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Critique de michfred


Les morts vont vite. Le chagrin a besoin de lenteur. 

Aux premières pages, l'émotion est déjà là, mais masquée  derrière les fous- rires.

Entrée dans la nef  sur les pas du cercueil de son père,  au bras de son amie, comme une fiancée qu'elle mènerait  à l'autel, à l'heure des manifs anti mariage pour tous, Anne, la narratrice doit  attendre deux heures d'un interminable sermon par un curé qui parle plus de l'épouse exemplaire et maltraitée que de son  brutal et défunt epoux, ( pour un peu elle devrait suivre le convoi qui mène son père à sa dernière demeure  sur l'air des Chariots de feu alors que c'est un cul-de-jatte qu'on enterre!), mais elle se voit confisquer le  dernier mot par un croque-mort-en-chef ivre- mort  - dernier hommage foutraque et cocasse à son père alcoolique...

Un premier  portrait de Jean-Pierre Pauly est déjà brossé, à grands traits hâtifs : mari violent porté sur la bouteille, handicapé et vivant pauvrement dans une solitude farouche,  dont les enfants, Anne et Jean-François ( la mère est morte d'un cancer depuis des années) , ne retiennent pas que de bons souvenirs.

Mais si le fils est plein de colère, la fille, elle , est partagée : exaspérée par l'égoïsme d'un père qui semble n'avoir jamais pensé qu'à lui et débordée de tendresse pour ce grand escogriffe maladroit qui l'aimait.

Leurs fous-rires à tous deux  sont l' acclimatation à une disparition brutale, si rapide qu'elle ressemble à un escamotage. le rire traduit cette inadaptation des rythmes.

Comme chante Lénore, dans le poème d'August Bürger: "Les morts vont vite". 

Les morts vont vite - et le chagrin a besoin de lenteur.

Tout le récit , sincère,  juste,  aussi émouvant dans ses rires incongrus que dans ses larmes irrépressibles, est une danse de deuil pour retrouver le pas, le rythme et mettre enfin  cette mort fugace, sauvage, emballée au pas si lent de l'amour orphelin.

Comme dans un morceau de musique, après la carmagnole cruellement burlesque du début,  surviennent trois moments magiques.

La lettre de Juliette comme un thrène, un chant d'apaisement,  une douce consolation- qui dit à  Anne les mots que personne n'a su dire et redonnent au défunt tendresse, douceur, humanité. 

Les piles jumelles et leur étrange électro-cardiogramme qui scandent le ballet mesuré du  temps, l'attente de la mort. Et provoquent un adagio vibrant  à la patience du défunt, son attention à la modestie des choses. Anne s'avoue vaincue:  " j'ai cru mourir d'amour et de melancolie ".

Et enfin la chanson de Céline Dion qui provoque une pop-catharsis d'un genre inattendu chez cette programmatrice du festival queer,  Loud & Proud, ... qui se découvre soudain un coeur de midinette.

Bouleversée, Anne retrouve l'image vraie et réhabilitée d'un père tendrement chéri:  les larmes peuvent jaillir.

Les morts vont vite. Le chagrin a besoin de lenteur.

D'ailleurs tout est devenu signe : le mort a encore des choses à dire à ses enfants qu'il a quittés trop vite ou trop mal. Il faut que les remords ou la colère s'apaisent. Il suffit parfois d'une R 10 déglinguée  à l'angle d'un carrefour ou d'une pie dans la tempête.

Un livre qui m'a bouleversée et dont j'ai relu plusieurs fois,  dans les rires et dans  les larmes,  bien des passages.

Anne, ma soeur Anne, ton livre fait du bien à tous ceux, toutes celles qui ont mis du temps, parfois,  à retrouver,  comprendre, vider  et dépasser leur chagrin.

Les morts vont vite. Le chagrin a besoin de lenteur. 
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