années de travail, j'ai bossé près d'un an en intérim (manutentionnaire, préparateur de commandes) et j'ai retrouvé certains "codes" évoqués dans ce récit, l'incertitude de la prochaine mission qu'on ne peut de toute façon pas refuser sous peine d'être "grillé", mais aussi une sorte de connivence ou de solidarité entre intérimaires.
Quoi ? où ? combien de temps ? Pas de congés payés, c'est parfois un choix, mais pas toujours...
Ce livre nous instruit sur le fait qu'il y a des tas de boulots difficiles, ingrats et mal payés, et qu'en plus on est content de trouver car il faut bien manger...
Des boulots qui vous flinguent la santé et vous abîment la tête.
Chanter dans sa tête, oui, je me rappelle, d'ailleurs ça m'arrive encore quand j'ai besoin de faire le vide et que je ne peux pas lire ;)
Il s'agit d'un témoignage, d'une tranche de vie, mais aussi d'un don d'une certaine façon par sa sincérité et sa vérité qui pourtant reste pudique et nous encourage nous même à une belle introspection.
C'est le genre de lecture qui vous aspire, jamais ennuyeuse, même dans ses répétitions.
En un mot, merci monsieur Joseph Ponthus !
Commenter  J’apprécie          9911
Joseph Ponthus a travaillé d'abord comme éducateur spécialisé, à la maire de Nanterre ; puis son mariage en 2015 le conduit en Bretagne, à Lorient, où il ne trouve pas de travail dans son domaine. Il s'inscrit donc dans une agence d'intérim et il va alors enchaîner différentes missions dans l'industrie agro-alimentaire, conserveries de poisson et abattoirs bretons entre autres.
Grâce à l'amour de son épouse et de sa mère, à Apollinaire et à Trenet, aux livres et aux chansons qu'il a aimés en général, sans oublier son chien Pok Pok, il parvient à supporter la fatigue, la répétition des gestes, le bruit, le froid, les odeurs, les cadences infernales.
C'est cette vie que Joseph Ponthus va retracer de façon extrêmement puissante et poétique dans À la ligne Feuillets d'usine.
L'écriture est particulièrement originale. Il s'agit d'un long poème sans ponctuation, retournant sans cesse à la ligne où chaque mot est percutant et décrit formidablement bien cet univers de travail à la chaîne.
Ses mots, ses lignes sont autant de clichés photographiques instantanés qui nous restituent à la fois le ressenti du travailleur intérimaire qu'il est, et l'ambiance au travail.
Il réussit un véritable tour de force en construisant une poésie du réel. le rythme du récit en fait un livre captivant qui décrit bien la violence accablante de l'usine. Un livre atypique et subjuguant.
Commenter  J’apprécie          863
Joseph Ponthus est l'une des vraies surprises de cette rentrée. Sa description du monde de l'usine en une longue phrase, sorte de poème scandé sur quelques 272 pages, va vous prendre aux tripes.

À chaque rentrée littéraire, on croise quelques OVNIS, objets au verbe nouveau inimitables. En septembre, K.O. de Hector Mathis avait ainsi émergé. Pour la rentrée de janvier, c'est À la ligne qui rafle la mise. Oubliez la ponctuation et laisser vous emporter par ce long poème en prose, par le rythme imposé par ces lignes. Essayez la scansion et vous constaterez dès les premières lignes combien vous êtes plongé dans un monde qui ne vous laisse quasiment pas respirer, un monde qui cogne, qui tape, qui aliène
« En entrant à l'usine
Bien sûr j'imaginais
L'odeur
Le froid
Le transport de charges lourdes
La pénibilité
Les conditions de travail
La chaîne
L'esclavage moderne »
C'est ce quotidien que doit endurer le jeune homme qui arrive en Bretagne, ne trouve pas d'emploi dans son domaine et se retrouve contraint à accepter des contrats d'intérimaire dans des usines de transformation du poisson et fruits de mer puis dans un abattoir. le choc est rude pour lui qui est plutôt intellectuel. le rythme, le bruit, l'odeur sont autant d'agressions physiques mais aussi morales. Aux caisses de crevettes qu'il faut laver, trier, empaqueter va bientôt succéder le nettoyage des abattoirs, du sang des animaux découpés à la chaîne dans des cadences qui ne permettent pas d'éviter quelques dérapages avec l'éthique. Ni le pouvoir des petits chefs mis eux-mêmes sous pression par une hiérarchie avide de gain.
« Le capitalisme triomphant a bien compris que pour exploiter au mieux l'ouvrier 
Il faut l'accommoder 
Juste un peu 
À la guerre comme à la guerre 
Repose-toi trente minutes 
Petit citron 
Tu as encore quelque jus que je vais pressurer » 
Pour résister, il y d'abord cette solidarité entre exploités qui n'est pas un vain mot. L'imagination, les petits mots d'encouragement, les tactiques pour gagner un peu de temps, un peu d'air, un peu de liberté sont autant de soupapes qui aident à tenir.
Puis viennent les stratégies individuelles, les moyens développés par chacun pour s'échapper en pensée. Pour le narrateur, ce sont les poèmes et les chansons. Apollinaire, Aragon, Céline ou Cendrars vont l'accompagner tout autant que Trenet, Souchon, Goldmann, Barbara ou «ce bon vieux Pierrot Perret». Des chansons que l'on fredonne et qui sont le vrai baromètre de l'ambiance.
« L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière dire à un de ses collègues 
"Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement speed que j'ai même pas le temps de chanter"
Je crois que c'est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière 
Ces moments où c'est tellement indicible que l'on n'a même pas le temps de chanter 
Juste voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse qui monte l'inéluctable de la machine et devoir continuer coûte que coûte la production alors que
Même pas le temps de chanter 
Et diable qu'il y a de jours sans »
Après avoir cuit des bulots et déplacé des carcasses viendra finalement le jour de la délivrance. Mais de cette expérience il nous restera cet OVNI, comme une pierre précieuse qui, à force d'être polie et repolie étincelle de mille feux.
Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          693
J'ai aimé ce roman, sa construction. Il est écrit comme un slam. Des mots lancés comme des coups de poing parce que l'on ne peut pas décrire un monde dur, impitoyable avec des paroles enrobées de sucre. On entend parfois les basses d'un rap qui vous cognent en plein coeur. Pas de triche, pas de fioriture, juste du viscéral, pour restituer la réalité des bourlingueurs du bas de l'échelle.
Merci pour ce récit de société qui met en avant l'armée des petits hommes.
Commenter  J’apprécie          6314
Cette façon d'écrire avec, parfois, une ligne qui ne fait qu'un mot, n'est pas unique. Ce qui est plus rare c'est le contexte. L'usine, l'intérim, les cadences, la souffrance, l'odeur, le froid, l'exploitation, le relationnel, les livres, les chansons. Les mots de Joseph Ponthus m'ont marquée quand il a dit que son contrat ne sera pas renouvelé pour passage à la LGL et quand F. Busnel lui demande ce qu'il fera du premier argent qu'il touchera à la vente de son livre, il a répondu : me refaire faire les dents, parce qu'un ouvrier ne peut pas se le permettre. Ces propos étaient comme une claque sur ce lieu où de grands bourgeois friqués sont passés avant.
Commenter  J’apprécie          638
« Mais tout ça en fait, on ne peut pas le raconter (…) Celui qui n'a jamais égoutté de tofu pendant neuf heures de nuit ne pourra jamais comprendre ».

Poursuite de mes séances de rattrapage avec Joseph Ponthus et À la ligne, ces « Feuillets d'usine » autour desquels j'avais beaucoup tourné à leur sortie, sans franchir le pas. Fort heureusement, la bien nommée @point à la ligne a réparé l'erreur : grâce lui en soit rendue !

Trois ans après sa sortie, tout a probablement été dit sur ce livre essentiel, ce qui m'en (vous en) épargnera le pitch. Mais pas deux-trois réflexions à la volée.

Si mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde selon Camus, est-ce que parfaitement les dire c'est en soulager la souffrance ? Voilà ce à quoi nous confronte Ponthus. Et forcément ça pique.

Parce que Ponthus nomme. Il met des mots sur ce qui pour beaucoup – moi inclus - est un concept, un aperçu de réalité voire une inconnue totale. Je ne parle pas du travail à la chaîne en usine, mais de la souffrance au travail, du corps qui crie et de l'esprit qui tente de tenir le coup, du déclassement (et pitié, pas du sentiment de déclassement !), de l'avenir limité au jour d'après, du week-end qui n'en est pas un…

« Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille »

Vous en voulez encore ? du sommeil qui ne répare plus rien ; de la pression des casquettes rouges ; de ce qu'apporte un cursus universitaire étoffé à la cuisson des bulots ou à la parfaite trajectoire des carcasses de boeufs sur un rail d'équarrissage ; de la camaraderie vraie quand elle s'est forgée dans l'effort partagé ; de la culture enfin, universelle et transclasse.

Alors à défaut de soulager la souffrance, nommer les choses et les écrire pour en garder une trace c'est contribuer à s'affranchir de cette souffrance, tout comme Ponthus s'affranchit de sa ponctuation et des règles de syntaxe ou de mise en page. Et ce faisant, c'est un premier pas vers la liberté, ce qui est déjà beaucoup et permet de garder l'espoir, un concept accessible à tous.

Ce livre est précieux. Son auteur l'était encore plus.
Commenter  J’apprécie          613
Joseph Ponthus travaille dans une usine de poissons puis de viandes. Bulots, carcasses, poissons, tout y passe. Les états d'âmes et la lassitude sont exposés tels quels, les citations en plus mais la ponctuation en moins.
Ce style d'écriture si particulier peut choquer les 10 premières pages mais nous les oublions aussi vite en suffoquant avec l'auteur.
A l'heure où les gilets jaunes sont en pause mais la détermination est toujours aussi présente, cet homme de la quarantaine qui est passé par une prépa Hypokhâgne nous montre avec tristesse la vie d'ouvrier qui nous transforme en automates pour survivre.
Un récit écrit avec poésie et jolis mots pour illustrer un triste monde dans lequel il a lutté pour survivre.
Acheté par curiosité, suite à son décès et aux nombreuses critiques que j'ai vues passer, je ne suis ni conquise ni adepte du style mais je reconnais les talents de cet homme qui laissera une trace dans ma mémoire.
Commenter  J’apprécie          550
Je remercie les éditions de la Table Ronde pour l'envoi de ce roman. Et quelle découverte ! Alors que j'écris ces premières lignes, un message apparaît sur mon écran de téléphone : le Grand Prix RTL-Lire 2019 est donc attribué cette année au premier roman de Joseph Ponthus « À la ligne » publié à La Table Ronde, en cette rentrée littéraire 2019. Une récompense hautement méritée. Ce roman est une déflagration littéraire !
» C'est fantastique tout ce qu'on peut supporter « disait un certain… Apollinaire ! Il ne croyait pas si bien dire. Lorsque Joseph Ponthus lâche son emploi d'éducateur en région parisienne pour rejoindre sa belle aimée en terre bretonne, rien ne le prédestinait à pousser les portes des agences d'interim, en quête d'un emploi. Mais le temps passe et les sous manquent. Alors pas le choix. Il faut se résigner à taper aux portes pour trouver un emploi. N'importe lequel. Il faut bien que les sous rentrent.
p. 12 : » À l'agence d'interim on me demande quand je peux commencer
Je sors ma vanne habituelle littéraire et convenue
» Eh bien demain dès l'aube à l'heure où blanchit la campagne «
Pris au mot j'embauche le lendemain à six heures du matin «
Ancien élève d'hypokhâgne, le voilà affublé d'une charlotte et de bottes, au pied de la pointeuse, prêt à en découdre avec les sardines et les bulots, dans un atelier où la température frôle avec le négatif. Et oui, c'est ça, le monde de l'agro-alimentaire. Il faut le voir pour le croire. Non… il faut le vivre pour le croire ! Que se passe-t-il dans la tête de ce jeune presque quadragénaire au parcours intellectuel éloquent à ce moment précis ? C'est toute l'histoire de ce livre, dont le sous titre « Feuillets d'usine » sont autant de notes prises quotidiennement, à l'arrachée d'un corps à l'épuisement. Pour témoigner. Ne pas oublier.
C'est la découverte d'un nouveau monde. de nouveaux mots. de nouveaux collègues. de nouveaux rythmes.
p. 18 : » La débauche
Quel joli mot
Qu'on n'utilise plus trop sinon au sens figuré
Mais comprendre
Dans son corps
Viscéralement
Ce qu'est la débauche «
Le chef d'équipe l'accueil. le carnet a remplacé le livret d'ouvrier. Une autre époque, une autre appellation, mais un même symbole, celui du capitalisme enraciné.
C'est dans la douleur physique, surtout que se joue une journée d'intérimaire dans une usine agro, jusqu'à découvrir des muscles dont on ignorait jusque là l'existence. Et l'abrutissement des tâches répétées inlassablement.
p. 52 : » J'en chie mais à l'usine on se tait «
Alors on attend la pause avec impatience. Car oui, la pause aussi est chronométrée. Clope café. À la ligne. Les sardines n'attendent pas. La production n'attend pas.
p. 18 : » Ce n'est pas du Zola mais on pourrait y croire «
Les rythmes s'enchaînent, s'entremêlent, au point de ne plus savoir ni quand dormir, ni quand manger, et pourtant il faut s'adapter. Toujours. Prévenu parfois le jour même, les changements de planning sont réguliers. S'adapter. Encore. Parce qu'entre chaque mission, on attend désespérément près du téléphone. » Espérer et attendre « , on flirte avec Godot ! L'interim c'est la précarité d'un lendemain incertain.
p. 41 : » le rythme de mes huit heures de nuit est bien étrange à assimiler pour et par mon organisme «
Alors, dans cet étrange ballet de crevettes et de tofu, de transpalettes et de machines, il reste l'amour des mots. Et ça, l'usine ne peut lui enlever !
p. 49 : » Je me dis qu'il faut une sacrée foi dans la paie qui finira bien par tomber dans l'amour de l'absurde ou dans la littérature
Pour continuer
Il faut continuer «
Joseph Ponthus s'accroche à ses auteurs de prédilection Apollinaire, Aragon, Pérec, et chantonne, car oui, chanter donne du baume au coeur quand le physique souffre. Trénet, Brel, il sont tous là et l'accompagnent dans ce dur labeur.
p. 191 : » Trenet me sauve le travail et la vie tous les jours que l'usine fait «
Mais finalement, à y comparer, les crevettes et les bulots, c'était pas si désagréable. Mais ça, il ne le découvre qu'en franchissant les portes de l'atelier de l'abattoir, l'antre de l'inimaginable, où le sang et la mort se côtoient au quotidien.
p. 139 : » Mes cauchemars sont à la hauteur de ce que mon corps endure «
Aucune animosité. Aucune rancoeur. Ce roman est un acte de non-violence. Un hommage à tous ces travailleurs invisibles ! Brutal, pertinent et sincère, Joseph Ponthus nous ouvre les lourdes portes des usines, et plus particulièrement de la précarité des emplois intérimaires, pourtant indispensables à ses énormes unités de production ! Entre sourires et larmes, ce roman est le souvenir de tous ceux et toutes celles qui ont franchi ces portes, pour un jour ou pour une vie, dont le courage et la ténacité soient aujourd'hui récompensés par ce témoignage poignant !
Alors oui, ce livre est grand ! Oui ce livre est incontournable ! Mais pour cela il faut avoir la curiosité et l'audace d'aller voir ce qui s'y passe. de l'intérieur. Une lecture d'utilité publique, ou plutôt devrais-je me permettre de dire d'utilité politique ! Car messieurs les dirigeants de notre beau pays et messieurs les dirigeants d'entreprises, il est grand temps d'ouvrir les yeux sur les conditions d'exploitation, oups pardon, je voulais dire avec plus de diplomatie, les conditions de travail des ouvriers d'usine ! Un style bien singulier et une absence de ponctuation qui procure un relief puissant à l'écriture, et donne ainsi une cadence de lecture, comme sur les lignes de production. À la ligne.
Lien : https://missbook85.wordpress..
Commenter  J’apprécie          550
À la ligne : Feuillets d'usine est un récit autobiographique écrit par Joseph Ponthus. C'est un livre insolite que j'ai découvert ici.
C'est un texte scandé comme un long poème en vers libre, comme un chant, comme un slam.
C'est un texte qui se déploie, s'étire, se brise comme une vague sur les pages, cadencé au rythme des cadences infernales de l'usine.
C'est un livre sans ponctuation, comme dans un seul souffle.
Les phrases se tranchent pour passer à la ligne et permettent de reprendre sa respiration.
C'est un texte qui vient comme un coup de poing. Un livre en apnée, en plongée dans un univers impitoyable, celui de l'usine.
À la ligne, c'est aussi un doux euphémisme pour dire « À la chaîne ».
Le texte est d'emblée puissant, jouant sur plusieurs registres, jouant sur les mots aussi.
On pourrait se dire : Tiens, voici un écrivain qui se plonge en milieu ouvrier, expérimente une démarche intellectuelle, une sorte de « vis ma vie » pour la poser sur le papier. Il n'en est rien. Initialement travailleur social, Joseph Ponthus nous explique dès le début du récit qu'il souhaitait rejoindre son épouse à Lorient et qu'il n'a pas eu d'autres choix que de se faire embaucher comme intérimaire dans l'industrie agro-alimentaire, l'agro comme on dit ici, qui est le premier employeur en Bretagne.
C'était une nécessité vitale, comme tant d'autres collègues que l'auteur va côtoyer sur la ligne.
Alors nous voici plongés tout d'abord dans une usine de transformation de poissons où il va trier des crustacés et des bulots.
Puis plus tard, nettoyant un abattoir du sang et des déchets des bêtes dans l'odeur encore tiède de leur mort, trimballant les immenses carcasses d'animaux.
Les mots viennent et se déversent sur la page pour décharger toutes ces violences, cette douleur physique, mentale. Sublimer ce réel par l'écriture.
Porter, pousser , tracter, tirer... Les mots claquent.
L'auteur découvre un monde qu'il ne soupçonnait pas.
Il se découvre un corps, des mains, la douleur physique et mentale, puis peu à peu l'endurance au labeur.
Le corps fatigué, le corps broyé. Y découvrir qu'on peut aussi pleurer de fatigue.
Les cadences infernales frôlent l'inhumain et l'absurde.
L'industrie agro-alimentaire est une servitude volontaire, où les petits chefs et les ressources humaines ont une communication infantilisante.
Je n'ai pas pu m'empêcher de revoir à certaines pages l'image du film Les Temps Modernes, où l'on voit Charlot courir le long d'une chaîne en vissant d'énormes boulons sur un tapis, être dépassé à chaque instant par la chaîne infernale qui finit par l'avaler, ne trouvant son salut que dans la spontanéité d'un camarade qui le sauve in extremis.
Car la solidarité entre camarades existe bel et bien. On n'est rien sans les collègues.
Est-ce cela qui le fait tenir debout ? Être à sa place ? Se lever chaque matin pour aller à l'usine, remettre cela ?
Comment mettre cela à distance pour trouver la force d'y revenir ?
A l'usine on chante aussi, de tout, parfois c'est le même air débile entendu à la radio le matin. Ce sont des joies qui sont des petits riens. Ça aide à tenir le coup. L'évocation des ritournelles ensoleillées de Charles Trenet est un passage savoureux.
Chacun tient comme il peut, avec ce qu'il est, ce qu'il a. Joseph Ponthus, c'est la littérature qu'il convoque sur la ligne. Apollinaire, Dumas, Hugo, La Bruyère...
Mais surtout il y a l'amour de son épouse, la tendresse de sa mère. Et puis son chien Pok Pok.
L'hallucination des animaux morts poursuit l'auteur la nuit dans ses rêves.
Comment ne pas devenir fou ?
C'est un texte sans concession sur l'envers du décor, l'envers de l'assiette, une industrie de la mort.
C'est un travail de déconstruction, où le sens du geste se perd à chaque instant dans l'odeur de la mort des bêtes abattues, dont il faut nettoyer le sang après.
Les mots sont à la hauteur de cette expérience pénible, douloureuse, que Joseph Ponthus a vécue, elle est par certains côtés terrifiante, par d'autres côté fraternelle.
J'en ressors ahuri, assommé, rincé.
Poing à la ligne !
Commenter  J’apprécie          518



Autres livres de Joseph Ponthus (1) Voir plus

Lecteurs (3803) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1734 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}